Mineure et fuyant un mariage forcé, elle ne peut entrer en Suisse

L’adolescente « Eden » est contrainte de fuir le domicile familial parce que son père a organisé son mariage forcé. Vivant cachée avec sa mère car activement recherchée, elle dépose une demande de visa humanitaire à l’ambassade suisse d’Addis-Abeba mais essuie un refus. Le TAF confirme cette décision arguant qu’elle ne court pas de « danger imminent ».

Personne(s) concernée(s) : « Eden », née en 1998

Statut : demande de visa humanitaire -> demande rejetée

Résumé du cas

En 2012, « Eden », jeune fille âgée de 14 ans originaire d’Éthiopie, est contrainte de fuir le domicile familial où elle est menacée de mariage forcé. En effet, après le décès subit de sa sœur aînée, l’époux désormais veuf exige auprès du père le remboursement de la dot ou le remplacement de la défunte par sa sœur cadette. Refusant de se soumettre à ces exigences, auxquelles son père veut se plier, « Eden » prend la fuite et se rend à Dire Dawa avec sa mère pour y faire son passeport. Sur place, la mère rencontre un des oncles d’« Eden » qui insiste pour savoir où elle se trouve. Se sachant recherchées, la mère et la fille se cachent alors chez un ami. En avril 2013, « Eden » dépose une demande de visa humanitaire à l’ambassade suisse d’Addis-Abeba mais celle-ci est rejetée. Cette décision est confirmée par l’ODM au motif qu’« Eden » dispose de la protection de sa mère et n’est donc pas exposée à un danger imminent. La jeune fille formule alors un recours devant le TAF. Elle y explique que la protection de sa mère n’est pas suffisante au vu de la condition des femmes en Éthiopie et que les autorités du pays ne sont pas en mesure d’assurer sa sécurité. Enfin, si son père la retrouve, elle risque des représailles, un enlèvement ou de se faire violer par son beau-frère. En novembre 2013, le père séquestre deux des frères d’« Eden », pour la contraindre à revenir et se soumettre à ses exigences. Dans son arrêt, le TAF concède l’absence de protection de la part des autorités éthiopiennes mais il lui refuse l’entrée en Suisse car comme l’ODM, il estime qu’« Eden » a pu bénéficier rapidement du soutien de sa mère et que les allégations selon lesquelles elle serait recherchée ne reposent sur aucune preuve tangible.

Questions soulevées

 Comment l’ODM puis le TAF peuvent-ils considérer qu’« Eden » n’est pas exposée à un « danger imminent » alors qu’elle est forcée de vivre cachée avec sa mère ?

 Si la menace d’un mariage forcé pesant sur une mineure à laquelle l’État ne peut offrir de protection – situation qui n’est pas contestée par les autorités – ne constitue pas un motif d’octroi de visa humanitaire, quel danger faut-il encourir pour l’obtenir ?

 Présenté comme une mesure de substitution à l’ancienne procédure d’asile en ambassade, le visa humanitaire remplit-il ainsi le rôle de protection annoncé ?

Chronologie

2013 : demande de visa humanitaire à l’ambassade (avril) ; refus d’octroi du visa par l’ambassade et opposition contre cette décision auprès de l’ODM (mai) ; refus d’autorisation d’entrée par l’ODM (août) ; recours au TAF (sept.) ; séquestration de deux frères d’« Eden » par le père et arrêt du TAF (nov.)

Description du cas

En septembre 2012, la sœur aînée d’« Eden », jeune fille éthiopienne âgée de 14 ans, décède subitement. Son mari réclame alors au père le remboursement de la dot ou le remplacement de la défunte par « Eden ». Le père d’« Eden » entend se plier à ces exigences et convient d’un mariage fin novembre. Refusant de se soumettre à ce mariage forcé, la jeune fille prend la fuite accompagnée de sa mère. Elles trouvent d’abord refuge chez un ami, puis se rendent à Dire Dawa pour déposer une demande de passeport pour « Eden ». La mère y rencontre un oncle d’« Eden » qui se montre très insistant pour savoir où se trouve la jeune fille. Pour être plus prudentes, la mère et la fille retournent alors se cacher. En avril 2013, « Eden » dépose une demande d’octroi d’un visa Schengen pour raisons humanitaires auprès de l’ambassade suisse d’Addis-Abeba. Cette requête est rejetée. « Eden » fait alors opposition contre cette décision auprès de l’ODM à l’aide d’un mandataire contacté par son autre sœur qui habite en Suisse. En août 2013, l’ODM refuse l’entrée en Suisse de l’adolescente arguant que les motifs invoqués ne revêtent pas de détresse particulière et qu’elle bénéficie d’une protection adéquate puisqu’elle se trouve avec sa mère.

Dans son recours au TAF de septembre 2013, le mandataire d’« Eden » rappelle qu’il s’agit d’un cas concernant une mineure. De plus, les autorités éthiopiennes ne sont absolument pas en mesure d’apporter une protection à la jeune fille, comme l’a admis sur un autre cas l’ancienne Commission suisse de recours en matière d’asile (JICRA 2006 n°18 p. 180ss et n°32 p. 336ss). En outre, au vu de la condition des femmes dans le pays, la mère ne peut à elle seule assurer la sécurité de sa fille. À ce sujet, le mandataire fait référence à un rapport de l’OSAR d’octobre 2010 intitulé « Ethiopie : violences à l’égard des femmes » ainsi qu’à une jurisprudence du TAF reconnaissant que « si la loi écrite accorde aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes (…) le statut réel des femmes éthiopiennes est bien plus déterminé, dans la pratique, par des coutumes socio-culturelles d’essence patriarcale » (arrêt E-4749/2006 du 11 juin 2009). Enfin, « Eden » est recherchée par sa famille et risque des représailles, un enlèvement voire un viol. Elle est donc persécutée et ses motifs de fuite sont des motifs spécifiques aux femmes au titre de l’article 3 al. 2 LAsi. Alors que le recours est pendant, en novembre 2013 le mandataire apprend, par le biais de la sœur d’« Eden » résidant en Suisse, que le père a fait enfermer deux de ses propres enfants dans le but de la faire revenir ainsi que sa mère, par chantage. Le mandataire en informe le Tribunal.

Dans son arrêt de novembre 2013, le TAF reconnaît l’absence de capacité des autorités éthiopiennes à protéger la jeune fille. Cependant, il partage l’avis de l’ODM consistant à dire qu’« Eden » peut bénéficier du soutien et de la protection de sa mère. Les allégations selon lesquelles l’adolescente serait recherchée ne reposent, selon les autorités helvétiques, sur aucun élément concret. En ce qui concerne l’affirmation de séquestration des deux frères d’« Eden », le TAF considère qu’elle n’est pas étayée. Aussi, il arrive à la conclusion qu’« Eden » ne se trouve pas dans une « situation de danger imminent ». Le Tribunal confirme ainsi le refus d’autorisation d’entrée de l’ODM.

Signalé par : Caritas – Genève, décembre 2013

Sources : opposition à la décision de l’ambassade (29.05.13) ; décision de l’ODM (21.08.13) ; recours au TAF (23.09.13) ; arrêt du TAF (D-5332/2013 du 27.11.13).

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