Le SEM nie (encore !) la jurisprudence et opte pour le renvoi d’un enfant européen

« Sofia », ressortissante russe arrivée en Suisse en 2003 pour ses études, demande un permis de séjour sur la base de sa relation avec son fils, de nationalité belge. Ce dernier a un droit de séjour conformément à l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, que nie pourtant le Secrétariat d’Etat aux migrations.

Mise à jour

Après plusieurs échanges d’observations et demandes de preuves actualisées, le TAF a rendu une décision en mars 2017 (F826/2015 du 16.03.2017). Le SEM avait finalement reconnu que la jurisprudence Zhu et Chen était applicable mais persistait à considérer les moyens financiers comme insuffisants. Pour le Tribunal, l’argumentation du SEM sur ce point est «en contradiction manifeste avec la jurisprudence […] et frôle la témérité ». Le Tribunal retient la situation professionnelle stable de « Sofia », les économies dont elle dispose et le fait qu’elle n’ait jamais perçu d’aide sociale. Il admet le recours et conclu à son droit, et celui de son fils, de bénéficier d’une autorisation de séjour en Suisse.

Personne (s) concernée(s) : « Sofia » née en 1974 et son fils « Xavier » né en 2011

Statut : demande d’autorisation de séjour -> en attente

Résumé du cas

« Sofia », ressortissante russe, arrive en Suisse en 2003 comme étudiante et obtient une autorisation de séjour. Son enfant « Xavier » nait en septembre 2011. Fin 2012, « Sofia » demande une autorisation de séjour en faveur de son fils qui a la nationalité belge, en vertu des dispositions de l’ALCP (art. 6 ALCP, et art. 24 Annexe I ALCP), ainsi qu’un titre de séjour pour elle-même sur la base de la jurisprudence en vigueur. En effet, selon la jurisprudence « Zhu et Chen » (C-200/02 du 19 octobre 2004) de la CJCE (actuellement CJUE), applicable en Suisse conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, un mineur ressortissant d’un pays de l’UE a le droit de séjourner dans un autre Etat de l’UE avec son ou ses parents titulaires de l’autorité parentale et exerçant leur droit de garde, indépendamment de la nationalité de ces derniers. Ceux-ci bénéficient donc d’un droit dérivé de celui de leur enfant, à condition d’avoir les ressources financières considérées comme suffisantes. En mars 2014, l’autorité cantonale rend un préavis favorable à l’octroi des permis et soumet le dossier au SEM pour approbation. Toutefois, le SEM refuse arguant que la jurisprudence de la CJUE n’a pas été reprise par la Suisse et que « Sofia » ne dispose pas de moyens suffisants. Un recours est déposé au TAF en février 2015. Pour la mandataire, la reprise de l’arrêt « Zhu et Chen » par les tribunaux fédéraux est claire et constante. D’ailleurs, le TAF a déjà rappelé le SEM à l’ordre sur ce point. En outre, elle rappelle que selon la jurisprudence fédérale, les moyens financiers se calculent sur la base des normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Pourtant le SEM s’est basé sur les barèmes différents appliqués par l’OCPM pour les personnes souhaitant devenir garantes pour des étrangers séjournant sans activité lucrative en Suisse (par exemple des étudiants). Par ailleurs, le SEM considère que « Sofia » dépend de la collectivité publique parce qu’elle bénéficie de subsides d’assurance maladie. Une interprétation erronée selon la jurisprudence, comme le rappelle la mandataire. Celle-ci estime que le SEM se livre à une interprétation « tendancieuse » de la jurisprudence en vigueur et que sa décision peut être qualifiée d’arbitraire en ce qu’elle « heurte le sentiment de justice et d’équité ». Le recours est en suspens auprès du TAF au moment de la rédaction de cette fiche.

Questions soulevées

 

Le SEM peut-il continuer d’ignorer la jurisprudence du TF concernant l’application en Suisse de l’arrêt « Zhu et Chen », alors qu’il a déjà été repris par les juges fédéraux sur son interprétation erronée (notamment dans le cas « Ivana » documenté par l’ODAE) ? Est-il acceptable qu’il se fonde sur certains anciens arrêts sans tenir compte de l’évolution de la jurisprudence ?

En ne se conformant pas à la jurisprudence, le SEM provoque des procédures longues, coûteuses et éprouvantes pour les personnes concernées. Au risque que certaines renoncent à voir leurs droits et ceux de leurs enfants respectés ?

Chronologie

2003 : arrivée en Suisse, séjour au bénéfice d’un permis pour étudiante

2011 : naissance de « Xavier »

2012 : demande d’autorisation de séjour en faveur de « Xavier » et « Sofia » auprès de l’OCPM

2014 : approbation de l’OCPM et transmission du dossier au SEM (mars) ; intention de refus du SEM (oct.)

2015 : décision négative du SEM (jan.) ; recours au TAF (fév.)

