À sa sortie de l’hôpital, elle est renvoyée avec ses enfants par vol spécial en Croatie

Fiona* a subi des exactions de la part des autorités croates. Sa situation de vulnérabilité n’est pas prise en compte par le SEM et elle y est renvoyée sous la contrainte avec ses enfants.

Mise à jour

En avril 2023, Fiona* et ses deux enfants ont été formellement notifiés par le SEM de la fin de leur procédure Dublin. Après plusieurs mois d’attente, leur dossier sera enfin examiné par la Suisse pour rendre une décision sur leur demande d’asile. La famille attend maintenant d’être contactée pour une audition.

Personne concernée: Fiona* (prénom fictif), 26 ans, et ses deux enfants, âgés de 12 ans et 15 ans

Origine: Afghanistan

Statut: N + aide d’urgence (Deuxième demande d’asile)

Fiona* a été victime de violences conjugales d’ordre psychique et physique de la part de son ex-mari. Afghane, elle vit en Iran sans statut de séjour avec ses deux enfants. À son arrivée en Croatie, la famille est arrêtée et Fiona* est forcée de donner ses empreintes digitales. Elle refuse et est alors enfermée dans une cave dans le noir, sans eau ni nourriture jusqu’à la prise d’empreintes. À différentes reprises sur son trajet, Fiona* est victime de violences sexuelles.

À leur arrivée en Suisse en février 2022, elle et ses enfants déposent une demande d’asile. Les parents et les trois frères de Fiona* vivent en Suisse: elle pourrait ainsi bénéficier de leur soutien. Fiona* souffre de grave problèmes de santé psychique et ses enfants sont aussi fortement marqués par la violence vécue tout au long du parcours.

En mai 2022, le SEM rend une décision NEM et ordonne leur transfert en Croatie en application du règlement Dublin (n°604/2013). Par le biais de sa mandataire juridique, Fiona* fait recours contre la décision. En juin, le TAF confirme la décision du SEM et la menace d’un renvoi imminent plane sur la famille.

Fin août, Fiona* est hospitalisée pour plusieurs semaines afin d’être mise à l’abri d’un geste suicidaire. Son état de santé est critique même à sa sortie, et une curatelle éducative est accordée afin de la soutenir dans les tâches éducatives. Cinq jours après sa sortie de l’hôpital, à l’aube, la police arrête Fiona* et ses enfants au foyer et les renvoie, menottés, par vol spécial pour la Croatie.

Le syndrome de stress post-traumatique de Fiona*, la nécessité d’un suivi psychiatrique et de sa médication n’ont pas été pris en considération, de même que les risques élevés de suicide. Au moment de la décision du SEM, puis de celle du TAF, les enfants n’avaient eux toujours pas pu bénéficier d’un suivi pédopsychiatrique et donc attester de leurs difficultés psychiques. En Croatie, la famille fuit les mauvaises conditions du camps, vit dans la rue et revient en Suisse après quelques semaines. Une nouvelle demande d’asile est déposée en octobre 2022. Aujourd’hui les troubles psychiques des enfants, de même que les traumatismes liées entre autres au renvoi en Croatie sous la contrainte sont attestés médicalement. La demande d’asile est toujours pendante.

Questions soulevées

  • Comment se fait-il que les autorités, averties de la problématique médicale et de l’hospitalisation de Fiona*, aient pu ordonner le renvoi avant même de recevoir le certificat médical pourtant annoncé ?
  • Compte tenu des troubles psychiques de Fiona*, de la nécessité d’une curatelle pour ses enfants et du lien de dépendance avec sa famille vivant en Suisse, comment le SEM et le TAF ont-ils pu estimer que Fiona* et sa famille n’étaient pas des personnes vulnérables ? Que faut-il de plus pour que les autorités décident d’appliquer la clause de souveraineté ?
  • Les exactions et violations des droits humains à l’encontre migrant×exs en Croatie sont documentées et le pays a été condamné en janvier dernier par la CourEDH. Comment se fait-il que la Suisse maintienne les renvois forcés vers cette destination ?
  • La Suisse a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Le cas de Fiona ne témoigne-t-il pas du fait que les violences vécues par les femmes sont insuffisamment prise en compte dans la procédure d’asile ?

Chronologie

2021 : prise des empreintes digitales sous contrainte en Croatie (déc.).

2022 : demande d’asile en Suisse (fév.) ; décision NEM Dublin (mai) ; décision négative du TAF (juin) ; hospitalisation (août-sept.) ; décision de curatelle éducative pour les enfants (sept.) ; renvoi en Croatie (oct.) ; nouvelle demande d’asile en Suisse (oct.).

