Non-respect de la jurisprudence relative à l’ALCP : le TF désavoue le Tribunal cantonal

Le SPOP et le Tribunal cantonal du canton de Vaud refusent le renouvellement de l’autorisation de séjour d’Antonio* et prononcent son renvoi alors qu’il a la garde exclusive sur son enfant de 13 ans, né en Suisse et scolarisé à l’école secondaire. Le Tribunal fédéral corrige le tir, jugeant que Bruno* a le droit de terminer son école obligatoire en Suisse et qu’Antonio* a un droit dérivé à séjourner en Suisse.

Personne·s concernée·s (prénom∙s fictif∙s) : Antonio*, né en 1965, et son fils Bruno*, né en 2006

Origine : Portugal

Statut : autorisation de séjour -> renouvellement accepté

Résumé du cas

Antonio*, de nationalité portugaise, a vécu en Suisse entre 1989 et 1997. Depuis le 1er août 1991, il reçoit une rente SUVA qui le reconnaît invalide à 25%. Après plusieurs allers-retours, il revient en Suisse en 2008 et bénéficie d’une autorisation de séjour, obtenue en tant que travailleur salarié. Après sa séparation avec sa femme, en septembre 2011, Antonio* s’est vu attribuer le droit de garde de leur enfant Bruno*, qui est né en Suisse en 2006. Depuis le 27 juin 2015, Antonio* travaille quelques heures par mois.

Le 25 novembre 2015, il demande la prolongation de son autorisation de séjour au SPOP, qui la refuse et prononce son renvoi de Suisse. Le Tribunal cantonal du canton de Vaud confirme la décision du SPOP. Il juge qu’Antonio* n’a plus la qualité de travailleur salarié, dans la mesure où il n’exerce qu’une activité accessoire (art. 6 Annexe I ALCP) ; ne dispose pas d’un droit de demeurer en Suisse parce qu’il ne présente pas d’incapacité de travail permanente (art. 4 par. 2 Annexe I ALCP; Directive européenne 75/34/CEE; arrêt du TF 2C_837/2017 du 15 juin 2018, consid. 5.2) ; et n’a pas non plus de droit de séjour pour personne sans activité économique (art. 24 par. 1 Annexe I ALCP). Le Tribunal laisse ouverte la question du devenir de son fils Bruno* : il pourrait rester en Suisse avec sa mère, et ainsi se séparer de son père qui a pourtant la garde exclusive, ou retourner au Portugal avec son père, alors qu’il est né en Suisse, est adolescent et scolarisé à l’école secondaire.

Saisi d’un recours, le TF affirme qu’Antonio* a un droit à séjourner en Suisse, basé sur l’art. 3 al. 6 Annexe I ALCP, en lien avec son fils, sur lequel il a la garde exclusive. Selon la jurisprudence, les enfants d’un·e ressortissant·e de l’Union européenne qui ont bénéficiés du regroupement familial avec ce·tte dernier·ère au moment où il ou elle avait la qualité de travailleur·euse salarié·e, ont le droit de terminer leur formation dans leur État d’accueil, lorsque l’on ne peut raisonnablement pas exiger d’eux qu’ils retournent dans leur pays d’origine pour achever celle-ci (ATF 142 II 35 consid. 4.1 p. 40 s. ; 139 II 393 consid. 4.2 p. 399). Selon le TF, c’est le cas de Bruno*, qui se trouve au début de l’adolescence, une période essentielle du développement personnel et scolaire où un soudain déplacement du centre de vie peut constituer un véritable déracinement et s’accompagner de grandes difficultés d’intégration (arrêts 2C_647/2016 du 2 décembre 2016 consid. 3.4 ; 2C_997/2015 du 30 juin 2016 consid. 3.1). Bruno* a donc le droit de terminer son école obligatoire en Suisse, ce qui confère un droit dérivé à Antonio* de rester avec son fils en Suisse, et ce, indépendamment de ses moyens d’existence (ATF 142 II 35 consid. 4.2 p. 41 s. ; 139 II 393 consid. 3.3 p. 397). Le TF renvoie donc la cause au SPOP pour qu’il octroie à Antonio* une prolongation de son autorisation de séjour.

Questions soulevées

Le Tribunal cantonal a laissé entendre que Bruno* pouvait être séparé de son père, qui a pourtant la garde exclusive, suite à la révocation de l’autorisation de séjour de ce dernier. Comment le Tribunal peut-il envisager une telle séparation, niant ainsi les 3 et 9 CDE qui protègent l’intérêt supérieur de l’enfant ?

La jurisprudence du TF donne le droit aux enfants des travailleurs·euses salariées de terminer leur formation dans l’État d’accueil, uniquement lorsqu’on ne peut pas exiger d’eux qu’ils retournent dans leur pays d’origine. Cette condition ne va-t-elle pas à l’encontre de la jurisprudence européenne (CJUE « Baumbast et R » C-413/99) et du règlement européen (CEE N° 1612/68 du 15 octobre 1968, art. 12) qui semble plus large et prévoit un droit d’accès aux cours d’enseignement pour les enfants d’un ressortissant d’un État membre « qui est ou a été employé » sur le territoire d’un autre État membre ?

Chronologie

2008 : Le SPOP délivre une autorisation de séjour à Antonio (nov.)

2011 : Antonio* se sépare de sa femme (sept.) et se voit attribuer le droit de garde de leur fils Bruno*.

2015 : Antonio* demande la prolongation de son autorisation de séjour (nov.)

