Renvoi Dublin imminent d’une famille
qui risque des mauvais traitements

En 1998, « Arjun » et « Revathi » fuient des persécutions au Sri Lanka et parviennent à s’établir en Grèce. Durant plusieurs années, ils y subissent des humiliations et attaques racistes répétées. Lors d’une de ces agressions, « Arjun » perd un doigt. La famille dépose alors une demande d’asile en Suisse. L’ODM puis le TAF ordonnent leur renvoi en Grèce, où ils risquent d’autres mauvais traitements, voire un retour forcé au Sri Lanka.

Mise à jour

Suite à l'expiration du délai de 6 mois pour la réalisation du transfert en Italie le 27 avril 2012, « Arjun », « Revathi » et leurs enfants seront entendus par les autorités suisses sur leurs motifs d'asile.

Personne(s) concernée(s) : « Arjun » né en 1971, « Revathi » née en 1972 et leurs deux enfants nés en 2001 et 2005

Statut : demande d’asile -> renvoi Dublin

Résumé du cas

« Arjun » quitte Colombo en 1998 avec son épouse « Revathi », suite à des persécutions. Le couple arrive en Grèce et obtient en 2001 une autorisation de séjour de courte durée renouvelable. Au fil des années, et notamment depuis le début de crise financière, « Arjun », « Revathi » et leurs deux enfants subissent de nombreuses humiliations et attaques verbales et physiques à caractère raciste: menaces, extorsions, expulsions violentes des moyens de transport collectifs – y compris avec l’implication de la police -, saccage de leur porte d’entrée suivi de lacération de leur matelas et destruction d’autres biens à l’intérieur de leur maison, au vu et au su de voisins qui n’interviennent pas. Lorsque des licenciements se produisent dans l’entreprise où travaille « Arjun », certains de ses collègues s’en prennent à lui. « Arjun » y perd un doigt, et se voit contraint par son employeur de taire cet événement. Peu après, lors d’une énième démarche de renouvellement de leur permis, ils doivent s’engager par écrit à quitter le pays à l’issue de leur validité. Par crainte de devoir retourner au Sri Lanka, la famille quitte la Grèce et dépose une demande d’asile en Suisse en juillet 2011. L’ODM puis le TAF estiment que seule la Grèce est compétente pour examiner leur demande, et ordonnent leur transfert en vertu du Règlement Dublin II. Une demande de réexamen est déposée. Leur mandataire insiste sur le fait que les mauvais traitements subis en Grèce constituent des violations de l’art. 3 CEDH s’opposant au renvoi, et qu’ils n’y auraient par ailleurs pas accès à une procédure d’asile équitable. L’ODM réitère son refus. Un recours est interjeté devant le TAF en février 2012. Comme celui-ci est sans effet suspensif, le renvoi pourrait être exécuté à tout moment.

Questions soulevées

 Comment comprendre que la Suisse n’ait pas décidé d’examiner la demande d’asile de cette famille, jugeant de facto comme normaux les actes racistes particulièrement violents qu’ils ont subis en Grèce et le fait que les autorités grecques n’y remédient pas, voire en soient complices?

 Du fait des violences subies en Grèce et de la crainte d’y être renvoyé, l’enfant aîné fait état de troubles psychiques. La clause humanitaire ne devrait-elle pas être activée dès lors qu’entre en jeu l’intégrité de jeunes enfants, laquelle doit être garantie au titre de l’art. 3 CDE?

Chronologie

1998 : arrivée de la famille en Grèce

2001 : obtention d’une autorisation permettant à la famille de résider en Grèce

2011 : demande d’asile en Suisse (juillet) ; audition sommaire (août) ; refus de l’ODM (sept.) ; dépôt d’un recours et rejet par le TAF (oct.)

2012 : demande de reconsidération et nouveau refus de l’ODM (jan.) ; recours devant le TAF (fév.)

Un recours devant le TAF est en suspens.

