L’ODM nie la jurisprudence fédérale et renvoie un enfant ressortissant européen

Mariée à un ressortissant français depuis 2005, « Ivana » s’installe en Suisse et y occupe divers emplois. Après le prononcé de son divorce et malgré son indépendance financière, elle se voit refuser le regroupement familial qui découle du droit de séjour de son fils, ressortissant communautaire. Dans son argumentaire, l’ODM nie l’évolution de la jurisprudence du TF.

Mise à jour

Par arrêt du 11 août 2015, le TAF a approuvé la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de « Gaël » et de sa mère « Ivana » en application des dispositions de l’ALCP, ainsi que de sa demi-sœur « Assia », en application de l’art. 8 par. 1 CEDH. Sur recours du SEM, le TF a confirmé cet ATAF par arrêt du 1er mars 2016 (2C_840/2015).

Personne(s) concernée(s) : « Ivana », née en 1979, et ses deux enfants

Statut : permis B par mariage -> non renouvellement

Résumé du cas

Suite à leur rencontre en 2005, « Ivana », ressortissante russe, et « Pierre », de nationalité française, se marient et s’installent à Nyon avec « Assia », la fille d’« Ivana », âgée de trois ans. En 2008, « Pierre » est délocalisé à Hong-Kong et toute la famille s’y rend avec l’intention d’y rester deux ans, mais les maladies chroniques d’« Assia » poussent « Ivana », alors enceinte, à rentrer rapidement en Suisse avec sa fille. En 2009, elle y met au monde « Gaël », de nationalité française. Début 2010, l’autorisation de séjour d’« Ivana » est remplacée par un permis de courte durée, car ne vivant plus avec son époux, le SPOP considère qu’elle ne peut plus bénéficier des dispositions du regroupement familial. N’ayant plus le droit de travailler, elle perçoit un revenu d’insertion. Fin 2011, le SPOP, au vu de sa situation financière, décide de ne pas renouveler son titre de séjour. Recourant auprès du Tribunal cantonal peu après son divorce, « Ivana » est à nouveau autorisée à travailler et retrouve son indépendance financière. Le SPOP décide alors de préaviser favorablement à l’octroi d’un permis de séjour au titre de l’ALCP, considérant qu’« Ivana », remplit les conditions permettant de bénéficier du regroupement familial reposant sur la nationalité française de son fils (art.6 ALCP, art.3 et art.24 Annexe I ALCP). En effet, l’interprétation large du droit au regroupement familial de l’arrêt Zhu et Chen de la CJCE (C-200/02), que le TAF et le TF ont intégré au droit suisse depuis 2010, permet au parent ressortissant d’un État tiers possédant la garde d’un mineur en bas âge, lui-même citoyen d’un pays membre de l’UE, de bénéficier d’une autorisation de séjour, à condition que les moyens financiers du premier permettent au second de ne pas dépendre de l’aide sociale. Pourtant, l’ODM nie la reprise de cette jurisprudence et se réfère à des arrêts plus anciens. Fin 2012, « Ivana » a déposé un recours auprès du TAF, dont la décision est en attente au moment de la rédaction de cette fiche.

Questions soulevées

Depuis 2010, le TF reconnaît le droit d’un enfant communautaire à résider dans un Etat partie à l’ALCP avec son parent étranger qui en a la garde. Comment la mère de « Gaël » peut-elle se voir refuser ceci alors qu’elle remplit manifestement les conditions posées?

Comment expliquer que l’ODM se permette d’ignorer la reprise faite par les tribunaux fédéraux de la jurisprudence européenne en la matière ? Est-il acceptable que l’ODM s’autorise à choisir parmi les arrêts du TF ceux dont il reconnaît l’application, au mépris de leur évolution ?

Chronologie

2005 : « Ivana » et « Pierre » se marient

2008 : départ de la famille à Hong-Kong (sept.) puis retour en Suisse d’« Ivana » et de sa fille « Assia » (déc.)

2009 : naissance de « Gaël » (sept.)

2010 : octroi d’un permis de courte durée sans autorisation d’exercer une activité lucrative (fév.)

2011 : refus de renouvellement de permis par le SPOP (oct.) ; recours (nov.) ; divorce (déc.)

2012 : préavis positif du SPOP (mars) ; refus de l’ODM (août) ; recours devant le TAF (sept.)

