Un adolescent malade ne peut pas rejoindre sa mère en Suisse
« Gautier », adolescent ivoirien atteint d’une tumeur, se voit refuser le regroupement familial avec sa mère « Sandrine », leur demande étant considérée comme tardive. Les autorités suisses soutiennent par ailleurs que les problèmes de santé de « Gautier » peuvent être pris en charge en Côte d’Ivoire, malgré les nombreux certificats médicaux affirmant le contraire.
Personne(s) concernée(s) : « Sandrine », née en 1974, et son fils « Gautier », né en 1994
Statut : demande de regroupement familial -> demande rejetée
Résumé du cas
Arrivée en Suisse en 2004 par mariage, « Sandrine » demande le regroupement familial avec ses deux enfants en 2006, son mari s’y étant jusque-là opposé. Le SPOP refuse car le délai d’une année prévu pour déposer la demande a été dépassé. Suite à sa séparation, le statut de séjour de « Sandrine » reste incertain pendant quatre ans, jusqu’à son remariage en 2011 avec un ressortissant suisse. Elle dépose alors une demande de regroupement familial différé pour raisons personnelles majeures pour son fils cadet « Gautier ». En effet, l’enfant souffre d’une tumeur à la joue qui s’agrandit en lui causant des douleurs et des déformations du visage. Le SPOP refuse à nouveau, mais après recours, le Tribunal cantonal vaudois ordonne que soit délivrée une autorisation d’entrée et de séjour à l’adolescent afin qu’il puisse être soigné en Suisse. Peu après, l’ODM, à qui le dossier est transmis par le SPOP pour approbation, refuse. L’Office se base sur l’avis du médecin de confiance de l’ambassade suisse en Côte d’Ivoire qui, après avoir dans un premier temps recommandé que « Gautier » soit opéré dans un pays au plateau technique plus adapté, change d’avis et affirme qu’il peut être pris en charge sur place. Le recours adressé au TAF en 2013 est rejeté une année plus tard. Malgré les nombreux certificats médicaux indiquant le contraire, le TAF maintient que la prise en charge de la tumeur est possible en Côte d’Ivoire. Il affirme aussi que « Gautier » a passé dans son pays d’origine les années les plus importantes pour son développement personnel et peut y bénéficier du soutien de son frère aîné.
Questions soulevées
D’après la loi (art.47 al.4 LEtr) le regroupement familial différé est possible dès lors que des raisons familiales majeures l’imposent. La nécessité d’un suivi médical adéquat pour « Gautier » qui a besoin du soutien de sa mère n’entre-t-elle pas dans le champ de cette disposition?
Le droit au regroupement familial selon l’art. 8 CEDH ne comprend pas de délais. La pratique suisse, si elle ne tient pas compte ni de l’impossibilité de réunir la famille plus tôt, ni de la situation de vulnérabilité médicale pour admettre des regroupements familiaux différés, ne viole-t-elle pas le droit à la vie familiale garantie par la Convention ?
Chronologie
2004 : arrivée de « Sandrine » en Suisse par mariage (sept.)
2006 : séparation (juin) ; première demande de regroupement familial avec ses deux enfants (déc.)
2007 : le SPOP refuse de délivrer une autorisation d’entrée aux enfants de « Sandrine » (mars)
2008 : le SPOP prononce le renvoi de « Sandrine » suite à sa séparation (oct.), suivi d’un recours au Tribunal Cantonal puis au TAF
2010 : renvoi de « Sandrine » confirmé par le TAF (nov.) ; remariage avec son partenaire suisse (déc.)
2011 : « Sandrine » reçoit une nouvelle autorisation de séjour (jan.) ; deuxième demande de regroupement familial pour son fils « Gautier » (fév.) ; refus du SPOP (août) ; recours au Tribunal cantonal (sept.)
2012 : le Tribunal cantonal admet le recours (sept.)
2013 : refus de l’ODM (avr.) ; recours au TAF (mai)
2014 : rejet du recours par le TAF (avr.)
