Le SEM ne le reconnaît pas comme mineur et lui refuse l’asile par erreur

Requérant d’asile afghan de 16 ans, « Imran » n’est pas reconnu comme mineur par le SEM. Il est ainsi contraint de vivre avec des adultes, situation stressante et effrayante pour lui, qui souffre déjà de problèmes psychiques et d’insomnies. De plus, le SEM rejette sa demande d’asile et rend une décision de renvoi. Suite à un recours au TAF, le SEM finit par reconsidérer sa décision, admet la minorité, la qualité de réfugié et lui octroie l’asile.

Personne(s) concernée(s) : « Imran », né en 2000

Statut : minorité niée, asile rejeté > minorité admise, asile accordé

Résumé du cas

« Imran » a 16 ans lorsqu’il arrive en Suisse et dépose sa demande d’asile. La seule preuve de son âge est sa taskera (carte d’identité afghane) qu’il a confiée à l’agent de sécurité du CEP dans lequel il est arrivé. L’agent ne l’a pas transmise aux autorités avant le premier entretien. Malgré les déclarations d’« Imran » qui affirme être mineur, le SEM ordonne de procéder à un examen osseux qui indique qu’il aurait 19 ans. Selon la jurisprudence, cette méthode présente une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à 2 ans et demi, et a donc une valeur probante extrêmement limitée. « Imran » n’est donc pas reconnu mineur et est logé avec des adultes dans un abri de protection civile, malgré d’importants problèmes médicaux. Par ailleurs, il n’est pas scolarisé. Quelques temps plus tard, il reçoit une décision négative à sa demande d’asile. Le SEM considère que le jeune homme ne peut se prévaloir des menaces reçues par son père de la part des talibans. La mandataire d’« Imran » introduit un recours au TAF. Elle déplore le refus de l’asile et réaffirme la minorité de son mandant en s’appuyant sur le rapport du ROE, ainsi que sur des considérations jurisprudentielles et doctrinales relatives aux examens osseux. Elle presse les autorités de prendre en compte la taskera dont la validité n’a pas été remise en question. Suite au dépôt du recours, l’Hospice général accepte de placer « Imran » dans un foyer pour mineurs. Concernant l’asile et le statut de réfugié, la mandataire reproche au SEM de ne pas prendre en compte la notion de « persécution réfléchie », selon laquelle les membres de la famille peuvent être directement touchés par des menaces et persécutions adressées à l’un des leurs. Enfin, concernant l’inexigibilité du renvoi, la mandataire déplore l’absence de prise en compte par le SEM de l’état de santé psychologique déplorable d’« Imran ». Le TAF accepte d’entrer en matière sur le recours, accorde une assistance judiciaire partielle, et renvoie la cause au SEM. Le SEM reconsidère alors sa décision, octroie l’asile et admet la minorité d’ « Imran ». Celui-ci aura tout de même vécu plusieurs mois en hébergement pour adultes dans une grande incertitude, ce qui aura de toute évidence contribué à péjorer son état de santé déjà fragile.

Questions soulevées

 

Le HCR souligne dans ses principes directeurs (ch. 75) qu’au vu du taux d’erreur des méthodes de détermination de l’âge, la personne devrait, en cas de doute, être considérée comme mineure. Pourquoi le SEM ne suit-il pas ce principe, prenant le risque de bafouer les droits de l’enfant ?

Comment est-il possible que le SEM commette des erreurs d’appréciation sur autant de points (asile, qualité de réfugié, inexigibilité du renvoi, minorité), d’autant plus dans le cas d’une personne doublement vulnérable (MNA, de surcroît avec des problèmes de santé) ?

N’est-il pas étonnant que le SEM dans son Manuel asile et retour C10 n’accorde qu’un poids moindre à l’analyse osseuse et la considère dans le cas présent comme probante ?

Chronologie

2016 : Arrivée en Suisse (jan-fév.) ; Audition sur les données personnelles (juil.) ; Audition sur les motifs d’asile (déc.) ; Courrier d’Elisa : demande de modification âge dans le SYMIC (août) ; Décision d’asile négative (oct.) ; Recours au TAF (nov.) ; Décision incidente du TAF (nov.); Reconsidération de la décision négative du SEM (déc.) ; Courrier du SEM à l’OCPM d’annonce d’un MNA (déc.)

