Une mère seule en Bosnie ne peut pas rejoindre ses enfants en Suisse

« Iljana » vit seule en Bosnie, alors que toute sa famille vit en Suisse. Son fils étant Suisse, elle demande une autorisation de séjour par regroupement familial, qui lui est refusée car elle devrait selon la LEtr disposer d’un permis de séjour valable dans un pays de l’ALCP. Si son fils avait été un citoyen de l’UE vivant en Suisse, cette demande aurait été acceptée…

Mise à jour

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral rappelle son obligation de respecter les lois fédérales. Le but du parlement étant de limiter l’immigration, cette discrimination constitue un intérêt public important et digne de protection. Par conséquent, il existerait des motifs suffisants et non discriminatoires au regard de l’art. 14 CEDH qui justifieraient de traiter les ressortissants suisses différemment que les ressortissants européens. Enfin, le TF ajoute qu’il ne corrigera une violation du droit conventionnel que si le législateur ne s’en saisit pas dans un « proche avenir » et lorsqu’elle est justifiée.

Personne(s) concernée(s) : « Iljana », femme née en 1945

Statut : demande de regroupement familial -> demande rejetée

Résumé du cas

« Iljana » habite seule en Bosnie, loin de ses enfants qui vivent en Suisse. Ne bénéficiant pas de rente vieillesse, elle est entretenue par ses enfants. Fin 2009, elle rend visite à sa famille et dépose en janvier 2010 une demande d’autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial. Dans sa décision, le service cantonal concerné (SPOP) ne se prononce pas sur le regroupement familial, mais répond que les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour pour rentiers (art.28 LEtr) ou pour un permis humanitaire (art.30, al.1, let.b LEtr) ne sont pas remplies, alors qu’ « Iljana » n’a jamais formulé de demande en ce sens. Un recours est déposé auprès du Tribunal cantonal, demandant que le dossier soit examiné sous l’angle du regroupement familial. Dans son recours, le fils d’ « Iljana », « Janko », fait remarquer qu’il est Suisse et qu’il a donc droit au regroupement familial (art.42 LEtr). Il met en avant la discrimination qui existe en la matière entre Suisses et citoyens de l’Union européenne vivant en Suisse. En effet, le regroupement familial en faveur des parents ou des beaux-parents d’un Suisse, eux-mêmes originaires d’un pays tiers, n’est possible que si ces derniers disposent déjà d’une autorisation de séjour de longue durée dans un pays signataire de l’Accord sur la Libre Circulation des Personnes (ALCP) (art.42, al.2 let.b LEtr). Un ressortissant de l’UE, par contre, a le droit, sous certaines conditions, au regroupement familial en faveur de ses parents et beaux-parents, quelle que soit leur nationalité et leur lieu de vie (art.3 annexe 1 ALCP). Le Tribunal cantonal, suivant la position du TF, rejette le recours, même s’il reconnaît la discrimination dont « Janko » est victime, car il est tenu d’appliquer les lois fédérales. Un recours contre cette décision a été déposé auprès du TF, avançant que le Tribunal cantonal viole le principe d’égalité (art.8 Cst) et celui de la non-discrimination (art.14 CEDH). Le TF ne s’est pas encore prononcé.

Questions soulevées

N’est-il pas inhumain de refuser à une mère âgée, veuve et seule dans son pays, la possibilité de passer ses vieux jours auprès de ses enfants en Suisse ?

« Janko » est fiancé à une Française qui réside officiellement en Suisse. Une fois mariés, son épouse aura le droit d’obtenir une autorisation de séjour pour sa belle-mère dans le cadre du regroupement familial. Pourquoi le parlement suisse ne modifie-t-il pas la LEtr pour mettre fin à cette inégalité qui discrimine les citoyens helvétiques et viole aussi bien la Constitution fédérale que la Convention européenne des droits de l’Homme que la Suisse est censée appliquer?

Chronologie

2009 : arrivée en Suisse au bénéfice d’un visa touristique de 3 mois (nov.)

2010 : demande d’autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial (jan.) ; refus du SPOP (mai) ; recours auprès du Tribunal cantonal (juin)

2011 : décision négative du Tribunal cantonal (avril) ; recours au TF (mai)

NB : au moment de la rédaction, un recours est en suspens auprès du TF.

