Vraisemblance des motifs : le TAF désavoue l’analyse de l’ODM

Alors que l’ODM rejette la demande d’asile de « Mehdi », en qualifiant ses allégations de non vraisemblables et les réponses sur ce qu’il a subi de « vagues et stéréotypées », le TAF, qui a plus d’informations, juge son récit « particulièrement détaillé et convaincant ». « Mehdi » obtient donc l’asile sur recours.

Personne(s) concernée(s) : « Mehdi », homme célibataire né en 1975

Statut : demande d’asile -> réfugié reconnu

Résumé du cas

En 2000, « Mehdi » aide son frère, membre d’une organisation d’opposition au régime iranien, dans le transport de documents compromettants. En tentant d’échapper à une interpellation par des agents des services du renseignement, il renverse l’un d’eux avant d’être arrêté. En prison, il subit des interrogatoires violents (torture) et une pression psychologique incessante de la part de ses gardes. En 2002, le Tribunal de la révolution le condamne à mort pour tentative d’assassinat et collaboration avec une organisation opposée au régime. Il s’évade en mars 2003, gagne la Suisse et y dépose une demande d’asile. En août 2003, l’ODR rejette sa demande en estimant notamment que les réponses qu’il donne sur ce qu’il a subi sont « vagues et stéréotypées ». Il fait recours en précisant que son frère, reconnu réfugié en Angleterre, autorise les autorités suisses à consulter son dossier dans le cadre de leurs échanges avec leurs homologues anglais. En 2007, le TAF demande pourtant à « Mehdi » de récupérer lui-même ce dossier, alors que son frère ne peut plus l’obtenir depuis que sa procédure est close. Cela ne sera possible qu’après de nombreuses démarches qui nécessiteront de multiples prolongations de délai.
En mai 2009, le Tribunal administratif fédéral infirme la décision de première instance et conclut à la reconnaissance du statut de réfugié. Il estime en effet que le « récit est particulièrement détaillé et convaincant », que « l’intéressé a fourni beaucoup de détails » et que le dossier de demande d’asile de son frère « confirme dans l’ensemble les allégations du recourant sur ses motifs d’asile ».

Questions soulevées

 L’appréciation de la vraisemblance des motifs d’asile est essentielle pour statuer correctement. N’est-il pas inquiétant que l’appréciation faite par l’ODM dans ce dossier soit intégralement rejetée par l’instance de recours, et cela pour des motifs diamétralement inverses ?

 Ce n’est qu’à grand peine que la mandataire du requérant a pu se procurer le dossier de son frère, reconnu réfugié dans un autre pays, alors que les autorités suisses auraient pu l’obtenir beaucoup plus facilement. La procédure d’asile ne fait-elle pas reposer une charge trop lourde sur le requérant?

Chronologie

2002 : condamnation à mort pour des motifs politiques (30 nov.)

2003 : évasion et fuite hors du pays (1er mars) ; demande d’asile (8 avril) ; rejet de la demande par l’ODR (27 août) ; recours auprès de la CRA (2 oct.)

2009 : reconnaissance du statut de réfugié par le TAF (7 mai)

Description du cas

En 2000, « Mehdi » aide son frère, membre d’une organisation d’opposition au régime iranien, dans le transport de documents compromettants, tout en ignorant le détail de ses activités. Un jour, en rentrant chez lui, il aperçoit des agents du service des renseignements devant sa maison. Pensant que son frère et lui ont été dénoncés, il tente de s’enfuir et renverse l’un de ces agents avant d’être arrêté. Il est d’abord détenu seul pendant plusieurs mois et subit des interrogatoires violents (torture). Il est ensuite transféré dans une autre prison où il partage sa cellule avec d’autres détenus et endure une pression psychologique incessante.

En 2002, le Tribunal de la révolution le condamne à mort pour tentative d’assassinat et collaboration avec une organisation opposée au régime. Il forme un recours, mais son avocat lui indique qu’il a peu de chance d’aboutir. Un membre de sa famille réussit à organiser son évasion en mars 2003 en corrompant un agent et l’aide à gagner la Suisse, où il arrive un mois plus tard et dépose une demande d’asile.

En août 2003, l’ODR refuse de lui accorder l’asile aux motifs que ses « allégations ne répondent pas aux exigences en matière de vraisemblance», notamment parce qu’il ne connaît pas le nom de l’organisation pour laquelle travaille son frère ni le contenu des documents à livrer. En outre, l’ODR relève que « les réponses du requérant sur le contenu des interrogatoires étaient vagues et stéréotypées », et qu’il est peu probable que des personnes aient pris le risque d’organiser son évasion.

« Mehdi » fait recours en octobre 2003. Il explique que l’opposition au régime agit dans la plus grande discrétion, d’où son ignorance sur les activités de son frère et rappelle le caractère arbitraire des procédures ainsi que l’usage fréquent de la corruption en Iran. Il informe également les autorités que son frère a quant à lui obtenu l’asile en Angleterre. Il joint à son recours la copie de la décision rendue par les autorités britanniques. Il précise que son frère autorise les autorités suisses à prendre contact avec leurs homologues anglais pour accéder à ce dossier, qui pourrait confirmer ses propres explications. Il joint aussi un certificat médical attestant des mauvais traitements subis lors de sa captivité en Iran.

Les autorités ne donnent pas suite à la proposition de consulter le dossier du frère en s’adressant à leurs homologues anglais. Mais en 2007, elles demandent au recourant de produire lui-même ce dossier. La mandataire de « Mehdi » va alors connaître de grandes difficultés pour récupérer l’intégralité de ce dossier : le frère ne peut plus l’obtenir parce que la procédure est close, son avocat est parti à la retraite, etc. Il lui faudra demander à quatre reprises une prolongation de délai pour arriver au bout de ces démarches. En février 2008, les pièces essentielles pourront enfin être transmises au TAF après traduction.

En mai 2009, le TAF annule la décision de première instance en estimant, à l’inverse de l’ODM, que le « récit est particulièrement détaillé et convaincant » et que « l’intéressé a fourni beaucoup de détails ». Il ajoute que le dossier d’asile de son frère (qu’il aurait pu obtenir par lui-même en 2003 déjà…) « confirme dans l’ensemble les allégations du recourant sur ses motifs d’asile ». Il conclut à la reconnaissance du statut de réfugié.

Signalé par :Service social international (Genève), décembre 2009

Sources :PV d’audition (05.05.03), décision négative de l’ODR (27.08.03), recours (02.10.03), préavis de l’ODM (28.08.06), demande de délai complémentaire au TAF (11.07, 01.10 et 08.11.07), décision du TAF (07.05.09)

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