Description du cas

« Sofia », ressortissante russe, arrive en Suisse en 2003 et est mise au bénéfice d’une autorisation de séjour pour étudiante qui sera régulièrement renouvelée. Son fils « Xavier » naît en septembre 2011. Il a la nationalité belge de son père qui vit en Belgique et lui rend régulièrement visite en Suisse. Fin 2012, « Sofia » bénéficie d’une carte de légitimation dans le cadre d’un emploi auprès d’une organisation internationale. A l’échéance de ce contrat, mais au bénéfice des indemnités de chômage et alors à la recherche d’un nouvel emploi, elle dépose une demande d’autorisation de séjour auprès de l’OCPM. Elle demande un titre de séjour en faveur de son fils sur la base de la nationalité belge de celui-ci (art.6 ALCP et art. 24 Annexe I ALCP), ainsi qu’un permis pour elle-même sur la base de la jurisprudence applicable. En effet, la jurisprudence « Zhu et Chen » (C-200/02 du 19.10.2004) de la CJCE (actuellement CJUE) reconnaît aux enfants ressortissants de l’UE le droit de demeurer dans un autre Etat de l’UE avec le(s) parent(s) titulaire(s) de l’autorité parentale, indépendamment de la nationalité de ce(s) dernier(s). Le(s) parent(s) dispose(nt) donc d’un droit dérivé, à condition de posséder des ressources suffisantes pour ne pas dépendre de l’aide sociale, d’avoir une assurance maladie et de disposer d’un logement adéquat. Cette jurisprudence a été reprise par le Tribunal fédéral dès 2010 (2C_624/2010 du 8.09.2010 ; 2C_574/2010 du 15.11.2010 ; 2C_253/2012 du 11.01.2013). « Sofia » affirme disposer de moyens suffisants selon les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). En mars 2014, l’OCPM rend un préavis favorable à l’octroi des permis et soumet le dossier au SEM pour approbation.

Sept mois plus tard, après avoir été relancé deux fois, le SEM annonce son intention de refus arguant que la jurisprudence « Zhu et Chen » n’a pas été reprise par la Suisse et que l’art. 24 Annexe I ALCP ne s’applique pas à des mineurs. La mandataire conteste, rappelant que le TF s’est positionné dès 2009 en faveur d’un parallélisme entre les systèmes juridiques suisses et de l’UE, sauf raisons majeures (ATF 136 II 5 du 29.09.2009). Elle cite également un arrêt récent (ATF 2C_606/2013 du 4.04.2014, consid. 3.2) dans lequel le TF rappelle qu’il s’est aligné sur la jurisprudence « Zhu et Chen » dès 2010 et à plusieurs reprises depuis lors. Pourtant, le SEM persiste et rend une décision négative, citant l’arrêt 2C_65/2012 du 22 mars 2013. Dans un recours adressé au TAF en février 2015, la mandataire conteste l’interprétation du SEM de cet arrêt qui concerne une situation où la personne ne disposait pas des moyens financiers nécessaires. Dans ses observations transmises au TAF, le SEM maintient son interprétation et ajoute que les moyens financiers ne peuvent pas être considérés comme suffisants, « Sofia » ne disposant que d’une autorisation de travail provisoire (relative à son nouvel emploi). En outre, il choisit d’évaluer les ressources de « Sofia » non pas selon les normes CSIAS, mais selon le calcul effectué par l’OCPM pour les personnes souhaitant devenir garantes pour des étrangers séjournant sans activité lucrative en Suisse (par exemple des étudiants), qui s’avère plus strict. Le SEM reproche également à « Sofia et Xavier » de dépendre de la collectivité publique puisqu’ils bénéficient de subsides d’assurance maladie.

La mandataire répond aux observations du SEM en affirmant que la reprise de l’arrêt « Zhu et Chen » par le TF est claire. D’ailleurs le TAF a suivi cette jurisprudence (C-5421/2013 du 21.07.2015) et a discrédité le SEM à ce propos dans un récent arrêt : « contrairement à ce que prétend le SEM …], force est de constater que le Tribunal fédéral a fait sienne la jurisprudence de la CJCE » ([C-1091/2013 du 20.08.2015, consid. 5.3). Sur la question financière, la mandataire rappelle que selon la jurisprudence fédérale (2C_989/2011 du 2.04.2012, consid 3.3.3) il convient bien de se fier aux normes CSIAS pour évaluer si les moyens sont suffisants et les prestations financières autres que l’aide sociale (comme les subsides d’assurance maladie ou les allocations familiales) doivent être comprises dans le calcul des moyens financiers. Elle considère donc que le SEM s’est basé à tort sur le calcul cantonal relatif aux personnes souhaitant devenir garantes pour des étrangers séjournant sans activité lucrative en Suisse. Ainsi, pour la mandataire, le SEM a interprété la jurisprudence « de manière tendancieuse » et a rendu une décision « arbitraire ». Au moment de la rédaction, « Sofia » n’est toujours pas fixée sur son sort après 13 ans de séjour en Suisse.

Signalé par : Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI) – Genève, juin 2016

Sources : déterminations de l’OCP du 3.03.14 ; exercice du droit d’être entendu par le SEM 20.10.14 puis par la mandataire 27.10.14 ; décision du SEM du 28.01.15 ; recours au TAF du 10.02.15 ; recours du 10.02.15 ; observations du SEM le 10.08.15 et de la mandataire le 21.08.15 ; duplique du SEM le 28.09.15 et ultimes remarques de la mandataire le 4.11.15.

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