Un geste désespéré qui aurait pu être évité

« Ribkha », jeune femme érythréenne de 21 ans, demande l’asile en Suisse. Elle est renvoyée en Italie (renvoi Dublin). Sans aucun moyen de subsistance dans ce pays, elle revient en Suisse. Parfaitement informées de sa fragilité psychique, les autorités suisses décident de la renvoyer à nouveau. Au moment où arrive la police, « Ribkha » saute depuis le balcon du 3ème étage.

Mise à jour

Suite à l'expiration du délai de six mois pour effectuer le transfert Dublin vers l'Italie une semaine après sa tentative de suicide, "Ribkha" a déposé une demande d'entrée en matière auprès de l'ODM, lequel lui a octroyé un permis B réfugié le 26 septembre 2011.

Personne(s) concernée(s) : « Ribkha », femme née en 1990

Statut : demande d’asile -> renvoi Dublin

Résumé du cas

« Ribkha », jeune femme érythréenne de 21 ans, est venue en Europe pour y chercher l’asile. Elle explique avoir été victime de sévices dans son pays et, de l’avis de plusieurs médecins, un stress post-traumatique contribue sûrement à son état de santé psychique fragile. En octobre 2009, la Suisse refuse d’entrer en matière sur sa demande : en vertu d’une application mécanique de l’Accord de Dublin, « Ribkha » est renvoyée vers l’Italie, pays par lequel elle est passée pour arriver en Suisse. Quelques jours après son renvoi, en juin 2010, la jeune femme revient en Suisse et demande à nouveau l’asile. Elle explique que l’absence totale de moyens de subsistance en Italie l’a forcée à se prostituer pour pouvoir se nourrir. L’ODM refuse encore une fois d’entrer en matière et prononce un nouveau renvoi vers l’Italie. Cette nouvelle affecte terriblement « Ribkha », dont la santé psychique décline encore. Elle est hospitalisée, parle de suicide et tente deux fois de mettre fin à ses jours. Son mandataire demande le réexamen de son cas en mettant en avant des rapports médicaux indiquant que « le risque suicidaire est trop élevé chez cette personne, il serait judicieux de lui offrir un périmètre de sécurité afin qu’elle puisse se reconstruire ». Le réexamen échoue car l’ODM demande une avance de frais de 600 frs et « Ribkha » ne peut les payer avec les 10 frs d’aide d’urgence qu’elle reçoit par jour. Le 16 mai 2011, à 4h40 du matin, sur ordre du Service cantonal des étrangers, la police arrive au centre de requérants d’asile d’Estavayer-le-Lac pour expulser une seconde fois « Ribkha ». Désespérée, la jeune femme de 21 ans saute depuis un balcon situé au troisième étage. La chute provoque diverses fractures aux lombaires et au bassin.

Questions soulevées

 Alors que la Suisse a toute la latitude pour appliquer la clause de souveraineté, prévue par l’Accord de Dublin et donc de décider de traiter toute demande s’asile, pourquoi n’a-t-elle pas utilisé cette possiblité pour le cas de Ribhka, un cas « vulnérable » pourtant avéré ?

 Le service cantonal, l’ODM et le TAF étaient avertis des tendances suicidaires de « Ribkha », mais ont procédé au renvoi comme si de rien n’était. Assument-ils la responsabilité d’avoir poussé une femme de 21 ans à se défenestrer, provoquant sans doute des séquelles à vie ?

Chronologie

2009 : demande d’asile en Suisse (20 mars) ; refus de l’ODM (20 oct.)

2010 : recours (27 janv.) ; refus du TAF (8 fév.) ; exécution du renvoi vers l’Italie (24 juin) ; retour en Suisse et seconde demande d’asile (28 juin) ; hospitalisation (25 août – 1er sept.) ; 2ème refus de l’ODM (24 sept.); recours (5 oct.) ; refus du TAF (23 nov.)

2011 : demande de reconsidération (30 mars) ; décision incidente demandant une avance de frais de 600 frs (1er avril) ; non entrée en matière sur la demande de reconsidération pour non-paiement de l’avance de frais (18 avril) ; tentative de renvoi et défenestration (16 mai)

Description du cas

À peine majeure, « Ribkha » fuit son pays, l’Erythrée, pour échapper à des sévices qui l’ont traumatisée. Elle arrive en Suisse en 2009, après de longues péripéties à travers le Soudan, la Libye et l’Italie. La Suisse refuse d’entrer en matière sur sa demande d’asile et prononce son renvoi vers l’Italie, en vertu de l’Accord de Dublin. Le renvoi forcé est exécuté en juin 2010. Quelques jours plus tard, « Ribkha » revient en Suisse et dépose une nouvelle demande d’asile. Elle explique qu’elle n’a aucun moyen de subsistance en Italie, qu’elle y est contrainte, ne serait-ce que pour se nourrir, à la prostitution.

