L’ODM renonce au transfert en France d’une adolescente victime de prostitution

« Ayala », ressortissante d’un pays d’Afrique de l’Ouest âgée de 15 ans, est victime d’un réseau de prostitution à son arrivée en France en 2010. Parvenant à s’enfuir, elle dépose une demande d’asile en Suisse. L’ODM, qui rend une première décision de NEM, décide finalement de renoncer au transfert et entame une procédure nationale.

Personne(s) concernée(s) : « Ayala », née en 1997

Statut : Demande d’asile rejetée par NEM -> entrée en matière

Résumé du cas

À la mort de ses parents, « Ayala », âgée de 9 ans, est confiée à son oncle. Celui-ci abusera d’elle jusqu’à l’âge de ses 12 ans, avant de l’emmener en France où il la confie à une « mama ». Là-bas, elle dépose une demande d’asile et, comme on le lui a appris, se fait passer pour majeure. La « mama » exige ensuite d’« Ayala » le remboursement des frais engendrés par son voyage et la contraint à se prostituer. Forcée d’avorter deux fois et privée de nourriture, « Ayala » vit dans des conditions effroyables pendant plus de deux ans, avant de parvenir à s’enfuir. Elle a alors 14 ans. Recueillie par une œuvre d’entraide mais craignant d’être retrouvée, elle se rend en Suisse où elle dépose une demande d’asile, cette fois sous sa véritable identité. Auditionnée par l’ODM sans la présence d’une personne de confiance, « Ayala » raconte ce qu’elle a enduré. Ce n’est qu’après l’audition qu’une tutrice est nommée. Sans avoir pu assister à l’audition et ainsi jouer le rôle qui lui est dévolu, la tutrice reçoit pour sa pupille une décision de NEM et de transfert Dublin. Elle fait alors appel à une mandataire qui recourt auprès du TAF. Le Tribunal, qui constate une violation du droit d’être entendu due à l’absence d’un représentant légal lors de l’audition, annule la décision de l’ODM et l’invite à procéder à une nouvelle audition. En vue de cette audition, la mandataire envoie un complément d’information dans lequel elle relève qu’en cas de transfert en France, l’adolescente y sera considérée comme une personne majeure. De plus, le transfert devant s’effectuer dans la ville où « Ayala » a déjà séjourné, celle-ci risque d’être retrouvée et à nouveau forcée de se prostituer. Ce risque est d’autant plus grand que les structures d’accueil de cette ville sont saturées et qu’aucune mesure spécifique n’est prévue pour les mineures de plus de 15 ans, âge qu’« Ayala » a entre-temps atteint. Par ailleurs, des examens médicaux montrent qu’elle a besoin d’un suivi psychologique intensif. Au vu de ces obstacles, la mandataire demande à l’ODM d’appliquer la clause de souveraineté. En début d’année, l’Office l’informe qu’il renonce au transfert et entame l’examen de la demande d’asile déposée en Suisse par « Ayala ».

Questions soulevées

L’ODM peut parfaitement faire usage de sa marge de manœuvre et examiner la demande d’asile d’une personne trop vulnérable pour être transférée en vertu de l’Accord de Dublin. Hormis les transferts en Grèce – suspendus depuis 2011 – dans combien de cas a-t-il pris pareille décision ?

Quelles sont les exceptions à la « règle générale » de l’art. 34 LAsi permettant de rendre une décision de NEM lorsqu’un autre État est compétent selon le règlement Dublin? De quels critères use-t-on pour déterminer la vulnérabilité d’une personne et appliquer la clause de souveraineté ?

Chronologie

2010 : arrivée en France et dépôt d’une demande d’asile sous une fausse identité (avril)

2012: demande d’asile en Suisse, audition et décision de tutelle (mai) ; décision de NEM et de transfert (juil.) ; recours auprès du TAF, annulation de la décision de l’ODM (août) ; envoi d’un complément (oct.) et seconde audition (nov.)

2013: décision d’examen de la demande d’asile en Suisse par l’ODM (janv.)