Description du cas

« Arjun » et « Revathi », tous deux d’origine tamoule, quittent le Sri Lanka en 1998. « Arjun » y a été arrêté et torturé et tant le couple que leurs familles respectives subissent de sérieuses pressions. Moyennant une somme d’argent importante, ils se rendent alors en Grèce, où ils seront exploités en tant que travailleurs domestiques. Ils obtiennent en 2001 un permis de courte durée, renouvelable en fonction de la situation professionnelle d’« Arjun » ; celui-ci collectionne les petits boulots jusqu’à l’obtention en 2004 d’un contrat de travail stable. Cependant, leur vie est entachée d’humiliations et d’agressions à caractère raciste: leur voiture est vandalisée à trois reprises, ils subissent des vexations systématiques dans le bus, « Revathi » se fait extorquer pour pouvoir accoucher en milieu hospitalier ou prendre un taxi, leur fils est régulièrement insulté et agressé par ses camarades d’école, ou encore le certificat de naissance de leur fille née en 2005 leur est refusé au motif qu’ils sont étrangers. La police refuse d’enregistrer leurs plaintes, si bien qu’ils cessent de faire appel aux autorités lors de tels événements, qui se produisent au vu et au su de tous sans que personne n’intervienne.

La crise financière exacerbe ce climat xénophobe. En 2010, l’entreprise d’« Arjun » licencie massivement. Il parvient à y rester, mais se fait agresser physiquement peu après par des ouvriers qui le projettent vers une machine. « Arjun » y perd un doigt et se trouve contraint de déclarer l’incident comme un accident de travail. La même année, leur maison est attaquée trois fois, leurs biens saccagés et eux-mêmes menacés et agressés physiquement par leurs voisins. Dans leur quartier, une maison où vivent des étrangers est incendiée. En mai 2011, certaines personnes font descendre brutalement « Revathi » et d’autres étrangers d’un bus avec l’aide de la police. Tandis que « Revathi » parvient à s’échapper, la situation tourne en bagarre, retransmise à la télévision, et plusieurs personnes en meurent. En juin 2011, « Revathi » se fait chasser lorsqu’elle tente de faire les démarches pour renouveler leur permis de séjour. Avec l’aide d’un avocat, elle y parvient finalement, mais doit alors s’engager par écrit qu’à l’issue de la validité du permis, ils quitteront définitivement la Grèce.

Par crainte de devoir retourner au Sri Lanka, ils se rendent en Suisse et y déposent une demande d’asile en juillet 2011. L’ODM refuse d’entrer en matière et ordonne leur renvoi vers la Grèce. Le TAF confirme le refus, estimant notamment que « les discriminations et attitudes racistes dont les recourants et leurs enfants auraient été victimes sont susceptibles d’exister dans n’importe quel pays démocratique européen ». Il n’y aurait donc pas lieu de faire appliquer la clause de souveraineté, et déroger à la règle établie à l’art. 3 § 1 du Règlement (CE) No 343/2003 (dit Dublin II), qui détermine l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile. Le TAF limite ainsi la portée de sa propre jurisprudence (arrêt D-2076/2010,) qui reconnaissait les insuffisances de la procédure d’asile en Grèce rendant les renvois vers ce pays en principe illicites.

En janvier 2012, leur mandataire dépose une demande de réexamen auprès de l’ODM. Elle se réfère à la jurisprudence de la CourEDH dans M.S.S. c. Belgique et Grèce, qui fait état du caractère inéquitable de la procédure d’asile en Grèce (art. 13 CEDH) pouvant entraîner un refoulement vers le pays de provenance sans examen attentif et rigoureux des risques de torture ou mauvais traitements (art. 3 CEDH). La mandataire rappelle par ailleurs que la dégradation sociale, économique et politique accrue que connaît la Grèce ne ferait qu’intensifier les mauvais traitements auxquels ils seraient sujets en cas de retour. L’ODM maintient son refus et confirme le renvoi en Grèce. Un recours est pendant devant le TAF. L’effet suspensif ne leur ayant pas été accordé, « Arjun », « Revathi » et leurs enfants âgés de 7 et 10 ans pourraient être renvoyés à tout moment.

Signalé par: Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (SAJE) – Vaud, mars 2012

Sources: décision de l’ODM (12.09.11), recours (3.10.12), arrêt du TAF (27.10.12), demande de réexamen (3.01.12), décision incidente du TAF (23.02.12)

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