Fin août 2010, confrontée à l’annonce imminente d’un second refus et d’un nouveau renvoi vers l’Italie, « Ribkha », dont la santé psychique était déjà fragile, fait une grave crise et projette de se suicider. Elle est alors hospitalisée pendant une semaine. Elle est seule et n’a aucun réseau familial ou social ni en Suisse, ni ailleurs en Europe. Les rapports des professionnels font état d’un « projet suicidaire bien échafaudé » et diagnostiquent un stress post-traumatique lié à son vécu. La psychiatre qui la suit conclut que « le risque suicidaire est trop élevé chez cette personne, il serait judicieux de lui offrir un périmètre de sécurité afin qu’elle puisse se reconstruire ».

Le 24 septembre 2010, l’ODM refuse à nouveau d’entrer en matière sur la demande d’asile de « Ribkha » et prononce un second renvoi vers l’Italie. L’ODM n’utilise pas la clause de souveraineté prévue par l’Accord de Dublin, qui permet d’entrer en matière sur les demandes d’asile, notamment les cas de personnes vulnérables. Interpellé par un recours, le TAF confirme cette décision, se bornant à rappeler que l’Italie est partie à différentes Conventions et qu’en conséquence, « il n’existe pas in casu d’éléments sérieux et concrets faisant apparaître un risque de traitements dégradants ou inhumains » dans ce pays. Le TAF estime qu’« il n’appartient pas à l’ODM de se pencher sur la situation socio-économique de demandeurs d’asile transférés » et que « Ribkha » doit s’adresser aux autorités italiennes si celles-ci ne remplissent pas leurs obligations. Enfin, le Tribunal juge que « des tendances suicidaires ne s’opposent pas en soi au renvoi, mais obligent uniquement les autorités d’exécution à prendre les mesures adéquates, lors du transfert, en vue de prévenir la réalisation d’un éventuel risque (…) ».

Le 30 mars 2011, le mandataire de « Ribkha » demande à l’ODM de réexaminer sa situation, en se basant sur l’aggravation de l’état de sa santé psychique. Il mentionne que celle-ci a tenté de se suicider en sautant d’un pont au début de l’année et souligne son haut potentiel suicidaire. Mais l’ODM demande à « Ribkha » de verser une avance de frais de 600 francs pour continuer la procédure. L’office fédéral affirme par ailleurs que la jeune femme « pourra continuer à bénéficier du traitement dont elle a besoin après son transfert en Italie ». Le mandataire essaie, en vain, de faire annuler l’avance de frais que « Ribkha » ne peut payer, puisqu’elle reçoit seulement dix francs d’aide d’urgence par jour. Il constate également que l’ODM n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités italiennes pour garantir un suivi médical approprié et cite le rapport d’une ONG allemande : « les personnes qui ont été diagnostiquées dans un autre Etat européen comme souffrant de traumatismes nécessitant des soins, ne peuvent pas poursuivre leur traitement après leur transfert en Italie ». Le 18 avril 2011, l’avance de frais n’ayant pas été versée, l’ODM refuse d’entrer en matière sur la demande de réexamen.

Le 16 mai 2011, sur ordre du service cantonal concerné (le SPoMi), la police arrive au foyer d’Estavayer-le-Lac à quatre heures du matin pour arrêter et expulser la jeune femme. Désespérée, celle-ci se jette depuis un balcon situé au troisième étage. Elle souffre de nombreuses fractures aux lombaires et au bassin. Au moment de la rédaction, le délai de 6 mois pour le transfert en Italie est échu. La Suisse sera donc responsable pour sa demande d’asile.

Signalé par : le Centre de contact Suisses-Immigrés (CCSI) (Fribourg), mai 2011.

Sources : rapports médicaux (6.9.10, 22.9.10 et 2.3.11) ; ATAF E-7176/2010 (23.11.10) ; demande de réexamen (30.3.11) ; refus ODM (18.4.11) ; communiqué de presse du CCSI Fribourg (16.5.11) ; infos complémentaires reçues du mandataire.

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