Description du cas

À la mort de ses parents, « Ayala », âgée de 9 ans, est prise en charge par son oncle qui, en contrepartie des frais qu’elle lui occasionne, exige qu’elle entretienne avec lui des relations sexuelles. En 2010, alors qu’« Ayala » n’a que 12 ans, son oncle l’emmène en France et la confie à une « mama », qui la conduit à la préfecture pour y déposer une demande d’asile. Récitant ce qu’on lui a fait apprendre, « Ayala » se fait passer pour une ressortissante soudanaise majeure. Par la suite, cette « mama » exige le remboursement des coûts engendrés par le voyage jusqu’en France. Introduisant « Ayala » dans un réseau de prostitution, elle la contraint à vendre son corps en la menaçant de s’en prendre à son frère ainé, resté au pays d’origine. Rapidement enceinte, « Ayala » est sommée de retourner sur le trottoir quelques heures à peine après un premier avortement, expérience éprouvante qu’elle aura à endurer une seconde fois. Privée de nourriture lorsqu’elle ne gagne pas suffisamment d’argent, elle tente de s’échapper, mais en vain. Elle demeure dans cette situation sordide pendant plus de deux ans.

Parvenant finalement à s’enfuir début 2012, l’adolescente, âgée de 14 ans, est recueillie par une œuvre d’entraide puis placée dans un foyer. Craignant d’être rapidement retrouvée, elle se rend en Suisse et dépose une demande d’asile, cette fois sous sa véritable identité. Auditionnée sommairement par l’ODM (art.26 al.2 LAsi), « Ayala » raconte ce qu’elle a enduré dans son pays d’origine et les circonstances effroyables dans lesquelles elle a vécu en France. Suite à l’audition, « Ayala » est confiée à une tutrice (art.17 al.3 let. b et c LAsi). Celle-ci est rapidement invitée par l’Office à se prononcer sur l’éventuel transfert de sa pupille en France. En effet, en vertu des accords de Dublin et au vu de la première demande d’asile déposée en France, il revient théoriquement à cet Etat de mener la procédure (art.6 Règlement Dublin). Vu la situation complexe et le vécu particulièrement traumatique de sa pupille, et considérant le temps que requièrent les examens médicaux et les compléments d’informations nécessaires, la tutrice demande qu’un délai lui soit octroyé avant d’exercer son droit d’être entendu. Mais les autorités françaises acceptent entre-temps la reprise en charge d’« Ayala » : l’ODM refuse alors tout délai et rend une décision de NEM (art.34 al.2 let.d LAsi) et de transfert pour la France.

Recourant auprès du TAF, la mandataire en charge du dossier demande au Tribunal l’octroi de l’effet suspensif (art.107a LAsi) et constate un vice de forme dans la décision de l’ODM, puisqu’aucune personne de confiance n’était présente lors de l’audition d’« Ayala ». La mandataire estime qu’il s’agit d’une violation de l’obligation incombant aux Etats de mener ce type d’audition en présence d’un représentant légal lorsque le transfert Dublin concerne une personne mineure non accompagnée (E-3084/2012 du 26.06.2012). Le jour même, le TAF annule la décision de l’ODM, considérant que le droit d’être entendu a effectivement été violé. L’ODM doit alors procéder à une nouvelle audition en présence, cette fois, d’une personne de confiance. En vue de cette seconde audition, la mandataire envoie un complément d’information qui précise qu’en cas de transfert en France, « Ayala » y sera considérée comme majeure, puisque sa minorité n’y a jamais été reconnue. De plus, le transfert devant s’effectuer dans la ville où a déjà séjourné « Ayala », celle-ci risque d’être retrouvée par la « mama » et à nouveau forcée de se prostituer. Ce risque est particulièrement aggravé par le fait que les structures d’accueil de cette ville sont saturées et qu’aucune mesure spécifique n’est prise pour les mineures de plus de 15 ans, âge qu’« Ayala » a entre-temps atteint. Outre l’impuissance des associations sur place et des autorités françaises à protéger « Ayala », les examens médicaux pratiqués en Suisse montrent qu’« Ayala », de par son vécu traumatique, a besoin d’un suivi psychologique intensif. Il apparaît dès lors indispensable de la maintenir en situation de stabilité et de sécurité psychique et physique. Par conséquent, sa mandataire demande à l’ODM d’appliquer la clause de souveraineté (art.29a al.3 OA1 et art. 3§2 Règlement Dublin) qui permettrait à « Ayala » de demeurer en Suisse le temps de la procédure. Début 2013, suite à la seconde audition, l’Office décide finalement de renoncer au transfert. Se positionnant en faveur d’« Ayala », cette autorité use de sa liberté d’appréciation pour entamer l’examen de la demande d’asile déposée par l’adolescente.

Signalé par : Centre social protestant (CSP) – Neuchâtel, janvier 2013

Sources : Procès verbal de l’audition (09.05.12), demande de la tutrice à bénéficier d’un délai (21.06.12), décision de NEM (25.07.12), recours (2.08.12), arrêt du TAF (D-4032/2012 du 02.08.12), complément en vue de l’audition (29.10.12) et décision de procédure nationale (07.01.13).

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