Description du cas
« Sandrine » arrive en Suisse en 2004 pour y rejoindre son époux et est mise au bénéfice d’une autorisation de séjour. Suite à leur séparation en 2006, elle dépose une demande de regroupement familial pour ses enfants âgés alors de 14 et 12 ans : son mari s’y était en effet jusque-là opposé. Sa demande est refusée par le SPOP car le délai d’une année prévu pour la déposer est dépassé (art. 47 LEtr). Dès 2008, en raison de sa séparation, « Sandrine » se voit refuser le renouvellement de son permis de séjour, décision confirmée sur recours par le TAF en novembre 2010. En décembre, « Sandrine » se remarie avec son nouveau partenaire suisse, avec lequel elle vit depuis quatre ans. En janvier 2011, avec l’accord de son nouvel époux, elle présente une nouvelle demande de regroupement familial en faveur de son fils cadet « Gautier », l’aîné étant entre-temps devenu majeur. « Gautier » souffre d’une anémie prononcée et d’une tumeur du visage qui grandit progressivement, maladies qui ne peuvent pas être soignées en Côte d’Ivoire à cause de l’insuffisance du système de santé et de la guerre civile qui paralyse le pays. De plus, sa tutrice, la tante de « Sandrine », a de graves problèmes médicaux et n’arrive plus à s’occuper de lui. Mais le SPOP prononce un nouveau refus.
« Sandrine » dépose alors un recours au Tribunal cantonal, en expliquant que la demande de regroupement familial doit être admise de manière différée pour raisons familiales majeures, compte tenu de la situation médicale de l’enfant et du fait que son entretien ne peut plus être assuré correctement par sa tutrice. Le Tribunal admet le recours et incite le SPOP à délivrer une autorisation d’entrée et de séjour à « Gautier ». Le SPOP soumet alors l’autorisation pour approbation à l’ODM, mais celui-ci annonce son intention de refuser. Alléguant des incohérences entre les certificats médicaux soumis, l’ODM demande une expertise par le médecin de confiance de l’ambassade suisse, en exigeant de surcroît que les coûts soient pris en charge par « Sandrine ». Le médecin, qui a affirmé dans un premier temps que « Gautier » doit être soigné dans un pays au plateau technique plus adapté, change de version après avoir visité le jeune et déclare que la tumeur est de nature bénigne et peut être opérée sur place.
Un recours est alors adressé au TAF, accompagné de nouveaux certificats médicaux faisant état encore une fois de la gravité de la maladie de « Gautier » et de l’impossibilité de la prendre en charge en Côte d’Ivoire : la tumeur sur son visage qui s’est agrandie est soupçonnée d’être maligne, sans que cela puisse être établi avec certitude à cause des moyens à disposition dans le pays. « Sandrine » craint aussi le manque de compétences et la corruption très présente en Côte d’Ivoire, y compris dans le système de santé. Le recours relève également une discrimination par rapport aux ressortissants de l’Union Européenne (UE) qui, en Suisse, bénéficient des conditions plus favorables de l’ALCP : si son époux était originaire de l’UE et non pas suisse, Sandrine aurait pu faire venir ses enfants jusqu’à l’âge de 21 ans sans aucun délai et avec la seule condition d’un logement convenable. En avril 2014, le TAF rejette le recours. Il affirme que malgré la maladie de sa tutrice, « Gautier » pourra compter sur le soutien de son frère aîné – âgé de 22 ans et encore étudiant –, et que la prise en charge de sa tumeur est possible en Côte d’Ivoire. Concernant la discrimination par rapport aux ressortissants de l’UE, le TAF reconnaît son existence tout en affirmant que cela ne peut pas amener les tribunaux à prononcer des jugements contraires à la LEtr.
Signalé par : La Fraternité – Vaud, avril 2014
Sources : décisions du SPOP (30.3.2007, 24.8.2011) ; courrier des mandataires au SPOP (20.4.2011, 18.9.2012), à l’ODM (18.12.2012, 26.2.2013, 18.4.2013) et au TAF (15.8.2013, 17.2.2014); recours au Tribunal cantonal (21.9.2011) ; arrêt du Tribunal cantonal (11.9.2012) ; courriers du SPOP (13.10.2011, 15.3.2012, 25.9.2012) ; courriers de l’ODM à la mandataire (7.12.2012, 18.2.2013) et au TAF (25.6.2013, 27.12.2013) ; décision de l’ODM (10.4.2013) ; recours au TAF (2.5.2013) ; arrêt du TAF (9.4.2014) et plusieurs certificats et rapports médicaux.