Description du cas

« Iljana » est veuve et vit seule en Bosnie-Herzégovine. Ses enfants et petits-enfants résident en Suisse, au bénéfice d’un passeport suisse ou d’un permis C. Ce sont ses enfants qui subviennent à ses besoins, car elle ne reçoit pas de rente. Alors qu’elle leur rend visite fin 2009, ils constatent que « sa santé décline et qu’elle supporte de plus en plus mal de vivre en Bosnie, où elle n’a plus de famille proche ». En janvier 2010, ils déposent une demande d’autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial, basée sur le lien fort qu’ « Iljana » a avec son fils « Janko », citoyen suisse. Dans sa réponse, le service cantonal concerné (SPOP) ne se prononce pas sur le regroupement familial, mais refuse d’accorder une autorisation de séjour pour rentiers à « Iljana » (art. 28 LEtr) ou un permis B humanitaire (art. 30 al. 1 let. b LEtr), alors que de telles demandes n’ont jamais été formulées par « Iljana ».

« Iljana » et « Janko » font recours auprès du Tribunal cantonal afin qu’il se prononce sur leur demande de regroupement familial. Selon l’art.42 al.2 let.b LEtr, un Suisse n’a le droit de faire venir en Suisse ses parents et beaux-parents dans le cadre du regroupement familial que si ces derniers sont déjà titulaires d’une autorisation de séjour de longue durée dans un pays ayant signé l’Accord sur la Libre Circulation des Personnes (ALCP). La Bosnie-Herzégovine n’étant pas partie contractante de l’ALCP, « Iljana » ne peut donc pas en bénéficier. Toutefois, « Janko » met en évidence la discrimination dont il est victime en tant que citoyen suisse, par rapport à un citoyen de l’UE vivant en Suisse : si « Janko » n’avait pas été Suisse, mais un ressortissant d’un pays membre de l’UE résidant en Suisse, il aurait eu le droit, sous certaines conditions, d’y faire venir sa mère. En effet, le regroupement familial pour les citoyens de l’UE n’est pas régi par la LEtr, mais par l’ALCP. Or, l’annexe 1, art.3 ALCP et la jurisprudence y relative accorde le droit aux parents et beaux-parents d’un citoyen de l’UE d’obtenir une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial, indépendamment de leur origine et de leur lieu de vie. « Janko » demande également au Tribunal de se prononcer sur la question subsidiaire du permis B humanitaire en faveur de sa mère. Il explique qu’ils sont « en soucis constants en lien avec sa santé fragile. […] Si un problème lui arrive, aucun d’entre nous n’est présent [en Bosnie] pour lui assurer une aide immédiate comme l’amener à l’hôpital ou la seconder dans les tâches ménagères quotidiennes. […] C’est la raison qui nous a poussés à demander une autorisation de séjour à long terme pour elle ».

Dans son arrêt, le Tribunal cantonal souligne que le SPOP aurait dû traiter la question du regroupement familial. Il reconnaît également la discrimination mise en avant par « Janko » à l’encontre des Suisses. Il précise d’ailleurs que cette discrimination a déjà été mise en évidence dans un arrêt du TF, et que ce dernier a constaté que « le législateur fédéral avait été saisi de la question à la suite d’une initiative parlementaire ». Toutefois, le Tribunal cantonal précise qu’il est obligé d’appliquer les lois fédérales, et de ce fait se voit contraint de refuser le droit au regroupement familial pour « Iljana » en vertu de l’art. 42 al. 2 let. b LEtr. Concernant la question du permis B humanitaire, le Tribunal cantonal confirme l’analyse du SPOP : le cas d’ « Iljana » n’est pas un cas d’extrême gravité, car elle peut bénéficier de l’aide financière de ses enfants en restant en Bosnie-Herzégovine, où elle peut également se faire soigner.

Un recours est déposé auprès du Tribunal fédéral. Il invoque une violation du principe d’égalité (art.8 Cst) et de non-discrimination (art.14 CEDH). La mandataire dénonce une position attentiste du TF, qui a reconnu la discrimination mais attend une décision du Parlement, puisque c’est maintenant au Conseil national de statuer sur la question. Elle rappelle également que la Suisse pourrait être condamnée par le Cour européenne des droits de l’homme « si les autorités persistent à appliquer un régime discriminatoire à leurs propres ressortissants en ce qui concerne le regroupement familial ». Le TF ne s’est pas encore prononcé.

Signalé par : Centre social protestant Vaud, mai 2011

Sources : décision négative du SPOP (20.05.10), recours auprès du Tribunal cantonal (22.06.10), arrêt du Tribunal cantonal (04.04.11), recours auprès du Tribunal fédéral (04.05.11).

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