Décision d’expulser une victime de violences conjugales et sa fille titulaire d’un permis C

Le SEM nie l’intensité et la systématique des violences conjugales subies par « Elira » en remettant sa parole en cause et en donnant un poids prépondérant aux dires du mari. L’autorité décide de la renvoyer avec sa fille de 3 ans, titulaire d’un permis C, faisant fi du droit de la fillette à vivre auprès de ses deux parents.

Mise à jour

De nouveaux documents versés au dossier par le mandataire d’« Elira » ont conduit le SEM à revenir sur sa décision de renvoi de cette jeune maman et sa fille de 3 ans. Grâce à une lettre de son ex-mari qui admet les violences conjugales et explique suivre une psychothérapie, ainsi qu’à une condamnation pénale de ce dernier par un tribunal d’arrondissement, « Elira » a finalement obtenu gain de cause et verra son permis de séjour être prolongé. Ainsi, le recours pendant au TAF est devenu sans objet et a été radié. La jeune femme pourra rester en Suisse avec sa fille, déjà au bénéfice d’un permis d’établissement.

Personne(s) concernée(s) : « Elira », née en 1990, et sa fille « Shpresa », née en 2012

Statut : permis B par mariage -> renouvellement refusé

Résumé du cas

« Elira » se marie en 2012 au Kosovo avec un ressortissant kosovar titulaire d’un permis C. Elle arrive en Suisse au cours de cette même année et met au monde une petite fille, « Shpresa ». En 2014, une dispute éclate le jour de l’anniversaire d’« Elira ». Son époux la gifle, l’insulte et lui tire les cheveux. Elle tombe dans la baignoire et perd connaissance. Lorsqu’elle tente de fuir pour appeler les secours, elle se fait rattraper par son mari qui la violente encore, l’attrape par le cou, lui donne un coup de tête, l’insulte et menace de l’égorger. Elle finit tout de même par réussir à appeler la police. Elle décide de porter plainte et quitte son domicile pour être mise à l’abri. Plusieurs constats médicaux attestent des violences subies et « Elira » est reconnue en tant que victime au sens de la LAVI. Mais pour le SEM, les violences n’atteignent pas le seuil d’intensité ni le caractère « systématique » requis par la jurisprudence, alors même qu’« Elira » indique que les violences datent de leur mariage au Kosovo. Le SEM abonde en revanche dans le sens des témoignages de l’époux, qui minimise la situation. D’après le SEM, « Elira » ne remplit pas les conditions d’un cas de rigueur d’extrême gravité (art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr). Elle ne se verra donc pas renouveler son permis de séjour et doit quitter la Suisse, accompagnée de sa fille, « Shpresa », dont elle a la garde. Celle-ci est pourtant titulaire d’un permis d’établissement (permis C). L’administration estime à l’égard de la fillette que, vu son âge (3 ans), sa réintégration dans le pays d’origine n’est pas compromise. En ce qui concerne son droit à maintenir une relation avec le père qui exerce un droit de visite élargi et la voit près de 3 fois par semaine, le SEM affirme que la condition du lien affectif n’est pas remplie. Il souligne par ailleurs l’absence de lien économique, le père n’ayant jamais payé de contribution d’entretien, ce qui s’explique pourtant au vu de sa situation professionnelle et financière (chômage puis revenu d’insertion). Le SEM décide donc de séparer la famille, bien que les relations entre les deux parents se soient pacifiées et que le père entretienne une relation effective avec sa fille. Un recours est en suspens devant le TAF.

Questions soulevées

 

« Elira » se retrouve doublement victime, d’une part de violence conjugale et d’autre part de celle d’une administration censée la protéger, qui nie les violences subies et décide de la renvoyer. Cette pratique ne risque-t-elle pas de dissuader les femmes dans une situation similaire de quitter un conjoint violent, parfois au péril de leur vie ? Pour plus d’informations sur cette thématique, lire le rapport de l’ODAE romand « Femmes étrangères victimes de violences conjugales, 3ème édition »

Les exigences de prouver l’intensité et la systématique des violences sont contraires au rapport du bureau de l’Egalité (p. 22), qui appelle le SEM à adapter ses directives. Changera-t-il de pratique ?

L’intérêt à renvoyer « Elira » et « Shpresa » l’emporte-t-il sur l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 CDE) et le respect de l’unité familiale (art. 8 CEDH) ? La Suisse a été condamnée pour ne pas avoir pris suffisamment en compte ces principes dans l’arrêt de la CourEDH El Ghatet c. Suisse (repris par le TF dans un arrêt 2C_27/2016). Quel impact aura cette jurisprudence dans un cas comme celui-ci ?

Chronologie

2012 : mariage au Kosovo ; venue en Suisse d’« Elira » (mai) ; naissance de « Shpresa » (juill.)

2014 :« Elira » dépose une plainte pénale pour violences conjugales et quitte le domicile (mai) ; mesures protectrices de l’union conjugale (juillet)

2015 : reconnaissance d’« Elira » comme victime au sens de la LAVI ; décision négative du SEM (déc.) ; nouvelles mesures protectrices de l’union conjugale, droit de visite élargi à l’époux (déc.)

