Il doit aller jusqu’au TF pour pouvoir élever sa fille suissesse

« Jalil » et sa femme suissesse se séparent après 6 années de relation dont 1 an de mariage. Malgré la très étroite relation qu’il conserve avec leur fille âgée de 6 ans et sa bonne intégration, il devra faire recours jusqu’au TF pour obtenir la prolongation de son permis de séjour.

Personne(s) concernée(s) : « Jalil », né en 1987, et sa fille « Emily », née en 2006

Statut : permis B par mariage -> renouvellement sur recours

Résumé du cas

« Jalil » fait la connaissance de sa future femme « Julie » en Tunisie en 2004. Dans les années qui suivent, il lui rend souvent visite en Suisse avec des visas touristiques. En 2006, il assiste à la naissance de leur fille « Emily », puis rentre dans son pays en juin 2007. Par la suite, l’ODM refuse de l’autoriser à se rendre en Suisse pour voir sa fille. « Jalil » et « Julie » se marient donc en septembre 2008 pour que la famille puisse être réunie. Mais de nombreuses disputes, suivies parfois d’interventions de police à domicile, finissent par entraîner leur séparation en mai 2009. Ils gardent de très bonnes relations quant à l’éducation de la petite « Emily », restée avec sa mère. « Jalil » la voit plusieurs fois par semaine ainsi que tous les weekends, la récupère régulièrement à la sortie de l’école et verse à la mère une pension de 650 CHF par mois. Dès 2011, en dépit d’un préavis favorable du SPOP, l’ODM refuse de renouveler le permis B de « Jalil », obtenu suite à son mariage. Le recours au TAF se heurte aussi à un refus : le Tribunal estime que la relation de la petite « Emily » avec son père n’est pas suffisamment étroite puisqu’ils n’ont pas pu vivre ensemble entre 2007 et 2008 et que, bien qu’il n’ait fait l’objet d’aucune condamnation pénale, il n’a pas fait preuve d’un comportement irréprochable en Suisse, ayant été impliqué dans l’intervention de la police à plusieurs reprises dont une fois pour une dispute entre voisins. C’est finalement sur recours au TF pour violation du respect de la vie privée et familiale (art. 13 Cst et art. 8 CEDH) que « Jalil » obtiendra gain de cause. Le TF estime en effet que l’intérêt d’« Emily » à conserver la relation avec son père doit l’emporter sur l’intérêt de la Suisse à la protection de l’ordre public étant donné les atteintes de peu d’importance imputables à « Jalil ». Il obtient finalement le renouvellement de son permis de séjour.

Questions soulevées

Comment comprendre que l’ODM et le TAF fassent primer des troubles mineurs à l’ordre public causés par « Jalil » sur le droit de son enfant suissesse à conserver avec lui des relations étroites ?

N’est-il pas paradoxal que le TAF retienne contre « Jalil » de ne pas avoir entretenu de relation étroite avec sa fille entre 2007 et 2008, alors que ses demandes d’entrée en Suisse déposées à cette période n’ont jamais abouti ?

Chronologie

2004 : « Jalil » se lie avec sa future femme en Tunisie

2004-2006 : séjours touristiques de « Jalil » en Suisse

2006 : naissance d’« Emily » (déc.)

2007 : reconnaissance de paternité (avr.) ; demande d’autorisation de séjour (mai) ; départ pour la Tunisie (juin) ; demande de visa de 90 jours (oct.)

2008 : refus de visa (jan.) ; demande et obtention d’un visa en vue du mariage (fév. et avr.) ; mariage avec la mère d’« Emily » (sept.) et mise au bénéfice d’une autorisation de séjour (permis B)

2009 : séparation (mai)

2011 : préavis favorable du SPOP à la prolongation de l’autorisation de séjour (sept.) ; refus de l’ODM (déc.)

2012 : recours au TAF (jan.)

2013 : recours rejeté par le TAF (juin) ; recours au TF (juil.) ; recours admis par le TF (déc.)

Description du cas

« Jalil » rencontre sa future femme « Julie » en Tunisie en 2004. Dans les années qui suivent, il vient plusieurs fois lui rendre visite en Suisse avec des visas touristiques. En 2006, il peut ainsi assister à la naissance de leur fille, « Emily », dont il reconnaît la paternité en avril 2007. Il rentre en Tunisie en juin 2007, à l’échéance de son visa. Ses demandes d’autorisation de séjour en mai 2007 et de visa touristique pour rendre visite à sa fille en octobre 2007, n’aboutissent pas. « Jalil » et « Julie » se marient alors en septembre 2008 afin que la famille puisse être réunie.

