Il évite de peu le renvoi, faute d’avoir
suffisamment prouvé son homosexualité

« Alain » fuit le Cameroun craignant d’être emprisonné et persécuté pour son orientation sexuelle. Mais sa demande d’asile est rejetée, l’ODM et le TAF doutant de son homosexualité. Suite aux multiples démarches de sa mandataire l’ODM finit par revenir sur sa décision.

Personne(s) concernée(s) : « Alain », né en 1969

Statut : demande d’asile rejetée -> asile après deuxième demande

Résumé du cas

« Alain » quitte son pays, le Cameroun et demande l’asile en Suisse en 2010, afin de ne pas subir le même sort que son compagnon, incarcéré en raison de son homosexualité après qu’ils aient été surpris ensemble et dénoncés à la police. En effet, l’art. 347bis du code pénal camerounais prévoit une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 20.000 à 200.000 francs CFA pour « toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ». Bien qu’ils ne contestent pas cette situation, l’ODM, puis le TAF, rejettent la demande d’« Alain », considérant d’une part que son homosexualité n’est pas prouvée, et d’autre part, qu’il a pu éviter les persécutions liées à son orientation sexuelle en adoptant un « comportement prévoyant ». En août 2011, « Alain » est arrêté et placé en détention administrative à la prison centrale de Fribourg. Sa mandataire adresse alors une deuxième demande d’asile à l’ODM. Elle fournit des documents confirmant l’incarcération de l’ami d’« Alain » et cite divers rapports attestant du risque, pour les personnes soupçonnées d’être homosexuelles, de subir des traitements inhumains ou dégradants au Cameroun. Par ailleurs, l’association Pink Cross (faîtière des organisations gaies en Suisse) transmet une prise de position à l’ODM, dans laquelle elle affirme qu’on ne peut exiger d’une personne homosexuelle qu’elle vive dans la discrétion pour éviter les persécutions. En décembre 2011, l’ODM informe « Alain » que l’exécution de son renvoi est suspendue et qu’une nouvelle procédure d’asile est ouverte. Sa mandataire fait alors appel à l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) afin de documenter la situation au Cameroun et d’appuyer certains faits allégués par « Alain ». En octobre 2012, l’ODM décide finalement d’octroyer l’asile à « Alain ».

Questions soulevées

 Est-il légitime d’exiger d’une personne homosexuelle de retourner dans son pays, qui réprime ouvertement l’homosexualité, parce qu’elle n’a pas encore été persécutée ou qu’elle peut cacher son orientation sexuelle ? Est-il d’ailleurs tolérable de lui demander de cacher son homosexualité ?

 Que penser, par ailleurs, de la mise en doute de son homosexualité ? Est-il légitime d’exiger des preuves tangibles d’une relation homosexuelle qui ne pouvait justement pas être vécue au grand jour ?

Chronologie

2010 : décision de l’ODM (nov.)

2011 : arrêt du TAF (janv.) ; arrêt du TAF (août) ; ouverture d’une nouvelle procédure (déc.)

2012 : obtention de l’asile (oct.)