Description du cas

Après avoir vécu des violences physiques et psychologiques, Fiona* s’est séparée de son ex-mari violent et toxicodépendant. Afghane et vivant en Iran sans papiers officiels, elle décide de fuir avec ses enfants. Elle arrive en Croatie fin 2021. Fiona* veut demander l’asile en Suisse où vit le reste de sa famille avec qui elle avait débuté son parcours migratoire, avant d’en être séparée en Grèce. Elle refuse donc de donner ses empreintes digitales aux forces de l’ordre croates. Elle est alors enfermée dans une cave, privée de lumière, d’eau et de nourriture jusqu’à ce qu’elle cède.

À son arrivée en Suisse en février 2022, la famille dépose une demande d’asile. De graves problèmes de santé de Fiona* sont attestés par des médecins qui diagnostiquent un état de stress post-traumatique (PTSD), un trouble dépressif, des angoisses et un risque suicidaire. Fiona* est aussi inquiète de l’état de santé de ses enfants, qu’elle décrit comme tristes et déprimés.

En mai 2022, en application du règlement Dublin (n°604/2013), une décision de NEM et de transfert en Croatie lui est notifiée. Sa mandataire fait recours. Elle reproche au SEM de ne pas avoir pris en compte l’état de vulnérabilité de la famille, pas plus que la présence en Suisse de la famille proche de Fiona* et le soutien indispensable que cela représente. En effet, les parents de Fiona résident en Suisse, tout comme ses trois frères. Fiona* trouve chez eux un soutien précieux pour elle et ses enfants. Elle invite les juges du TAF à appliquer la clause de souveraineté (art. 17 règl. Dublin) afin que la procédure d’asile soit traitée en Suisse.

Le recours est rejeté par le TAF en juin 2022. Au moment de la décision, les enfants de Fiona* n’ont toujours pas eu la possibilité de consulter de pédopsychiatre. À la suite de la décision, l’état de santé psychique de Fiona se péjore en lien avec la menace de renvoi et les traumatismes de son parcours migratoire. Fin août, elle est hospitalisée pour mise à l’abri d’un geste suicidaire durant presque un mois. Ses enfants sont placés dans une institution de protection de l’enfance le temps de l’hospitalisation. À sa sortie, les médecins attestent d’un épisode dépressif sévère en plus du PTSD et de la « fragilité de la situation clinique qui reste globalement instable et imprévisible ». Elle vit des flashbacks fréquents lié aux épisodes de tortures vécus en Croatie, des angoisses et des envies de mort en permanence ainsi que des douleurs physiques, entre autres. Selon le certificat médical, « un suivi psychiatrique est indispensable. […] Un retour en Croatie est contrindiqué sur le plan médical, qui pourrait engager un risque vital ». A sa sortie de l’hôpital, en septembre 2022, elle prend quotidiennement plusieurs médicaments. Le jour même, il est décidé d’instaurer une curatelle éducative pour les enfants par la Justice de paix.

Fin septembre, le service cantonal de la population est averti qu’une demande de réexamen sera déposée rapidement, dès obtention du certificat médical. Pourtant, deux jours plus tard, à cinq heures du matin, Fiona* et ses enfants sont arrêtés au foyer, menottés tous les trois et renvoyés par vol spécial en Croatie. À leur arrivée en Croatie, les enfants et Fiona* ne reçoivent pas de nourriture jusqu’au soir, sont logés dans des locaux non chauffés et en présence de cafards. Fiona*, en état de choc, n’a pas accès à ses médicaments. Le certificat médical rédigé au terme de son hospitalisation en Suisse spécifiait pourtant les risques importants qu’engendrerait l’arrêt du traitement médicamenteux, avec des syndromes de sevrages nombreux et pouvant conduire au passage à l’acte suicidaire, entre autres. En raison des conditions inhumaines dans le camp en Croatie, la famille s’enfuit et vit dans la rue pendant quelques jours.

Fiona* et ses enfants reviennent alors par leurs propres moyens en Suisse et déposent une nouvelle demande d’asile en octobre 2022. Lors d’entretiens avec sa mandataire juridique, Fiona* raconte enfin les abus sexuels dont elle a été victime sur la route de l’exil, ce qui ne lui avait pas été possible auparavant, ayant été entendue avec un interprète homme auprès du SEM comme de ses médecins. Les enfants de Fiona bénéficient finalement d’un diagnostic médical. L’aîné âgé de quinze ans souffre d’un PTSD, et le cadet, âgé de onze ans, a également des troubles psychiques importants en lien direct avec les expériences vécues. Les deux enfants sont sous médications. Dans la nouvelle demande d’asile, la mandataire de la famille invoque plusieurs conventions internationales ratifiées par la Suisse qui s’opposent à un renvoi Dublin et permettraient à la Suisse d’examiner directement la demande d’asile de Fiona*: la Convention contre la torture (CAT), la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). La demande d’asile fait également référence à la situation en Croatie, dénoncée par différentes organisations dont le Conseil Européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) et Amnesty International.

Signalé par : Caritas Suisse, BCJ Romandie

Sources : TAF, arrêt E-2381/2022 du 09.06.2022 ; CourEDH, affaire Daraibou c. Croatie du 17.01.2023

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