Le couple connaît vite des tensions. La police doit intervenir six fois à leur domicile pour disputes conjugales, dont trois fois sur appel de « Jalil ». En mai 2009, ils se séparent, sans ressentir pour autant le besoin de formaliser leur décision par un divorce. Ils gardent des relations amicales et, puisqu’il habite à proximité, « Jalil » garde une étroite relation avec sa fille. Plusieurs fois par semaine il va la voir à la maison et la chercher à l’école. Il passe également le dimanche avec elle et contribue à son entretien par le versement d’une pension de 650 CHF par mois. Depuis 2008, il travaille notamment dans le domaine des assurances, ce qui lui procure un bon revenu.

En septembre 2011, le SPOP donne un préavis favorable au renouvellement du permis de séjour de « Jalil », malgré la dissolution de la vie conjugale, en raison notamment des relations affectives et économiques étroites qu’il entretient avec sa fille. Mais la demande se heurte à un refus de l’ODM. L’Office reproche à « Jalil » de n’avoir pas fait preuve en Suisse d’un « comportement irréprochable ». En effet, bien qu’il n’ait fait l’objet d’aucune condamnation, il a provoqué l’intervention des services de police pour disputes conjugales, et à une occasion il a blessé un voisin au front au cours d’une dispute devenue violente (le voisin avait par la suite retiré sa plainte). L’ODM estime aussi que la relation de « Jalil » avec sa fille n’est pas d’une intensité suffisante pour ne pas pouvoir se poursuivre à distance. Le recours au TAF est aussi rejeté pour des motifs semblables en juin 2013 ; le Tribunal juge en outre que la relation de « Jalil » avec sa fille n’a pas été proche entre 2007 et 2008, lorsqu’il ne bénéficiait pas d’un visa pour entrer en Suisse.

« Jalil » fait alors recours au Tribunal fédéral en invoquant une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art.13 Cst et art. 8 CEDH). Il y fait valoir que les raisons invoquées par le TAF ne sont pas suffisantes pour ne pas lui prolonger son autorisation de séjour. Il souligne que la jurisprudence à ce sujet a évolué, le TF ayant reconnu qu’un droit de visite régulier suffit à lui seul pour que l’autorisation de séjour soit prolongée (arrêt 2C_1112/2012) ; or le droit de visite est exercé par « Jalil » de manière bien plus étendue que la norme. De plus, 5 ans se sont écoulés depuis son établissement en Suisse, pendant lesquels l’intensité de la relation est attestée et confirmée par tout l’entourage de la fillette. Le fait de se focaliser sur la période entre 2007 et 2008 n’est dès lors pas justifié.

En décembre 2013, le TF admet le recours de « Jalil » : il souligne que dans le cadre du droit au respect de la vie privée et familiale, une pesée des intérêts est nécessaire. Le Tribunal estime que l’intérêt de la petite « Emily » à conserver les avantages de la relation avec son père a plus de poids que l’intérêt de la Suisse à la protection de l’ordre public, étant donné les atteintes de peu d’importance imputables à « Jalil ». Il obtient donc le renouvellement de son permis de séjour.

Signalé par : CSP Vaud – février 2014

Sources : décision de l’ODM (1.12.2011), recours au TAF (4.01.2012), arrêt du TAF (24.6.2013), recours au TF (16.7.2013), arrêt du TF (17.12.2013)

Cas relatifs

Cas individuel — 08/02/2017

Décision d’expulser une victime de violences conjugales et sa fille titulaire d’un permis C

Le SEM nie l’intensité et la systématique des violences conjugales subies par « Elira » en remettant sa parole en cause et en donnant un poids prépondérant aux dires du mari. L’autorité décide de la renvoyer avec sa fille de 3 ans, titulaire d’un permis C, faisant fi du droit de la fillette à vivre auprès de ses deux parents.
Cas individuel — 27/05/2016

Un père arraché à son épouse enceinte et ses enfants

« Awat » habitait à Genève avec son épouse « Mariame » enceinte de trois mois, et leurs deux filles, « Melete » et « Awatif ». Enfin réunie après un long périple et un exil forcé, cette famille se voit à nouveau séparée, cette fois par les autorités suisses : le père est renvoyé en Italie. Le Tribunal ne retient ni son droit à la vie familiale, ni l’intérêt supérieur de ses enfants à grandir auprès de leur père.
Cas individuel — 29/10/2012

Un père de famille est renvoyé malgré les
lourds problèmes de santé de sa fille

La Suisse refuse de renouveler le permis d’« Aboubacar », coupable d’une infraction à la LStup en 2006, malgré l'importance de sa présence pour sa famille et notamment sa fille, née grande prématurée, qui a besoin de soins assidus. Une requête a été introduite à la CourEDH.
Cas individuel — 24/08/2009

Renvoyé de force au moment où il allait se marier

Abdoulaye, dont la demande d’asile a été rejetée, vit avec sa compagne suisse avec laquelle il a eu un enfant. Alors que des démarches de reconnaissance de l’enfant et de mariage sont en cours, Abdoulaye est arrêté, mis en détention, et renvoyé par vol spécial en Guinée.