2016 : le SPOP donne à Antonio* un délai d’une année pour retrouver son autonomie financière (juil.)

2018 : le SPOP refuse de renouveler l’autorisation de séjour d’Antonio* et prononce son renvoi de Suisse (mars)

2019 : Antonio* fait recours au Tribunal cantonal du canton de Vaud (avr.) ; le Tribunal cantonal rejette le recours (juin) ; recours au TF (juil.) ; le TF admet le recours et renvoi la cause au SPOP pour prolonger l’autorisation de séjour d’Antonio* (déc.)

Description du cas

Antonio*, de nationalité portugaise, a vécu en Suisse entre 1989 et 1997. Depuis le 1er août 1991, il reçoit une rente SUVA qui le reconnaît invalide à 25%. Après plusieurs allers-retours, il revient en Suisse en 2008 et bénéficie d’une autorisation de séjour, obtenue en tant que travailleur salarié. Après sa séparation avec sa femme, en septembre 2011, Antonio* s’est vu attribuer le droit de garde de leur enfant Bruno*, qui est né en Suisse en 2006. Entre 2012 et 2018, Antonio* bénéficie de l’aide sociale vaudoise en complément de sa rente SUVA, et, depuis 2015, il travaille quelques heures par mois pour une institution qui œuvre pour l’insertion sociale et professionnelle d’adultes en difficulté. Depuis 2018, il bénéficie également des prestations complémentaires pour familles, selon la loi vaudoise LPCFam. Le 25 novembre 2015, Antonio* avait demandé la prolongation de son autorisation de séjour au SPOP. Ce dernier lui avait donné un délai d’un an, pendant lequel Antonio* devait gagner en autonomie financière. En 2018, le SPOP refuse de renouveler son autorisation de séjour et prononce son renvoi de Suisse.

Saisi d’un recours, le Tribunal cantonal du canton de Vaud confirme la décision du SPOP le 25 juin 2019, jugeant qu’Antonio* n’a pas la qualité de travailleur, dans la mesure où il n’exerce qu’une activité accessoire (art. 6 Annexe I ALCP) ; ne dispose pas d’un droit de demeurer en Suisse, puisqu’il ne présente pas d’incapacité de travail permanente au sens de la jurisprudence du TF (art. 4 par. 2 Annexe I ALCP; Directive européenne 75/34/CEE; arrêt du TF 2C_837/2017 du 15 juin 2018, consid. 5.2) ; et n’a pas non plus de droit de séjour pour personne sans activité économique, du moment qu’il perçoit des PC familles (art. 24 par. 1 Annexe I ALCP). Dans sa décision, le Tribunal laisse également ouverte la question du devenir de son fils Bruno* : il pourrait rester en Suisse avec sa mère, et ainsi se séparer de son père qui a pourtant la garde exclusive, ou retourner au Portugal avec son père, alors qu’il est né en Suisse, est adolescent et scolarisé à l’école secondaire. Le Tribunal refuse ainsi d’appliquer la jurisprudence européenne, reprise par le TF, selon laquelle les enfants de ressortissants communautaires ont le droit de poursuivre leur scolarité́ ou leur formation professionnelle dans le pays de résidence, indépendamment de la nationalité́, du statut, ainsi que de la situation professionnelle et financière de leurs parents, à condition que ces enfants aient auparavant bénéficiés du regroupement familial avec un∙e de leurs parent, à l’époque travailleur∙euse salarié∙e (ATF 142 II 35 consid. 4.1 p. 40 s. ; 139 II 393 consid. 4.2 p. 399 ; CJUE « Baumbast et R » C-413/99).

Saisi d’un recours, le TF juge, conformément aux instances inférieures, qu’Antonio* ne peut pas se prévaloir de la qualité de travailleur salarié, qu’il ne dispose pas d’un droit de demeurer en Suisse, et qu’il n’a pas non plus de droit de séjour pour personne sans activité économique. Cependant, le TF affirme qu’Antonio* a un droit à séjourner en Suisse, basé sur la jurisprudence précitée, en lien avec son fils pour lequel il a la garde exclusive. Le TF rappelle que les enfants ont le droit de terminer leur formation dans leur Etat d’accueil, lorsque l’on ne peut raisonnablement pas exiger d’eux qu’ils retournent dans leur pays d’origine pour achever celle-ci. Le parent qui exerce la garde de l’enfant a également un droit de séjour, indépendamment de ses moyens d’existence (ATF 142 II 35 consid. 4.2 p. 41 s. ; 139 II 393 consid. 3.3 p. 397). Dans le cas d’Antonio*, le TF juge que Bruno* se trouve au début de l’adolescence, une période essentielle du développement personnel et scolaire où un soudain déplacement peut constituer un véritable déracinement et s’accompagner de grandes difficultés d’intégration (arrêts 2C_647/2016 du 2 décembre 2016, consid. 3.4 ; 2C_997/2015 du 30 juin 2016 consid. 3.1). Bruno* a donc le droit de terminer son école obligatoire en Suisse, conformément à l’art. 3 al. 6 Annexe I ALCP, ce qui confère ainsi un droit dérivé à Antonio*. Le TF renvoie donc la cause au SPOP pour qu’il octroie à Antonio* une prolongation de son autorisation de séjour.

Signalé par : CSP Vaud – mars 2020

Sources : Arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, PE.2018.0138 du 25 juin 2019 ; Recours ; Arrêt du TF 2C_673/2019 du 3 décembre 2019

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