Une activiste tamoule de longue date frôle un renvoi au Sri Lanka

« Sudar », militante des Tigres Tamouls persécutée au Sri Lanka, et son fils voient leur demande d’asile rapidement refusée suite à leur arrivée en Suisse. Ce n’est qu’après avoir saisi une instance internationale et qu’un événement funeste soit survenu dans ce pays que l’ODM réexamine sa décision et octroie l’asile à « Sudar » et son fils.

Personne(s) concernée(s) : « Sudar », née en 1970 et son fils, né en 2003

Statut : demande d’asile rejetée -> asile après réexamen

Résumé du cas

La Sri-lankaise « Sudar » est persécutée à cause de son activisme durant près de vingt ans au sein des LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam). En effet, à la fin officielle du conflit en 2009, son mari décède, son fils est blessé et « Sudar » est mise en détention avec celui-ci. Après leur libération, « Sudar » et son fils déposent une demande d’asile à l’ambassade suisse au Sri Lanka en juin 2010. Suite à son audition, « Sudar » reste sans nouvelles de l’ambassade. Craignant pour leur intégrité à cause de visites incessantes de militaires, « Sudar » et son fils quittent le Sri Lanka et demandent l’asile directement en Suisse, en mai 2012. Le mois suivant, l’ODM prononce une décision négative, considérant que « Sudar » n’a pas été persécutée dans le passé et que rien n’indique que cela pourrait être le cas dans le futur. Le TAF confirme cette décision et rejette, par la suite, une demande de révision. En s’appuyant notamment sur de nombreux documents prouvant son appartenance active aux LTTE (photographies, textes et vidéo), « Sudar » porte son cas, en décembre 2012, devant le Comité contre la torture (CAT) des Nations Unies. Elle craint d’être torturée en cas de retour au Sri Lanka et soutient que son renvoi violerait l’article 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En juin 2013, appelées à se prononcer, les autorités suisses rejettent en bloc l’argumentaire porté devant le CAT. Cependant, deux mois plus tard, elles suspendent, de manière généralisée, tous les renvois à destination du Sri Lanka, en raison de l’arrestation de deux Tamouls renvoyés par la Suisse (voir info brève). En juin 2014, avant que le CAT ne rende sa décision, « Sudar » et son fils obtiennent l’asile, alors même que l’ODM vient de lever l’arrêt généralisé des renvois (voir info brève).

Questions soulevées

 La demande d’asile de « Sudar » a vraisemblablement été traitée de manière « mécanique », les demandes de Sri-lankais ayant été considérées dès 2012 comme vouées à l’échec (voir ODM, rapport sur la migration 2012, p. 40). Ce cas ne démontre-t-il pas qu’un examen « à la chaîne » et trop rapide de la demande d’asile peut amener à une mauvaise décision et entraîner de lourdes conséquences ?

 Que penser du fait qu’il ait fallu l’arrestation de deux autres ressortissants srilankais suite à un renvoi, ainsi qu’une requête auprès d’une instance internationale pour que l’ODM se résolve à prendre en considération les risques individuels encourus par « Sudar » en cas de retour ?

Chronologie

1987-2008 : engagement de « Sudar » au sein des LTTE

2010 : demande d’asile déposée à l’ambassade suisse au Sri Lanka (juin), audition à l’ambassade sans décision ultérieure (sept.)

2012 : nouvelle demande d’asile déposée à l’aéroport de Genève (mai), décision négative de l’ODM (juin), recours au TAF (juin), décision négative du TAF (juil.), demande de révision de l’arrêt du TAF (août), demande jugée irrecevable (nov.), communication individuelle au CAT (déc.)

2013 : observations du gouvernement suisse au CAT (juin), suspension des renvois vers le Sri Lanka prononcée par l’ODM et remise d’un permis N à « Sudar » et à son fils (août)

2014 : reprise générale des renvois vers le Sri Lanka (mai), décision positive d’asile pour « Sudar » et son fils (juin)

Description du cas

« Sudar » a été membre active des LTTE pendant près de vingt ans en pratiquant notamment du journalisme et en fréquentant de hauts dirigeants de l’organisation. En 2009, année de la fin de la guerre civile au Sri Lanka et de la déroute des séparatistes tamouls, son mari est tué et son fils sérieusement blessé. En juin de la même année, « Sudar » et son fils tentent de s’enfuir en Inde mais sont arrêtés et emprisonnés par la police. Onze mois plus tard, en mai 2010, elle parvient à sortir du camp de détention grâce à sa famille qui soudoie un gardien. Elle dépose une demande d’asile à l’ambassade suisse de Colombo en juin 2010. Après son audition, elle reste sans nouvelles de l’ambassade pendant plus de vingt mois. Suite à de nombreuses visites à son domicile d’hommes en uniforme et en civil afin de l’interroger, « Sudar » et son fils, par crainte d’être à nouveau persécutés, quittent le Sri Lanka en mai 2012 et déposent une demande d’asile en Suisse.

