La Suisse désavouée par la CourEDH : un père de famille pourra rester en Suisse, malgré son passé pénal

Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), la décision des autorités suisses d’expulser un père de famille nigérian, condamné pour trafic de drogue, viole le droit au respect de la vie familiale garanti par l’art 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans un arrêt rendu le 16 avril 2013, la Cour condamne la Suisse à verser la somme de 9’000 euros au requérant et sa famille.

En 2001, l’homme en question est condamné en Autriche à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour infraction à la loi sur les stupéfiants. Après sa libération, il se rend en Suisse et y demande l’asile, mais l’Office fédéral des migrations (ODM) rejette sa requête. En 2003, il épouse une ressortissante suisse, mère de ses deux filles jumelles et obtient une autorisation de séjour en vertu du regroupement familial (art. 42 LEtr). Trois ans plus tard, il est arrêté en Allemagne et condamné à 42 mois d’emprisonnement pour trafic de drogue. Il bénéficie d’une mise en liberté anticipée au bout de 17 mois.

En 2007, l’ODM refuse de renouveler l’autorisation de l’intéressé, devenue caduque, estimant que ses condamnations pénales et la dépendance de la famille à l’aide sociale constituent des motifs d’expulsion. Saisi par un recours, le Tribunal fédéral (TF) confirme cette décision en 2009 et une date de départ est fixée par l’ODM. Le couple saisit alors la CourEDH, alléguant que le renvoi du père de famille violerait leur droit au respect de leur vie familiale (art. 8 CEDH). Après un premier placement en détention administrative en 2009, l’intéressé est déclaré disparu, puis placé à nouveau en détention administrative un an plus tard, avant d’être libéré en janvier 2011, sans que le renvoi n’ait pu être exécuté. L’ODM émet alors à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire suisse valable jusqu’en 2020, tandis que l’homme vit toujours en Suisse. Séparé de son épouse, il entretient toutefois un contact régulier avec ses enfants pour lesquels il dispose d’un droit de visite. Il a, par ailleurs, eu un autre enfant avec une nouvelle compagne qu’il souhaite épouser.

Dans son arrêt, la Cour a tenu compte de l’intérêt supérieur des deux jumelles de vivre avec leur père, ainsi que du fait que le requérant n’a commis qu’une seule infraction grave, son comportement s’étant, par la suite, avéré irréprochable. Elle considère donc que les autorités suisses ont « outrepassé la marge d’appréciation » dont elles disposent et qu’il y aurait violation de l’art. 8 CEDH en cas d’expulsion.

Ce jugement intervient alors que l’Assemblée fédérale doit se prononcer sur la mise en œuvre de l’initiative de l’UDC « pour le renvoi des étrangers criminels », acceptée par le peuple en novembre 2008. La Suisse avait déjà été condamnée une première fois par la CourEDH pour le renvoi d’un jeune Turc en raison de ses délits pénaux (voir la brève). Par ailleurs, le Tribunal fédéral a récemment donné gain de cause à un délinquant macédonien menacé de renvoi (voir la brève), admettant qu’une législation nationale ne peut être appliquée si elle est contraire au droit international.

Source :

arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 16 avril 2013 (requête n°12020/09)

Cas relatifs

Cas individuel — 31/05/2022

Une personne homosexuelle menacée de renvoi gagne à Strasbourg

Après divers refus d’asile en Suisse et un refus de regroupement familial, Banna*, homosexuel, dépose un recours auprès de la CourEDH. Cette dernière admet le recours, épingle l’évaluation insuffisante des tribunaux suisses.
Cas individuel — 10/04/2014

Il doit aller jusqu’au TF pour pouvoir élever sa fille suissesse

« Jalil » et sa femme suissesse se séparent après 6 années de relation dont 1 an de mariage. Malgré la très étroite relation qu’il conserve avec leur fille âgée de 6 ans et sa bonne intégration, il devra faire recours jusqu’au TF pour obtenir la prolongation de son permis de séjour.
Cas individuel — 03/01/2013

L'ODM nie la jurisprudence fédérale et renvoie un enfant ressortissant européen

Mariée à un ressortissant français depuis 2005, « Ivana » s’installe en Suisse et y occupe divers emplois. Après le prononcé de son divorce et malgré son indépendance financière, elle se voit refuser le regroupement familial qui découle du droit de séjour de son fils, ressortissant communautaire. Dans son argumentaire, l’ODM nie l’évolution de la jurisprudence du TF.
Cas individuel — 19/01/2011

Refus de permis pour le père de deux
enfants qui vivent en Suisse

En 1992, « Yunus », un turc qui vit en Suisse depuis 8 ans, se marie avec une suissesse avec laquelle il a une fille. Après un divorce en 1996, il repart en Turquie. En 2002, il revient illégalement et son fils de 5 ans, né d’un second mariage, le rejoint en 2003. En 2010, un permis humanitaire pour vivre avec ses deux enfants en Suisse lui est refusé.