Regroupement familial refusé sous l’angle de la LEI alors que l’ALCP s’applique
« Deborah », ressortissante éthiopienne mariée avec un Français titulaire d’un permis C, se voit refuser le regroupement familial avec son fils « Samuel » né d’un premier mariage. Le SPOP justifie son refus sous l’angle de la LEI, alors qu’il ressort comme évident que c’est l’ALCP qui doit être appliquée. Après avoir reconnu son erreur, le Service cantonal fait durer la procédure en demandant une authentification des documents d’état civil, une démarche qui aurait pu amorcée des mois auparavant.
Personne(s) concernée(s) : « Samuel », né en 2003, sa mère « Deborah », son beau-père « Marc » et son demi-frère « Selim »
Statut : demande de regroupement familial -> en attente
Résumé du cas
« Deborah », ressortissante éthiopienne, entre en Suisse en 2009 pour rejoindre son mari. Elle souhaite faire venir son fils « Samuel » d’Éthiopie, mais son mari le refuse. Un refus qui mène à la séparation, puis au divorce du couple. « Deborah », détentrice d’un permis B, rencontre « Marc », ressortissant français titulaire d’un permis d’établissement (Permis C), avec qui elle a un second fils, « Selim » en septembre 2016. Les parents se marient en 2018 et « Deborah » dépose une requête de regroupement familial en faveur de « Samuel » en janvier 2019.
Le Service de la population du canton de Vaud (SPOP) rend une décision de refus en mai 2019, considérant que la demande a été déposée tardivement et qu’aucune raison familiale majeure au sens de l’art. 47 LEI n’a été invoquée. Le SPOP souligne aussi que « Samuel » conserve d’importantes attaches familiales, sociales et culturelles dans son pays d’origine où on peut considérer qu’il a ses centres d’intérêt.
En juin, la famille dépose un recours contre la décision du SPOP. Leur mandataire argue que la décision, rendue sous l’angle de la LEI, viole le droit à la vie familiale protégée par l’art. 8 CEDH, ainsi que le droit au regroupement familial au sens de l’art. 3 Annexe I ALCP. En effet, étant donné que le mari de « Deborah » est de nationalité française, le SPOP aurait dû appliquer l’ALCP. La mandataire précise que, « Marc » ayant la qualité de « travailleur salarié » au sens de l’ALCP, il a le droit de faire venir en Suisse les membres de sa famille, y compris les enfants de son épouse, conformément à l’art. 3 Annexe I ALCP.
En juillet 2019, le SPOP annule sa décision, et indique que le dossier sera réexaminé sous l’angle de l’ALCP. En septembre toutefois, il demande des informations et documents supplémentaires, notamment les intentions d’avenir de « Samuel », alors même qu’une telle exigence est totalement absente de l’ALCP. De plus, le SPOP considère que des investigations complémentaires en Éthiopie sont nécessaires et demande à « Deborah » et « Marc » de payer une avance de frais de 800 CHF.
Questions soulevées
Comment justifier le non-respect par le SPOP du droit au regroupement familial très large dont bénéficient les ressortissants de l’Union européenne, au titre de l’ALCP ?
L’autorité cantonale n’abuse-t-elle pas de son pouvoir d’appréciation en imposant des critères qui ne sont prévus que dans les cas de figure relevant de la LEI et non de l’ALCP ?
Les procédures se rallongent inutilement et maintiennent des familles entières dans des situations angoissantes et précaires. Est-ce vraiment nécessaire ? (voir le dépliant « Regroupement familial selon l’ALCP »).
Chronologie
2009 : arrivée en Suisse de « Deborah »
2014 : divorce de « Deborah » de son premier époux
2016 : naissance de « Selim », fils de « Deborah » et de « Marc »
2018 : mariage de « Deborah » et de « Marc »
2019 : demande d’autorisation d’entrée pour regroupement familial en faveur de « Samuel » (janvier) ; décision du SPOP refusant l’autorisation d’entrée en application de la LEI (mai) ; recours auprès du Tribunal cantonal (juin) ; annulation de la décision du SPOP et réexamen du dossier sous l’angle de l’ALCP (juillet) ; demande de documents et informations supplémentaires du SPOP, en partie à nouveau au sens de la LEI (septembre)
Description du cas
« Deborah », ressortissante éthiopienne née en 1977, entre en Suisse en mai 2009 pour rejoindre son premier mari, également éthiopien. Elle souhaite faire venir son fils « Samuel » en Suisse, mais son mari le refuse pendant des années. Cela amène la séparation, puis le divorce du couple, fin 2014. « Deborah », qui a toujours entretenu une relation étroite avec son fils et qui travaille depuis son arrivée en Suisse, rencontre « Marc », ressortissant français au bénéfice d’un permis C, avec qui elle a un fils, « Selim », en septembre 2016. Les parents se marient en 2018 et « Deborah » dépose en janvier 2019 une requête visant le regroupement familial en faveur de « Samuel », âgé de 15 ans.
