Centres fédéraux d’asile : l’envers du décor
« Fin 2019, je suis arrivé en Suisse par avion. J’ai été transféré au Centre fédéral d’asile (CFA) de Zurich. […] Je savais que je serais envoyé dans une « prison ». Mais si j’avais su ce qu’il en serait vraiment, j’aurais demandé à récupérer mon passeport et j’aurais pris le prochain avion. »
Une demandeuse d’asile a passé près de six mois dans les CFA de Zurich, Boudry et de Giffers. Dans le bulletin d’Augenauf de novembre 2020, elle raconte les conditions de vie, les brimades, vexations et violences quotidiennes qu’elle y a vécues. Extraits traduits.
« Quand je suis arrivé à Boudry, j’ai essayé de m’intégrer. Je voulais participer et travailler. […] Ils vous tamponnent chaque jour de travail, et pour 15 tampons, vous obtenez 30 francs. A Boudry, j’ai travaillé pour 45 tampons. Les 90 francs n’ont jamais été versés. »
« Je travaillais souvent dans la cuisine et je servais la nourriture. Je n’avais droit de servir qu’une louche par personne. Beaucoup me demandaient un supplément, mais je n’avais pas le droit de leur donner plus. En même temps, j’ai dû me débarrasser de grandes quantités de nourriture. […] Pendant le Ramadan, le jeûne pendant la journée était accepté, mais il n’était pas possible pour les personnes à jeun de manger en dehors des heures d’ouverture habituelles de la cuisine. On leur disait de manger aux heures d’ouverture ou de mourir de faim. Ils n’étaient pas non plus autorisés à apporter de la nourriture. »
« Les installations sanitaires de Boudry étaient dans un état misérable. L’eau des égouts remontait sans cesse dans les toilettes et les éviers. [Après une inondation], les toilettes n’ont pas été réparées. Nous devions utiliser les toilettes d’un autre bâtiment. Cela signifie que nous devions toujours avoir nos papiers d’identité sur nous pour passer les contrôles : aller aux toilettes, ça prenait chaque fois un quart d’heure. »
« Nous étions douze femmes par pièce. À 22 h, les volets se fermaient automatiquement. Les fenêtres ne pouvaient plus être ouvertes. En été, il faisait très chaud. [..] Les portes de la pièce étaient verrouillées et les lumières s’éteignaient automatiquement. Toutes les prises de courant et les interrupteurs étaient verrouillés et accessibles uniquement au personnel. »
« A Boudry et Giffers, nous étions autorisés à quitter le centre entre 9h et 18h30. […] Chaque fois que nous entrions, les agents de sécurité nous contrôlaient. En l’absence de personnel féminin, les femmes étaient fouillées par des hommes à l’aide d’un détecteur de métaux. […] La plupart du temps, les contrôles étaient corrects, mais il m’arrivait aussi de me faire tripoter les seins et les parties intimes. […] Les personnes qui revenaient au camp une demi-heure en retard n’avaient rien à manger. [Elles] n’étaient plus autorisé à se rendre en chambre, mais devaient dormir sur un banc en bois dans une pièce. […] Les habitants des CFA reçoivent un argent de poche de trois francs par jour. Ceux qui étaient en retard une fois n’avaient pas droit à de l’argent de poche pendant deux jours. Savoir qui se voyait refuser de l’argent et pour quelle raison était incompréhensible et arbitraire. »
« [Une jeune fille] s’est fait arracher les dents lorsqu’elle a eu mal aux dents. Au lieu de les réparer, on les a simplement extraites. Sa lèvre a été endommagée pendant l’intervention et ORS lui a refusé un analgésique. Un employé de Protectas a poussé un homme dans un panneau de verre. La vitre s’est brisée. La jambe de l’homme a nécessité plusieurs points de suture. Un autre employé de Protectas a frappé une personne à la tête. Elle aussi a dû avoir des points de suture. »
« Tout ce stress m’a fait avoir des vertiges. Je suis donc allé chez le médecin du CFA à Giffers. […] Il m’a un peu examiné et m’a prescrit des médicaments puissants contre la dépression et l’anxiété. J’ai été obligée de les prendre le matin. Cela m’a mis en « mode sommeil » toute la journée. J’ai demandé à pouvoir prendre mes médicaments le soir avant de me coucher. Je n’avais pas le droit de faire cela. Sous la contrainte, l’aide-soignant a essayé de me mettre le médicament dans la bouche. Les antidépresseurs sont distribués très généreusement à Giffers. Pour ma part, c’est sur ordonnance que j’ai reçu mes médicaments. D’autres les recevaient sans ordonnance. À ORS, tout le monde est un peu « médecin » et administre des médicaments. Ils jouent avec la santé des gens. »
« […] Avec la plupart des employés, c’était très difficile. Un employé d’ORS à Giffers m’a toujours traitée de façon raciste et insultante. La veille de mon anniversaire, il m’a dit qu’il espérait que je serais morte dans mon lit le lendemain. Une autre fois, il a souhaité que je sois envoyée en prison et torturée après avoir été expulsée. Un Protectas insistait pour que je l’appelle « Don Sheriff ». […] Je me souviens quand même avec émotion d’un employé d’ORS et d’un autre de Protectas, qui étaient tous deux très amicaux et se comportaient humainement envers nous. »
Sources : Augenauf, « Der alltägliche Horror im Bundesasylzentrum », bulletin n°106, novembre 2020.
Voir également : ODAE romand, « Un des plaignants du centre de Chevrilles renvoyé en Allemagne », brève, 28.09.2020 ; ODAE romand, « CFA de Giffers : des ONG dénoncent des violences envers les requérant·e·s d’asile », brève, 19.06.2020 ; ODAE romand, « Prise en considération de l’état de santé : des procédures bâclées », Vivre Ensemble, VE 173, juin 2019 ; ODAE romand, « Société civile dans les centres fédéraux : Un regard critique indispensable », Vivre Ensemble, VE 172, avril 2019.