Admise « provisoirement » depuis 14 ans, elle obtient enfin un permis B

Titulaire d’un permis F, « Sanija », veuve suite à la guerre d’ex-Yougoslavie, à la santé fragile, essuie trois refus de se faire délivrer un permis B en raison d’un manque d’intégration. Ce n’est que grâce à un solide argumentaire de sa mandataire que les autorités acceptent de stabiliser son séjour en Suisse, après quatorze ans, par un titre de séjour.

Personne(s) concernée(s) : « Sanija », née en 1965, et ses enfants nés en 1984, 1985 et 1991

Statut : admission provisoire -> permis B humanitaire

Résumé du cas

Fuyant la guerre d’ex-Yougoslavie au cours de laquelle elle a perdu son mari lors du massacre de Srebrenica, « Sanija », ressortissante bosniaque accompagnée de ses trois enfants, dépose une demande d’asile en Suisse en 2000. Les autorités leur accordent une admission provisoire et la famille s’installe à Genève. Contrairement à ses enfants qui effectuent différentes formations débouchant sur des activités lucratives, « Sanija » ne peut s’insérer sur le marché du travail à cause de ses traumatismes et d’importants problèmes médicaux. Elle souffre d’angoisse et de dépression, ce qui a nécessité plusieurs suivis psychiatriques. De plus, un accident vasculaire cérébral lui a laissé de graves séquelles. En s’appuyant sur plusieurs preuves d’intégration, telles des attestations de cours de français et d’autres formations réalisées, « Sanija » dépose à trois reprises, entre 2008 et 2012, une demande d’autorisation de séjour au sens de l’art. 84, al. 5 LEtr. Chacune se solde par une décision négative de l’OCPM au motif que les conditions d’intégration ne sont pas remplies : inactivité professionnelle et dépendance de l’assistance. Après le dernier échec, « Sanija » et sa mandataire déposent un recours au TAPI en arguant que le niveau d’intégration de « Sanija » est considérable si l’on tient compte de ses difficultés et en dénonçant le non-sens de la maintenir dans ce statut provisoire qui ne fait que renforcer la pénibilité de sa situation. Suite au recours, l’OCPM décide d’annuler sa décision et finit par émettre un préavis positif en 2014. L’ODM (désormais SEM) donne son aval et autorise l’octroi d’un permis B à « Sanija », dont les enfants sont désormais suisses ou en cours de naturalisation.

Questions soulevées

 Pourquoi les autorités ne considèrent-elles pas les efforts consentis par « Sanija » au regard de sa santé précaire, comme le soulignent les Directives LEtr (5.6.4.4) et l’art. 31 al. 5 OASA, au lieu d’apprécier son intégration uniquement sous un angle économique ?

 Alors que le permis F a comme but de protéger les personnes fragiles et vulnérables, n’est-il pas pernicieux de maintenir durablement celles-ci dans une situation précaire ?

 Que penser des limitations imposées durant de longues années à « Sanija » par ce statut telles qu’une aide sociale minimale et l’interdiction de rendre visite à sa famille résidant hors de Suisse ? (à ce propos, voir les recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à la Suisse).

Chronologie

1994-96 : 1er séjour en Suisse de « Sanija » et de ses trois enfants

2000 : demande d’asile en Suisse de « Sanija » et de ses enfants (fév.), admissions provisoires délivrées (nov.)

2007 : naturalisation de sa fille (déc.)

2008 : 1ère demande d’autorisation de séjour déposée par « Sanija » (mai), décision négative de l’OCPM (nov.)

2010 : 2e demande d’autorisation de séjour de « Sanija » (déc.)

2011 : décision négative de l’OCPM (fév.)

2012 : 3e demande d’autorisation de séjour de « Sanija » (juil.)