2016 : recours au TAF (jan.) ; demande d’informations supplémentaires par le TAF (jan.)
N.B. : Le recours est en suspens devant le TAF au moment de la publication

Description du cas

« Elira » se marie en 2012 au Kosovo avec un ressortissant kosovar titulaire d’un permis C. La même année, elle vient en Suisse et met au monde une petite fille, « Shpresa », qui obtient un permis C découlant de celui de son père. En 2014, une dispute éclate le jour de l’anniversaire d’« Elira » dans l’appartement où vit le couple avec la famille de Monsieur. L’époux d’« Elira » la gifle, l’insulte et lui tire les cheveux. Lorsqu’elle rejoint la salle de bains, il la suit, l’y gifle à nouveau, provoquant sa chute dans la baignoire où, se tapant la tête contre le robinet, elle perd connaissance. Plus tard, à son réveil, lorsqu’elle recherche une cabine téléphonique pour appeler les secours, son époux la rejoint, l’attrape par le cou, lui tire les cheveux, lui donne un coup de tête et l’insulte en la menaçant de l’égorger. Elle finit tout de même par réussir à appeler la police avec un vieux téléphone portable. Elle porte plainte et est mise en sûreté avec sa fille de 3 ans qui a assisté à toute la scène. Son permis de séjour, obtenu par regroupement familial avec son mari, arrivant à échéance, « Elira » dépose une demande de renouvellement via son mandataire juridique. Elle invoque les violences subies, joignant à la demande plusieurs constats médicaux, le rapport de police, ainsi qu’une attestation du centre LAVI reconnaissant sa qualité de victime. « Elira » précise que la crise lors de son anniversaire n’est pas un événement isolé et que les violences ont commencé dès le mariage au Kosovo.

Cependant, le SEM rend une décision négative et prononce le renvoi d’« Elira », Pour l’autorité, les violences subies ne constituent pas une raison personnelle majeure (art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr) justifiant le renouvellement du permis malgré la séparation après 3 ans de vie commune et des preuves de violences pourtant bien réelles. D’après le SEM, « un seul épisode violent au sein du couple peut être établi avec certitude », lorsqu’« Elira » a enfin porté plainte, et par conséquent le caractère « systématique » des violences requis par la jurisprudence n’est pas rempli. Le SEM met ainsi en doute le fait que, dans la violence conjugale, la domination du conjoint se met en place par un long mécanisme (ayant débuté ici dès la conclusion du mariage) et dans lequel la violence physique n’est qu’un des nombreux aspects. De plus, le SEM affirme que les violences subies n’atteignent pas le seuil d’intensité requis par la jurisprudence. Dans le recours au TAF, le mandataire cite le rapport du Bureau fédéral de l’égalité qui rappelle que la violence conjugale constitue « […] un schéma global/durable de comportement de contrôle ». Ainsi, selon le mandataire, « exiger qu’[« Elira »] ait subi des violences conjugales d’une plus grande intensité pour pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour […] est inacceptable ». De plus, le SEM nie l’intégration d’« Elira », sans prendre en compte le fait que cette intégration était empêchée par son époux qui l’a forcée à deux ans d’isolement. Depuis la séparation du couple, « Elira » fait preuve d’une formidable envie de s’intégrer comme le démontrent ses attestations de cours de français et un stage à la COOP. Par ailleurs, le SEM base ses conclusions sur les dires du mari selon lequel il lui serait arrivé de gifler sa femme, mais seulement après qu’elle l’ait également frappé. Encore plus étonnant, le SEM utilise comme argument pour nier l’intensité des violences les propos d’« Elira », qui aurait dit « toujours aimer son mari » lors de son audition en mars 2015. Ce faisant, le SEM fait preuve d’une certaine méconnaissance du phénomène complexe des violences conjugales et nie l’avis des spécialistes.

En outre, la décision du SEM de renvoyer « Elira » impacte la fille dont elle a la garde, pourtant titulaire d’un permis d’établissement. Le SEM affirme, concernant « Shpresa », qu’à 3 ans elle pourra facilement se réintégrer au Kosovo. Le lien affectif entre « Shpresa » et son père, qui dispose d’un droit de visite élargi et en fait effectivement usage auprès de sa fille, est nié par le SEM. L’autorité retient également l’absence d’un lien économique, qui s’explique pourtant par la situation financière (chômage puis revenu de réinsertion) du père. Malgré des relations qui se sont pacifiées entre les parents, le SEM opte pour la séparation géographique de la famille. Un recours est en suspens devant le TAF.

Signalé par : CSP La Fraternité, Lausanne – Mai 2016

Sources : Constat médical CHUV Unité de Médecine des Violences (07.05.2014) ; Rapport de police (08.05.2014) ; Attestation de suivi par un psychothérapeute (12.02.2015) ; Attestation du centre LAVI (19.02.2015) ; Attestation de résidence du centre Malley-Prairie (18.02.2015); Acte d’accusation (26.06.2015) ; Attestation de stage (08.12.2015); Attestation de suivi de cours OSEO VAUD (12.12.2015); Décision du SEM (03.12.2016) ; Recours au TAF (La Fraternité) (04.01.2016) ; Certificat médical (17.01.2016) ; Ratification par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne des mesures protectrices de l’union conjugale (29.02.2016).

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