Après 20 ans en Suisse, « Houria » se voit réattribuer un statut précaire
« Houria » et sa fille mineure voient leur permis B remplacé, après dix années, par une admission provisoire. Le Tribunal cantonal vaudois, qui reconnaît les efforts d’« Houria » pour trouver un emploi, estime néanmoins que sa détresse psychologique et l’incapacité totale de travailler qui en résulte ne justifient pas sa dépendance à l’aide sociale.
Personne(s) concernée(s) : « Houria », née en 1962 et sa fille « Esma », née en 1998
Origine : Somalie
Statut : permis B humanitaire -> renouvellement refusé
Résumé du cas
Au bénéfice d’une admission provisoire depuis 1994, « Houria », qui vit à Bienne avec ses quatre enfants, se voit octroyer un permis B humanitaire en 2003. Au vu de ses difficultés à trouver un emploi et préoccupée par le comportement bagarreur de son fils, elle décide de déménager dans le canton de Vaud pour y bénéficier du soutien de membres de sa famille. En 2007, malgré le refus du SPOP de leur octroyer un permis B sur le territoire vaudois, le Tribunal cantonal, saisi d’un recours, leur octroie ce permis, renouvelable à condition qu’« Houria » soit financièrement indépendante. Rejetée par ses proches suite au comportement problématique de son fils, « Houria » poursuit, en vain, sa recherche d’emploi. En juillet 2007, elle se sépare d’un homme violent à son égard qui n’est le père d’aucun de ses enfants, et se retrouve seule à s’en occuper. En 2012, le SPOP décide de ne pas renouveler son permis et celui de sa cadette, « Esma », âgée alors de 13 ans, « un âge où un renvoi dans son pays d’origine peut encore raisonnablement être exigé ». Formant recours, la mandataire démontre les recherches d’emploi effectuées par « Houria » et produit deux certificats médicaux attestant de sa détresse et de son incapacité à assumer un emploi. La mandataire insiste également sur l’intérêt supérieur d’« Esma » (art. 3 CDE), qui est née en Suisse et ne connaît que ce pays. Rappelant la situation sécuritaire de la Somalie, elle signale encore que la réattribution d’une admission provisoire, en cas d’inexigibilité du renvoi, constituerait un obstacle supplémentaire à l’autonomie financière d’« Houria ». En août 2012, le Tribunal cantonal, qui reconnaît les efforts d’« Houria » pour trouver un emploi, estime que son incapacité de travail est récente et ne justifie pas sa dépendance à l’aide sociale. Admettant que le renvoi est inexigible, la Cour délivre une admission provisoire (permis F). Après 20 ans en Suisse, dont 10 avec un permis B, « Houria », tout comme sa fille « Esma », se retrouvent à nouveau avec un statut précaire.
Questions soulevées
Comment peut-on attendre d’« Houria » qu’elle devienne financièrement indépendante avec un permis F dont il est démontré (voir le rapport du CSP Genève) qu’il n’encourage pas l’insertion professionnelle, qui plus est lorsqu’on se trouve dans un état de détresse psychologique ?
« Esma », qui est née en Suisse, se retrouve soudainement avec une admission provisoire après avoir été durant 10 ans au bénéfice d’un permis B. Cette nouvelle situation n’est pas sans conséquences, notamment pour son avenir professionnel. Le Tribunal ne devrait-il pas tenir davantage compte de l’intérêt de cette jeune fille mineure, comme l’exige d’ailleurs la Convention internationale relative aux droits de l’enfant?
Chronologie
1993 : arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (oct).
1994 : octroi d’une admission provisoire (mai).
1998 : naissance d’« Esma ».
2003 : octroi d’une autorisation de séjour (juil).
2007 : permis refusé par le SPOP (juin) ; séparation pour violences (juil). ; recours admis par la CDAP (nov).
2012 : décision de non-renouvellement du SPOP (mars) ; recours (avril) et rejet de la CDAP (août).
Description du cas
« Houria » et ses deux enfants déposent une demande d’asile en Suisse en 1993 et sont attribués au canton de Berne. En 1994, ils reçoivent une admission provisoire pour inexigibilité du renvoi (art. 83 al. 4 LEtr). La même année, « Houria » met au monde « Seddik », qui reçoit lui aussi ce permis, de même que sa sœur « Esma », qui naît en 1998. En 2003, la famille est mise au bénéfice d’un permis B humanitaire (ancien art. 13 let. f OLE).
