Regroupement familial : discrimination d’un Suisse
par rapport à des Européens?

« Ratana », d’origine thaïe, est mariée à « Philippe », citoyen suisse. Ils souhaitent faire venir la fille de « Ratana », 13 ans, restée en Thaïlande. Les autorités refusent parce que le délai d’un an pour adresser la demande a été dépassé, mais reconnaissent que si « Philippe » avait été un ressortissant européen, le droit au regroupement familial aurait été garanti par l’ALCP.

Mise à jour

Suite au recours devant le Tribunal fédéral, celui-ci a rendu un arrêt, le 17 janvier 2011, dans lequel il admet que "le refus d'autorisation entraînait une inégalité de traitement avec les membres de la famille de ressortissants européens". Le TF a toutefois noté que, malgré cette " discrimination à rebours" découlant de l'aspect "moins limitatif" de l'accord ALCP face à la loi sur les étrangers, il reste tenu d'appliquer les lois fédérales, en vertu de l'art. 190 Cst.

Personne(s) concernée(s) : « Philippe », « Ratana » et sa fille « Saraï » née en 1995

Statut :

« Philippe » : nationalité suisse

« Ratana » : naturalisation facilitée en cours

« Saraï » : à l’étranger -> regroupement familial refusé

Résumé du cas

« Philippe » et « Ratana » sont mariés et vivent en Suisse depuis 2005. Au moment de venir en Suisse, « Ratana » ne demande pas le regroupement familial pour ses deux enfants, car ceux-ci ne souhaitent pas quitter la Thaïlande et sont pris en charge par des proches. Mais arrivée à l’adolescence, « Saraï », la fille de « Ratana », est harcelée par des garçons et risque un mariage forcé. En 2009, les époux demandent une autorisation de séjour en Suisse pour « Saraï », afin que celle-ci puisse les rejoindre (art. 42 LEtr). La demande est tardive, au sens de l’art. 47 LEtr, qui exige qu’elle soit effectuée moins d’un an après l’entrée en Suisse si l’enfant a plus de 12 ans. « Ratana » invoque toutefois des « raisons familiales majeures » (art. 47 al. 4 LEtr), puisque sa fille est victime de harcèlement et que les grands-parents de l’adolescente, vieillissants, ne peuvent plus s’occuper d’elle. Le SPOP, puis le Tribunal cantonal, rejettent cette argumentation. Le Tribunal reconnaît toutefois qu’un couple composé d’un-e ressortissant-e européen-nne aurait droit à ce regroupement familial, en vertu de l’ALCP et de la jurisprudence communautaire que la Suisse est tenue de respecter. En revanche, s’agissant d’un ressortissant suisse, le Tribunal ne peut déroger à l’application du droit fédéral. « Philippe » et « Ratana » adressent alors un recours au TF invoquant une discrimination au sens de l’art. 8 de la Constitution et de l’art. 14 CEDH. Au moment de la rédaction de cette fiche, le recours est toujours pendant.

Questions soulevées

 La Loi sur les étrangers (LEtr) ne doit-elle pas être modifiée afin que les Suisses aient les mêmes droits que les ressortissant-e-s des pays-membres de l’Union européenne en matière de regroupement familial ? Une telle discrimination, qui touche des citoyen-nne-s suisses dans leur propre pays, est-elle acceptable ?

 De telles inégalités entre droit suisse et droit communautaire ne démontrent-t-elles pas l’extrême rigueur de notre régime migratoire ?

Chronologie

2005 : arrivée de « Ratana » en Suisse (8 avril) ; mariage avec « Philippe » (10 juin)

2009 : demande d’autorisation d’entrée en Suisse pour « Saraï » (22 mai) ; refus du SPOP (12 oct.) ; recours (11 déc.)

2010 : arrêt du Tribunal cantonal rejetant le recours (4 juin) ; recours devant le TF (8 juillet)

NB : un recours au TF est en suspens.

