Renvoi d’une victime de violences conjugales
et de sa fille scolarisée depuis 9 ans en Suisse

Au bénéfice d’un permis B par mariage, « Carmen » fait venir en 2003 sa fille « Vanessa », alors âgée de 6 ans. 9 ans plus tard, suite au deuxième divorce de « Carmen » dû à des violences conjugales, les autorités cantonales décident de les renvoyer, au mépris de l’intérêt supérieur de l’adolescente et des violences subies par sa mère.

Mise à jour

En août 2012, une nouvelle demande de permis de séjour est introduite auprès du SPOP, cette fois-ci sous l’angle de l’art. 30 LEtr (cas de rigueur). Sont invoqués le fait que « Carmen » ait trouvé un emploi, les résultats scolaires de « Vanessa » et son suivi médical, ainsi que la durée du séjour en Suisse – 17 ans pour « Carmen » et 9 ans pour « Vanessa ». En février 2013, le SPOP accepte de soumettre la demande à l’ODM qui rend une décision positive en juillet 2013.

Personne(s) concernée(s) : « Carmen » née en 1972 et « Vanessa » née en 1997

Statut : permis B par mariage -> non renouvellement

Résumé du cas

« Carmen » arrive en Suisse en 1995, et obtient des permis de courte durée entre 1998 et 2000. Suite à son mariage avec son ami suisse en 2002, elle reçoit un permis B. L’année suivante, sa fille « Vanessa », alors âgée de 6 ans, la rejoint en Suisse. En 2006, après la séparation du couple liée au comportement violent du mari, le SPOP révoque les autorisations de séjour de « Carmen » et de sa fille. En 2007, « Carmen » se remarie avec un nouvel ami suisse, mais leur union est dissoute 2 ans plus tard, car « Carmen » est à nouveau victime de violences conjugales. En 2011, le SPOP décide de ne pas renouveler son permis ni celui de sa fille. « Carmen » et « Vanessa » font recours auprès du Tribunal cantonal. Elles mettent en avant les violences conjugales subies par « Carmen » et les années que « Vanessa » a passées en Suisse pendant la période cruciale qu’est l’adolescence. Bonne élève, « Vanessa » se trouve en procédure de naturalisation. Cependant, tout comme le SPOP et malgré l’avis de spécialistes, les juges estiment que la réintégration de « Vanessa » dans son pays n’est pas fortement compromise et que les violences conjugales subies par « Carmen » n’ont pas atteint un degré d’intensité suffisant pour justifier le renouvellement d’un permis uniquement sur la base des violences (art. 50 LEtr). Concernant les autres critères permettant la reconnaissance d’un cas de rigueur (art. 30 LEtr), le Tribunal reproche à « Carmen » de ne pas être indépendante financièrement et d’entretenir des relations parfois violentes avec sa fille, sans tenir compte des violences subies par « Carmen » ni de la psychothérapie qu’elle suit.

Questions soulevées

 Comment comprendre que la conjugaison des violences conjugales subies par « Carmen » et des indices de graves entraves à la réintégration de sa fille n’ait pas conduit à la reconnaissance de raisons personnelles majeures au sens de l’art. 50 LEtr ?

 Comment se fait-il que la protection des victimes de violences conjugales et l’intérêt supérieur de leurs enfants (art. 3 CDE) – qui subissent également les conséquences de ces violences – ne soient pas jugés plus importants que l’application d’une politique migratoire restrictive ?

Chronologie

1995 : arrivée de « Carmen » en Suisse et mise au bénéfice de plusieurs permis de courte durée

2003 : obtention d’un permis B par mariage (jan.) ; arrivée en Suisse de sa fille « Vanessa » (juillet)

2006 : décision du SPOP de révoquer leurs permis suite à la dissolution du 1er mariage (mars)

2007 : 2e mariage (mai)

2011 : non renouvellement de leurs permis après séparation (sept.) ; recours au Tribunal cantonal (oct.)