2013 : naturalisation de son fils aîné (jan.), décision négative de l’OCPM (jan.), recours au TAPI (fév.), reprise de l’instruction du dossier par l’OCPM (avril), demande de naturalisation du fils cadet
2014 : préavis positif de l’OCPM à la demande de « Sanija » (mars), décision positive de l’ODM (mai)

Description du cas

Après s’être déjà réfugiés une fois en Suisse entre 1994 et 1996 lorsque la guerre d’ex-Yougoslavie battait son plein, « Sanija » et ses trois enfants, ressortissants bosniaques, déposent une demande d’asile au début de l’année 2000. Ils obtiennent la même année une admission provisoire en raison de l’état de santé de « Sanija ». Elle a en effet subi un accident vasculaire cérébral qui lui paralyse le visage ainsi que tout le côté gauche de son corps, ce qui affecte sensiblement sa mobilité et sa vue. En outre, suite au traumatisme de la guerre et aux décès de plusieurs proches, dont son mari, intervenus lors du massacre de Srebrenica, elle fait face à de sévères troubles dépressifs et d’anxiété qui ont nécessité, depuis son arrivée en Suisse, un suivi psychiatrique régulier et des traitements médicamenteux quotidiens. Son état de santé ne lui permettant pas d’exercer une activité lucrative, « Sanija » suit un certain nombre de formations dont des cours de français et construit sa nouvelle vie en Suisse tout en éduquant seule ses enfants.

Ses trois enfants réalisent leur scolarité à Genève et entreprennent par la suite différentes formations professionnelles. Ils s’insèrent sur le marché du travail, obtiennent des permis de séjour et voient leurs demandes respectives de naturalisation acceptées ou, pour l’une, être encore en cours de traitement.

Entre 2008 et 2012, « Sanija » dépose trois demandes d’autorisation de séjour au titre de l’art. 84 al. 5 LEtr, qui se voient à chaque fois refusées au motif que « les conditions d’intégration ne sont pas suffisamment remplies » car elle n’exerce pas d’activité lucrative et elle dépend de l’aide sociale. Face à cette troisième décision négative notifiée en janvier 2013, « Sanija » et sa mandataire déposent un recours au TAPI. En s’appuyant sur l’art. 31 OASA, elles soutiennent que « malgré son incapacité financière, « Sanija »] répond manifestement aux conditions d’un cas de rigueur en raison de son intégration poussée et que, au vu de sa situation, on ne saurait [lui] reprocher cet état de dépendance ». Nonobstant la dimension professionnelle entravée de manière évidente par des raisons médicales, plusieurs éléments sont évoqués pour démontrer qu’elle remplit tous les autres critères de cet article : ses efforts conséquents d’intégration sociale, son comportement irréprochable, le déracinement que constituerait un retour en Bosnie alors que « Sanija » a passé treize années en Suisse au moment du recours et que tous ses proches bénéficient de la nationalité suisse ou d’un titre d’établissement. Le recours s’appuie également sur une importante jurisprudence ([ATF 128 II 200, 123 II 125 p. 128) et sur une expertise juridique – portant sur les art. 7, 35 et 36 Cst – d’après laquelle le maintien à long terme de ce statut sur « Sanija » constituerait, selon la mandataire, une « importante limitation de ses droits fondamentaux », une « violation flagrante du principe de proportionnalité », et une « limitation de son épanouissement et surtout le maintien de son état traumatique ».

En mai 2013, suite au recours, l’OCPM décide d’annuler sa décision et reprend l’instruction du dossier de « Sanija » en réclamant des informations supplémentaires. En mars de l’année suivante, l’OCPM donne un préavis positif sur la demande d’autorisation de séjour de « Sanija ». L’ODM autorise à son tour l’octroi d’une autorisation de séjour en mai 2014.

Signalé par : Elisa-Asile (Genève) – décembre 2014

Sources : demande de « Sanija » (29.11.2010), demande de la mandataire (10.07.2012), décisions négatives de l’OCPM (17.11.2008, 08.02.2011, 14.01.2013), recours au TAPI (15.02.2013), compléments d’informations de la mandataire à l’OCPM (15.08.2013), préavis positif de l’OCPM (10.03.2014), décision positive de l’ODM (26.05.2014), divers courriers entre les parties prenantes et autres documents utiles au dossier.

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