Description du cas

Début 2005, « Ivana », ressortissante russe en séjour à Genève à l’occasion d’un mariage, y rencontre « Pierre », de nationalité française. Après de nombreux aller-retour entre Genève et Moscou, « Ivana » s’installe chez « Pierre », emmenant avec elle « Assia », sa fille de trois ans. Le couple se marie fin 2005 et emménagent à Nyon. « Ivana » et sa fille reçoivent un permis de séjour de type B en vertu du regroupement familial (art. 43 al. 1 LEtr). Après avoir occupé divers emplois jusqu’à fin 2008, « Ivana », accompagnée de sa fille, suit « Pierre » à Hong-Kong où celui-ci est transféré pour deux ans. Mais la chaleur de Hong-Kong provoquant des maladies chroniques chez « Assia », « Ivana » décide, trois mois après leur départ et sur les conseils d’un pédiatre, de rentrer en Suisse avec sa fille. Son permis B étant toujours valable, elle retrouve rapidement du travail. Fin 2009, « Ivana » met au monde « Gaël », qui hérite de la nationalité française de son père.

En 2010, le SPOP décide de ne pas renouveler le permis B d’« Ivana ». En effet, le Service juge que n’étant pas accompagné de son époux, qui se trouve toujours à Hong-Kong, elle ne peut plus bénéficier des dispositions du regroupement familial. Elle se voit par conséquent octroyer un permis de courte durée sans autorisation d’exercer une activité lucrative, renouvelable jusqu’au retour de « Pierre ». Se séparant de celui-ci quelques mois plus tard, « Ivana » bénéficie alors d’un revenu d’insertion. En octobre 2011, le SPOP refuse de renouveler l’autorisation de courte durée d’« Ivana » et de ses enfants et prononce leur renvoi. « Ivana », fraîchement divorcée, fait recours contre cette décision auprès du Tribunal cantonal. Le Tribunal autorise « Ivana » à reprendre une activité lucrative afin de pouvoir subvenir à l’entretien de son fils et ainsi remplir les conditions de l’article 24 Annexe I ALCP, desquelles dépend le droit de séjour de son fils, et, par extension, le sien. « Ivana » trouve rapidement un emploi, ce qui lui permet à nouveau de subvenir aux besoins de sa famille, remplissant ainsi les conditions précitées. Le SPOP annule la décision de non-renouvellement et de renvoi et se montre disposé à lui délivrer une autorisation de séjour conformément à l’art.6 ALCP et de l’art. 3 Annexe I ALCP, ainsi que sur la base de la jurisprudence de la CJCE, du TF et du TAF en vigueur en la matière. Son dossier est alors transmis à l’ODM pour approbation.

En mai 2012, l’Office fédéral l’informe de son intention de refuser l’octroi de cette autorisation, estimant qu’elle ne peut se prévaloir de la nationalité française de son fils, et respectivement de l’ALCP, pour invoquer un droit de séjour. Dans son argumentaire, l’ODM énonce qu’« il n’y a pas lieu, sur la base de l’ALCP, qui est avant tout un accord de nature économique, de reconnaître aux ressortissants communautaires mineurs un droit originaire de s’installer et de résider en Suisse ». En outre, l’ODM cite des arrêts du TF datant de 2005, omettant ainsi l’évolution de la jurisprudence fédérale depuis lors, à savoir la reprise de l’arrêt Zhu et Chen de la CJCE (C-200/02), qui permet au parent ressortissant d’un Etat tiers possédant la garde d’un mineur en bas âge ressortissant d’un Etat communautaire de bénéficier d’une autorisation de séjour, lorsque les moyens financiers du premier permettent au second de ne pas dépendre de prestations d’assistance. Après avoir exercé son droit d’être entendu dans lequel elle rappelle à l’ODM la reprise de cet arrêt par le TF (2C_574/2010 consid. 2.2.2) et le TAF (C-8028/2009 consid. 8), « Ivana » reçoit en août 2012 une décision négative accompagnée d’une décision de renvoi à son encontre ainsi qu’à celle de ses deux enfants. L’ODM maintient que « le Tribunal fédéral n’a, à ce jour, pas repris la jurisprudence « Chen » ». « Ivana » a interjeté recours avec effet suspensif en septembre 2012 et attend actuellement qu’il soit traité par le TAF.

Signalé par : Un avocat du canton de Genève, septembre 2012

Sources : déterminations du SPOP du 30.11.11; exercice du droit d’être entendu du 27.06.12 ; décision de l’ODM du 13.08.12 ; recours au TAF du 14.09.12 ; arrêt du TAF C-8028/2009 du 30.01.12 ; arrêt du TF 2C_574/2010 du 15.11.10 et 135 II 265 du 24.03.2009 ; arrêt de la CJCE C-200/02 du 19.10.04.

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