Le SPOP refuse cette requête en mai 2019. Il considère que celle-ci a été déposée tardivement. En effet, selon l’art. 47 LEI, la demande de regroupement familial pour les enfants de plus de 12 ans doit être déposée dans un délai de 12 mois depuis l’obtention du permis de séjour ou de l’établissement du lien familial. Vu que « Deborah » vit en Suisse depuis 2009 et que « Samuel » a 15 ans au moment du dépôt de la requête, ce délai est dépassé. Il ajoute que « Samuel » garde d’importantes attaches familiales, sociales et culturelles dans son pays d’origine où il conserve ainsi ses centres d’intérêt. Finalement, le SPOP indique qu’aucune raison majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI n’a été invoquée.
En juin, avec l’aide du CSP Vaud, la famille dépose un recours devant le Tribunal cantonal (TC) contre la décision du SPOP, pour violation du droit à la vie familiale protégée par l’art. 8 CEDH et du droit au regroupement familial au sens de l’art. 3 Annexe I ALCP. En effet, la requête a été examinée sous l’angle de la LEI, mais pas en application de l’ALCP, et ceci malgré le fait que le mari de « Deborah » est de nationalité française. La mandataire rappelle que selon l’arrêt du TF du 29 septembre 2009 (ATF 2C_196/2009), qui reprend la jurisprudence de la CJCE (arrêt Metock), l’ALCP s’applique indépendamment de la nationalité et du lieu de résidence des membres de famille. La mandataire souligne que « Marc », qui a toujours travaillé, doit être considéré comme un travailleur au sens de l’ALCP et qu’il peut de ce fait vivre en Suisse avec les membres de sa famille, à la seule condition de disposer d’un logement suffisant. La famille est définie comme comprenant les enfants de moins de 21 ans, ou à charge, du couple ou de l’un des deux conjoints (art. 3 Annexe I ALCP). Le recours précise encore que l’ALCP, contrairement à la LEI, ne prévoit pas de délais pour déposer une demande de regroupement et que « Samuel », qui a 15 ans, est loin d’avoir atteint l’âge limite de 21 ans prévu par l’ALCP. Par ailleurs, la mandataire rappelle que la venue en Suisse de « Samuel » est également indiquée au sens de l’art. 8 CEDH qui protège le droit fondamental au respect de la vie familiale, et au sens de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 par. 1 CDE). Elle indique encore que la mère de « Deborah » est âgée de 82 ans, qu’elle est malade et par conséquent n’est plus à même de s’occuper de « Samuel ». Ce qui aurait dû être considéré par le SPOP comme une raison majeure pour admettre le regroupement familial tardif au sens de l’art. 47 al. 4 LEI.
En juillet, le SPOP annule sa décision et indique que le dossier sera réexaminé sous l’angle de l’ALCP, ce qui annule le recours devant le TC. Pour justifier son erreur, le SPOP indique que le statut de « Deborah » n’avait pas été modifié après son mariage avec « Marc ». Cependant, en septembre 2019, le SPOP demande à la famille une liste d’informations et de documents complémentaires. Y figure notamment une requête d’informations concernant les intentions d’avenir de « Samuel », demande que l’ALCP n’exige pourtant pas. Le SPOP ajoute que des investigations complémentaires en Éthiopie et une authentification des documents d’état civil sont nécessaires. Il attend en outre de « Deborah » et « Marc » qu’ils paient une avance de frais de 800 CHF.
Signalé par : CSP Vaud, septembre 2019
Sources : décision du SPOP, recours au TC, décision du TC du 12 juillet 2019 (PE.2019.0212), courriers du SPOP