Description du cas

« Imran », d’origine afghane, a fui son pays en raison des menaces que subissait son père de la part des talibans et par crainte d’être lui-même touché par ces menaces. Il arrive en Suisse et y dépose une demande d’asile début 2016. Il dit être âgé de 16 ans, ce qu’atteste sa taskera (carte d’identité afghane). Or, celle-ci a été confiée à l’agent de sécurité du CEP qui ne l’a pas remise aux autorités avant la première audition. Le SEM met en doute ses déclarations (pourtant, même en l’absence de pièce d’identité, « il faut se fonder principalement sur les déclarations du requérant d’asile », JICRA 2004/30) et décide de procéder à un test osseux, examen pourtant controversé. Celui-ci établi qu’« Imran » aurait plus ou moins 19 ans. Selon la jurisprudence, cette méthode présente une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à 2 ans et demi, et a donc une valeur probante extrêmement limitée (JICRA 2000/19 consid. 7c). Malgré ces éléments, le SEM considère qu’« Imran » est majeur. Celui-ci est donc placé dans un abri de protection civile, avec environ une vingtaine d’hommes, puis dans une chambre avec trois autres personnes. Sujet à des insomnies, « Imran » supporte mal ces conditions de vie. En effet, il présente un « syndrome de stress post-traumatique et un trouble dépressif majeur », comme l’atteste un rapport médical. Par ailleurs, « Imran » n’a pas accès à l’école.

Sa mandataire procède rapidement à une demande de changement des données SYMIC d’« Imran » sur la base de la taskera rendue entre temps par l’agent de sécurité. Selon elle, l’agent a manqué à ses responsabilités, de même que le SEM, tenu de prendre en compte les informations disponibles sur une taskera (TAF, arrêt du 29.10.2015, D-6576/2015), d’autant plus que la validité du document d’identité n’a pas été remise en question. La mandataire se fonde également sur la remarque du ROE selon lequel « Imran » « semble physiquement s’approcher plus d’un jeune de 16 ans que de 19 ans ». Pour la mandataire, l’écart entre le résultat du test osseux et l’âge donné par « Imran » est trop faible, et dans ces circonstances, conformément à la jurisprudence du TAF, il ne peut être tenu compte de l’examen osseux. La mandataire évoque également l’article 5 LPD, selon lequel celui qui traite des données personnelles doit prendre toutes les mesures nécessaires pour les rectifier en cas d’erreur. Il incombe au recourant de prouver l’exactitude de la modification qu’il peut demander, chose faite par « Imran » lorsqu’il a présenté sa taskera originale. Dans le rapport succinct du ROE, on peut lire : « À l’heure actuelle rien ne prouve que le [requérant] est majeur. Sa majorité est basée sur le résultat d’un test osseux, à l’efficacité approximative, qui a pourtant prévalu sur un document ID original déposé par le [requérant] ! Le ROE conteste la fiabilité et la validité du test osseux ».

Malgré ces informations, le SEM rejette la demande d’asile d’« Imran ». Il est retenu contre lui le fait qu’il n’ait pas vécu personnellement de persécutions. La mandataire introduit un recours au TAF demandant à ce que l’asile lui soit accordé, que la qualité de réfugié lui soit reconnue ainsi que sa minorité. Pour la mandataire, « Imran » risque d’être victime de « persécution réfléchie », tous les membres de la famille pouvant être visés par les menaces adressées au père, qui ne sont d’ailleurs pas contestées par le SEM. Etonnamment, ce risque n’est pas analysé par le SEM. Concernant la minorité, la mandataire évoque le Manuel du SEM Asile et retour (art. C10), selon lequel l’examen osseux ne constitue qu’un indice faible. De plus, le corps médical considère « Imran » comme mineur et son suivi psychologique a lieu dans un département spécialisé pour les enfants et adolescents. Concernant l’inexigibilité du renvoi, la mandataire rappelle les problèmes médicaux d’« Imran » (stress post-traumatique, épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques avec idées suicidaires et difficultés liées à l’acculturation). Elle conteste l’avis du SEM, par ailleurs peu étoffé, selon lequel les difficultés psychiques n’atteignent pas l’intensité requise. Le TAF admet le recours, octroie une assistance judiciaire partielle, et invite le SEM à se positionner. Celui-ci reconsidère alors sa décision : il admet la minorité d’« Imran », lui reconnaît la qualité de réfugié et lui octroie l’asile. Même si l’administration cantonale chargée de l’hébergement des requérants d’asile a accepté de placer l’adolescent dans un foyer pour mineur suite au recours, « Imran » aura tout de même vécu plusieurs mois dans des hébergements pour adultes, notamment en abri de protection civile, et ceci en dépit de sa double vulnérabilité liée à son âge et à son état de santé.

Signalé par : Elisa-Asile – Décembre 2016

Sources : Protocole des auditions (01.12.2016 ; 22.07.2016) ; Rapport succinct EPER ; Rapport médical HUG (29.07.2016) ; Courrier d’Elisa demande de modification âge dans le SIMIC (31.08.2016) ; Décision d’asile du SEM (10.10.2016) ; Recherche-pays OSAR (12.10.2016) ; Recours au TAF (01.11.2016) ; Décision incidente du 9 novembre 2016, ATAF D-6787/2016 ; Courrier du SEM : reconsidération de la décision du 10.10.2016 (09.12.2016) ; Courrier du SEM à l’OCPM d’annonce d’un RMNA (09.12.2016)

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