2012 : rejet du recours par le Tribunal cantonal (juillet)

Description du cas

« Carmen » arrive en Suisse en 1995, à l’âge de 22 ans, et bénéficie entre 1998 et 2000 de plusieurs permis de type L. Suite à des contrôles de police, « Carmen » doit quitter la Suisse en 2001, alors qu’elle a un ami suisse. Afin d’éviter une séparation, le couple décide de se marier en 2002. Au bénéfice d’un permis B, « Carmen » fait venir en 2003 sa fille « Vanessa », alors âgée de 6 ans. Victime de violences de la part de son mari, « Carmen » le quitte l’année suivante. En 2006, le SPOP révoque les permis de « Carmen » et de « Vanessa ». Leur délai de départ est prolongé afin de permettre à « Carmen » de se remarier en 2007 avec son nouvel ami suisse. En 2009, le couple se sépare à cause du comportement violent du mari et de sa conduite inappropriée à l’égard de sa belle-fille. Depuis lors, « Carmen » élève seule sa fille et suit une formation de styliste de mode.

En septembre 2011, le SPOP refuse de renouveler les permis de séjour de « Carmen » et de « Vanessa » sollicité pour raisons personnelles majeures (art. 50 al. 1 let. b LEtr). Le service cantonal estime que « Vanessa » conserve au Brésil « des points de repère familiaux et linguistique » et que « Carmen » y a davantage d’attaches qu’en Suisse. Il écarte ainsi la possibilité d’admettre que leur situation répond aux deux critères cumulatifs – réintégration dans le pays d’origine fortement compromise et violences conjugales subies –, ouvrant le droit au renouvellement de leurs permis selon l’art. 50 al. 2 LEtr. En outre, d’après le SPOP, les violences conjugales subies par « Carmen » – notamment une dispute violente en juin 2009 – n’atteignent pas l’intensité requise par la jurisprudence en vigueur pour la prolongation de son permis uniquement sur cette base. Enfin, selon le service cantonal, « Carmen » n’a pas fait preuve d’une intégration réussie, car elle est alors sans emploi et a fait l’objet d’un rapport de police en raison de son attitude envers sa fille.

Avec l’aide d’une mandataire, « Carmen » et « Vanessa » saisissent le Tribunal cantonal. Elles rappellent que « Carmen » est orpheline depuis l’âge de 4 ans et qu’elle n’entretient aucun lien particulier avec son seul frère. Pour sa part, « Vanessa » n’a jamais été scolarisée au Brésil et, depuis son arrivée en Suisse, elle n’y est retournée qu’une fois pour de courtes vacances. Elle déclare ne pas pouvoir écrire en portugais, ce qui entraverait sérieusement sa réintégration. En Suisse, elle est admise au gymnase pour la rentrée 2012, et est actuellement en procédure de naturalisation. Par ailleurs, le Service de protection de la jeunesse (SPJ) informe le tribunal qu’un retour au Brésil « représente un danger important pour l’équilibre du développement psychique et social » de « Vanessa », qui a besoin de stabilité et d’un accompagnement socio-éducatif au vu des deux ruptures conjugales auxquelles elle a assisté. Quant à la relation mère-fille, « Carmen » signale que grâce au soutien psychologique mis en place par le SPJ, elle devrait surmonter le schéma de violence dans lequel elle se trouve depuis son enfance. Ultérieurement, « Carmen » informe le Tribunal de l’obtention d’un contrat de travail temporaire subventionné, puis d’un deuxième, à durée indéterminée à 40%. De plus, elle a entre-temps obtenu son certificat fédéral de capacité (CFC) de créatrice de vêtements.

En juillet 2012, le Tribunal cantonal rejette le recours. En suivant la position du SPOP, il estime, malgré l’avis des professionnels du domaine de la protection des enfants, que les « points de repère culturel et linguistique » que Vanessa conserve avec son pays d’origine permettront sa réintégration après 9 ans de séjour en Suisse, et ce malgré sa fragilité psychique. En outre, le Tribunal considère que « Carmen » n’a pas démontré une intensité suffisante des violences conjugales subies et que « sa situation professionnelle n’a guère évolué. » Il souligne par ailleurs son jeune âge (40 ans) et son absence d’attache familiale en Suisse.

Signalé par : La Fraternité (Centre social protestant – Vaud), juillet 2012

Sources : recours (11.10.11), arrêt du Tribunal cantonal vaudois (9.07.12)

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