Description du cas

En 2010, « Alain » et son ami, ressortissants camerounais, sont surpris ensemble et dénoncés à la police pour homosexualité. « Alain » se cache et réussit à fuir le pays, mais son compagnon est arrêté et incarcéré. En effet, l’homosexualité est pénalement réprimée au Cameroun, le code pénal prévoyant, à l’art. 347bis, une peine d’emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 20’000 à 200’000 francs CFA. À son arrivée en Suisse en septembre 2010, « Alain » demande l’asile. Deux mois plus tard, l’ODM rejette la demande, jugeant ses déclarations invraisemblables (art. 7 LAsi). L’Office juge peu crédible qu’« Alain » et son ami « se soient laissés aller à des ébats […] sans prendre de précautions pour éviter d’être surpris ». L’Office met en doute l’homosexualité d’« Alain » en retenant qu’il a fait des « déclarations dépourvues de détails et de vécu » et qu’il ne connaît ni les associations d’aide aux homosexuels, ni les lieux de rencontre, ni la législation camerounaise à ce sujet. Même dans le cas où son homosexualité était avérée, « Alain » ne courrait pas de danger lié à son orientation sexuelle, selon l’ODM, puisqu’en adoptant « un comportement tout à fait prévoyant », il a jusqu’alors évité toute persécution. Saisi par un recours qu’il juge voué à l’échec, le TAF exige le versement d’une avance de frais de 600 francs. Il confirme la décision de l’ODM, soulignant que « le recourant n’a rendu vraisemblable ni son homosexualité ni, partant, ses craintes de subir des représailles en raison de ses préférences sexuelles ». « Alain » ne pouvant s’acquitter de l’avance de frais, le recours est déclaré irrecevable en janvier 2011.

En août 2011, alors qu’il se rend au SPOMI pour son contrôle d’identité hebdomadaire, « Alain » est arrêté et placé en détention administrative. Sa mandataire adresse alors une deuxième demande d’asile à l’ODM. Elle fournit un document intitulé « procès-verbal de notification d’ordonnance de mise en liberté sous cautionnement » démontrant que le compagnon d’« Alain » a bien été incarcéré. Elle cite également des rapports de l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW) sur la situation des personnes homosexuelles au Cameroun, faisant état d’arrestations arbitraires, de conditions de détention inhumaines, et d’un climat de peur constant, entretenu par les fréquentes dénonciations (HRW, rapports du 17 mai 2011 et du 4 novembre 2010). Pour la mandataire, il est évident, vu l’incarcération du compagnon d’« Alain » et le fait que ce dernier ait été dénoncé à la police, qu’en cas de retour, « Alain » risquerait d’être emprisonné en raison de son homosexualité. L’art. 3 LAsi reconnaît d’ailleurs comme motif d’asile les persécutions fondées sur l’appartenance à un groupe social déterminé dont peuvent faire partie les personnes homosexuelles (directives ODM). Par conséquent, elle demande sa mise en liberté, l’annulation de son renvoi, et la reconnaissance de sa qualité de réfugié.

Entre-temps, l’affaire est rendue publique et des articles paraissent dans la presse en Suisse. Considérant que cela renforce la mise en danger d’« Alain » en cas de renvoi au Cameroun, sa mandataire en informe l’ODM. Elle transmet également une photo d’« Alain » avec son ami, estimant que « cette image constitue une preuve supplémentaire de son homosexualité ». Dans l’éventualité où les autorités jugeraient toujours ces preuves insuffisantes, elle leur suggère d’ordonner un examen psychiatrique. Par ailleurs, l’association Pink Cross (faîtière des organisations gaies en Suisse) adresse une prise de position à l’ODM dans laquelle elle s’appuie sur un arrêt de la Cour suprême britannique (UKSC 2009/0054, para. 65, p. 29), pour affirmer qu’on ne peut exiger d’une personne homosexuelle qu’elle vive dans la discrétion pour ne pas risquer des persécutions. En décembre 2011, l’ODM informe « Alain » que l’exécution de son renvoi est suspendue et qu’une nouvelle procédure d’asile est ouverte. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), contactée par la mandataire, procède alors à une documentation de la situation au Cameroun et recueille plusieurs informations corroborant les faits allégués par « Alain », notamment des témoignages confirmant sa dénonciation auprès de la police. En octobre 2012, l’ODM décide finalement d’accorder l’asile à « Alain ».

Signalé par : Le Centre de contact Suisses-Immigrés CCSI/SOS Racisme – Fribourg, décembre 2012

Sources : décisions ODM (09.11.2010 et 12.10.2012) ; arrêts du TAF (04.01.2011 et 10.08.2011, non publiés) ; prise de position de Pink Cross.

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