Description du cas

« Ratana », d’origine thaïlandaise, arrive en Suisse en 2005 et épouse « Philippe », ressortissant suisse. Sa fille « Saraï », née en 1995, souhaite rester en Thaïlande chez ses grands-parents (parents de « Ratana »), tandis que son fils, né en 2000, continue d’habiter avec son père (ex-mari de « Ratana »). « Ratana » déplore la situation : elle continue d’entretenir à distance un lien aussi fort que possible avec ses enfants et de pourvoir à leurs besoins en leur envoyant de l’argent.

Arrivant à l’adolescence, « Saraï » rencontre de plus en plus de difficultés en Thaïlande, car elle est harcelée par des garçons de son âge. L’un s’introduit dans sa chambre, tandis qu’un autre la moleste sur le chemin de l’école (« Ratana » se rendra d’urgence en Thaïlande et une plainte pénale sera déposée). La jeune fille n’échappe au pire que par chance et redoute de nouvelles tentatives de contrainte sexuelle. Si cela devait arriver, elle serait selon toute vraisemblance obligée de se marier, comme le veut la tradition, et expulsée de son école, comme le stipule le règlement de l’établissement. Ses grands-parents vieillissants et malades (le grand-père est tuberculeux) ne sont plus aptes à la protéger de telles menaces et ne parviennent plus à s’occuper d’elle. Le père de « Saraï » ne peut pas offrir une prise en charge adéquate parce que, d’une part, il peine déjà à subvenir à ses propres besoins et à ceux de son fils et que, d’autre part, le père et la fille ne sont plus en bons termes.

En mai 2009, inquiète pour sa fille, « Ratana » l’amène à demander à l’ambassade de Bangkok une autorisation d’entrée en Suisse au nom du regroupement familial. « Saraï » est alors âgée de 13 ans. La demande, transmise au canton de Vaud, est refusée. En effet, l’art. 47 LEtr précise que, pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement familial doit être demandé dans un délai d’un an à partir du moment où le parent étranger est autorisé à venir en Suisse. De plus, le regroupement familial est partiel, puisque le petit frère de « Saraï » restera en Thaïlande auprès de son père.

Dans un recours, « Ratana » argue que des « raisons familiales majeures » (art. 47 LEtr al. 4), c’est-à-dire le harcèlement et le manque de prise en charge auxquels sa fille doit faire face en Thaïlande, imposent à l’autorité de déroger à l’application stricte du délai. Mais le Tribunal cantonal tranche dans le sens du SPOP, estimant que la situation de « Saraï » en Thaïlande n’est pas telle qu’un regroupement familial constitue la seule solution.

Toutefois, dans le même arrêt, le Tribunal cantonal reconnaît que sa décision entraîne une inégalité de traitement entre une famille de ressortissants suisses et une famille de ressortissants européens : à la place de « Philippe » et « Ratana », un couple dont l’un des conjoints serait un-e ressortissant-e européen-nne aurait bénéficié du regroupement familial, même hors délai, en vertu de l’application de l’Accord sur la libre circulation des personnes (art. 3 de l’Annexe I ALCP). En effet, depuis 2008, un-e ressortissant-e européen-ne, quel que soit le pays soumis à l’ALCP dans lequel il-elle habite, a le droit de faire venir sans restriction les membres de sa famille originaires d’Etats tiers (arrêt Metock de la CJCE). Depuis 2009, les autorités suisses sont tenues de respecter cette jurisprudence communautaire s’agissant de ressortissant-e-s européen-nne-s résidant en Suisse, suite à un arrêt du TF (ATF 2C_196/2009). Elles continuent en revanche d’appliquer le droit fédéral, plus restrictif, lorsque le couple est composé d’un-e ressortissant-e suisse et d’un-e non-européen-ne. Un recours invoquant une discrimination contraire aux art. 8 Cst et 14 CEDH est donc adressé au TF par « Philippe » et « Ratana ». Au moment de la publication de cette fiche, le TF n’a pas encore tranché.

Signalé par : La Fraternité (Centre social protestant – Vaud), novembre 2010.

Sources : décision du SPOP ; recours adressé au Tribunal cantonal ; arrêt du Tribunal cantonal ; recours adressé au Tribunal fédéral

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