« Houria », qui souffre d’asthme au point d’être hospitalisée à plusieurs reprises, éprouve de grandes difficultés à trouver un emploi. À cela s’ajoutent les soucis que lui cause « Seddik », qui est un garçon difficile et bagarreur. Pour augmenter ses chances de trouver un travail et être davantage soutenue dans l’éducation de son fils, « Houria » et ses enfants quittent Bienne en 2006 pour le canton de Vaud, où vivent des membres de leur famille. En effet, les pères de ses trois premiers enfants habitent à l’étranger, et celui d’« Esma », qui réside dans le canton de Genève, est très peu présent. Par ailleurs, « Houria » est victime de violences de la part de son quatrième mari qu’elle a épousé en 2005 et qui n’est le père d’aucun de ses enfants.
En 2007, le SPOP refuse de leur accorder une autorisation de séjour sur le territoire vaudois au motif qu’ils dépendent de l’aide sociale. Après un recours auprès du Tribunal cantonal, cette décision est annulée par la Cour de droit administratif et public (CDAP), qui tient compte de la situation des enfants adolescents. Cependant, le Tribunal soumet le renouvellement de cette autorisation à la condition qu’« Houria » démontre sa volonté de s’affranchir de l’aide sociale. Cette dernière poursuit donc ses démarches auprès de différents employeurs. En parallèle, l’appui sur lequel elle comptait pour cadrer son fils lui est refusé par ses proches et « Seddik » continue à avoir un comportement problématique. Peu à peu rejetée car elle ne réussit pas à tempérer son fils – placé par la suite dans un foyer éducatif par décision du Tribunal des mineurs – elle doit encore faire face aux violences conjugales qui la poussent à se séparer en juillet 2007.
En mars 2012, le SPOP, au vu de la situation financière d’« Houria » (art. 62 let. e LEtr), décide de ne pas renouveler son permis et celui de sa fille « Esma », encore mineure, et leur impartit un délai de trois mois pour quitter la Suisse. La mandataire d’« Houria » fait recours Tout en démontrant les recherches d’emploi effectuées par sa mandante et son inscription à l’Office régional de placement, elle fournit une attestation médicale prouvant la fragilité émotionnelle et psychologique d’« Houria », Les certificats des psychiatres et psychologues font état de son incapacité à exercer une activité professionnelle, laquelle ne provient pas d’une absence de volonté mais de problèmes psychiques, récemment diagnostiqués mais qui renvoient à des difficultés et une détresse bien antérieures. Quant à la décision de renvoi, la mandataire – tout en insistant sur la situation sécuritaire et la crise humanitaire que connaît la Somalie – souligne qu’« Esma », âgée de 13 ans, est née en Suisse, n’a vécu que dans ce pays et y a mené l’ensemble de sa scolarité. Rappelant la nécessité de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 al. 1 CDE), la mandataire souligne qu’il est dans l’intérêt d’« Esma », en procédure de naturalisation, non seulement de rester en Suisse, mais aussi de pouvoir bénéficier d’un statut le plus stable possible. Elle signale encore qu’en cas d’inexigibilité du renvoi, l’octroi d’une admission provisoire renverrait « Houria » à la précarité qu’elle a connue à son arrivée et constituerait un obstacle supplémentaire pour retrouver une indépendance financière. De même, cela rendrait la recherche d’une place d’apprentissage par « Esma » bien plus laborieuse.
En mai 2012, le SPOP, bien qu’admettant le long séjour d’« Houria », considère que sa décision respecte le principe de la proportionnalité et qu’« Esma » « se trouve à un âge où un renvoi dans son pays d’origine peut encore raisonnablement être exigé ». En août, la CDAP, qui reconnaît les démarches d’« Houria » pour trouver un travail, estime cependant que son invalidité est récente et ne justifie pas sa dépendance à l’aide sociale. Jugeant son renvoi en Somalie inexigible, la Cour lui octroie une admission provisoire. Après presque 20 ans en Suisse, dont 10 au bénéfice d’un permis B, « Houria » se retrouve à nouveau avec ce statut précaire, tout comme sa fille « Esma ».
Signalé par : La Fraternité – Centre social protestant (CSP) Vaud – Lausanne, février 2013
Sources : décision du SPOP (07.03.12), recours auprès de la CDAP (20.04.12), déterminations du SPOP (21.05.12), observations de la mandataire (22.06.12), arrêt de la CDAP (14.08.12).