Moins de trois semaines après, ils reçoivent une décision négative de la part de l’ODM. Les autorités affirment que rien n’indique que « Sudar » ou son fils « soient victimes dans un proche avenir de persécutions au sens de la loi sur l’asile ». Selon l’ODM, « Sudar » n’a pas rendu vraisemblable le fait qu’elle puisse subir des préjudices en raison de son appartenance aux LTTE. Il prononce donc son renvoi, licite au regard de l’article 3 CEDH.

Dans le cadre du recours au TAF, le mandataire déplore le caractère superficiel des auditions et le fait que les autorités n’aient peu, sinon pas, pris en compte les documents (photographies ou vidéo diffusée sur Youtube de « Sudar » ou de sa famille en compagnie des personnalités les plus importantes des LTTE) prouvant le militantisme de longue durée de « Sudar » ainsi que sa fréquentation des hautes sphères de l’organisation. Le TAF s’appuie sur les mêmes arguments que l’ODM et rejette le recours. Le Tribunal ajoute que les preuves sont insuffisantes pour démontrer une persécution individuelle ainsi qu’une appartenance aux LTTE et que plusieurs éléments contredisent l’histoire de « Sudar ». En particulier, le TAF est d’avis que les tampons qui figurent dans le passeport de « Sudar » prouvent qu’elle n’était pas au Sri Lanka mais en Grèce au moment des visites et des interrogatoires des militaires. Une vérification du mandataire au Consulat de Grèce démontrera que les tampons étaient des faux.

« Sudar » demande une révision de la décision du TAF en alléguant qu’il a omis les preuves fournies, ignoré son passé au sein des LTTE et mal examiné les tampons dans son passeport, mais cette demande est jugée irrecevable par le Tribunal. Face à l’épuisement des voies de recours, le mandataire, secondé par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), soumet, en décembre 2012, ce cas au CAT. L’argument principal souligne qu’un renvoi au Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture ratifiée par la Suisse en 1986, la situation étant alarmante pour les ex-LTTE selon bon nombre d’observateurs (Human Rights Watch, UK Border Agency, UNHCR). Le CAT accorde immédiatement l’effet suspensif à la requête et ordonne aux autorités suisses de suspendre l’exécution du renvoi de « Sudar » et de son fils jusqu’à décision finale.

À l’été 2013, peu après que le gouvernement suisse ait fait part de ses observations devant le CAT et rejeté les arguments de « Sudar », l’ODM suspend les renvois à destination du Sri Lanka après que deux ressortissants de ce pays aient été arrêtés à Colombo. Avant que le CAT n’ait rendu sa décision, « Sudar » et son fils obtiennent finalement l’asile au début de l’été 2014.

Signalé par : ELISA – juillet 2014

Sources : PV d’auditions de l’ODM (01.06.2012, 07.06.2012) ; décision ODM (15.06.2012) ; recours au TAF (22.06.2012) ; arrêt du TAF (05.07.2012) ; demande de révision de la décision du TAF (24.08.2012) ; communication individuelle au CAT (07.12.2012) ; observations du gouvernement suisse (10.06.2013) ; réplique d’ELISA-OMCT (12.08.2013)

Cas relatifs

Cas individuel — 03/10/2024

"Avec les limites du permis F, je ne me sens pas complet"

Salih*, né en 1999 en Érythrée, arrive en Suisse en 2015, à l’âge de 16 ans. Il demande l’asile sans documents d’identité et reçoit un permis F en 2017. Il apprend le français et obtient un AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) puis un CFC (certificat fédéral de capacité) de peintre en bâtiment. Malgré ses efforts d’intégration, ses demandes de transformation de son permis F en permis B sont systématiquement rejetées par le Secrétariat d’État aux migrations en raison de l’absence de documents d’identité officiels. Les autorités suisses lui demandent à plusieurs reprises de se procurer ces documents auprès de l’ambassade d’Érythrée, mais Salih* refuse de s’y rendre, craignant pour sa vie en raison de ses critiques à l’égard du gouvernement érythréen. Une situation qui le place dans une impasse.
Cas individuel — 30/09/2013

L’ODM refuse l’asile à une famille n’ayant pas de possibilité de refuge interne

L’ODM ne tient pas compte d’une jurisprudence du TAF sur l’impossibilité de fuite interne en Afghanistan et refuse le statut de réfugié à « Jamal » et sa famille. Il affirme en effet que les persécutions subies par cette famille et leurs proches n’ont eu lieu que dans une seule province et que la famille pourrait s’installer à Kaboul. Le TAF n’est pas de cet avis.
Cas individuel — 24/07/2013

Une femme afghane seule avec 4 enfants
doit faire recours pour obtenir l’asile

« Nahid » et ses quatre enfants demandent l’asile en Suisse. Leur demande est rejetée par l’ODM, qui dans un premier temps suspend l’exécution du renvoi avant de juger que le retour à Kaboul est exigible. Sur recours, le TAF reconnaît pourtant la vraisemblance des motifs d’asile.
Cas individuel — 24/08/2009

Obtenir des papiers est impossible, mais ce n’est pas une excuse

Un requérant d’asile doit présenter une carte d’identité ou un passeport lors du dépôt de sa demande, sous peine de la voir frappée de non entrée en matière (NEM). L’Ouganda, explique « William », ne délivre pas de carte d’identité, et les passeports y sont réservés aux privilégiés. Excuse rejetée.