Malgré sa collaboration,
l’OCPM le fait arrêter dans ses locaux

Après 10 années passées en Suisse et le rejet définitif de sa demande d’asile, le Togolais « Dodji » est arrêté à l’OCPM en vue de l’établissement d’un laissez-passer et de son renvoi avec épouse et enfants. Saisis, les juges cantonaux jugent cette arrestation disproportionnée.

Mise à jour

En septembre 2014, « Dodji » et « Hanou » demandent à l'ODM de réexaminer la décision de renvoi sur la base des problèmes de santé rencontrés par deux de leurs enfants. Dans les semaines qui suivent, la famille est mise au bénéfice d'une admission provisoire (permis F). Cette démarche fait suite à la pétition soumise à l'été 2014 au Grand Conseil et au Conseil d'État genevois, dans laquelle plusieurs centaines de personnes manifestent leur souhait que la famille togolaise puisse rester en Suisse.

Personne(s) concernée(s) : « Dodji » et son épouse « Hanou » nés en 1971 et leurs 4 enfants

Statut : demande d’asile rejetée -> rétention administrative

Résumé du cas

Les Togolais « Dodji » et « Hanou » demandent l’asile en Suisse respectivement en 2004 et 2008. En attendant une réponse, « Dodji » travaille de manière régulière. Suite au rejet de leurs demandes d’asile, confirmé par le TAF en 2009 et 2011, ils requièrent de l’ODM de reconsidérer sa décision sur la base de nouvelles preuves selon lesquelles « Dodji » serait recherché par les autorités. En novembre 2012, l’ODM convoque le couple ainsi que ses enfants à une audition par les autorités togolaises, afin que celles-ci établissent un laissez-passer en vue de leur renvoi au pays. Craignant des représailles, la famille notifie son refus de comparaître, motivant celui-ci par le fait qu’une procédure en matière d’asile est encore pendante et l’exécution du renvoi suspendue. En juin 2013, l’ODM rejette la demande de réexamen. Tout comme en première procédure, l’Office estime que leur récit est invraisemblable et les preuves fournies non crédibles. Le TAF confirme ce refus en juillet 2013. Désormais interdite de travailler et sous le coup d’une décision définitive de renvoi, la famille doit se rendre chaque semaine à l’OCPM et pouvoir ainsi bénéficier de l’aide d’urgence. En janvier 2014, lors d’un de ces passages hebdomadaires à l’OCPM, « Dodji » est arrêté, afin de contraindre la famille à rencontrer une délégation togolaise le lendemain à Berne, alors qu’aucune convocation ne leur avait été notifiée. « Dodji » doit s’y rendre menotté et n’est libéré que dans la soirée afin de rentrer à Genève. Saisi d’un recours contre la rétention administrative qu’a subie « Dodji », le TAPI juge cette mesure disproportionnée : cette deuxième convocation intervenait dans un contexte différent de la première (toutes les voies légales en matière d’asile avaient été épuisées), et rien ne laissait donc présager cette fois un manque de collaboration de la part de « Dodji ». En avril 2014, une demande de permis B humanitaire que la famille a déposée un mois plus tôt est rejetée par l’OCPM, notamment pour « défaut de collaboration ».

Questions soulevées

 L’arrestation de « Dodji » à l’OCPM, alors qu’il s’y rendait comme chaque semaine à la demande des autorités, pourrait dissuader d’autres familles de se plier à cette obligation, pourtant indispensable pour bénéficier de l’aide d’urgence sans laquelle elles ne peuvent survivre (puisqu’elles ne peuvent plus travailler). Par cette pratique l’autorité cherche-t-elle à favoriser l’entrée dans la clandestinité ?

 Au final cette famille aura passé 10 ans en Suisse, « Dodji » travaillait quand il en avait le droit et deux des quatre enfants sont scolarisés. Ne serait-il pas plus légitime de régulariser la situation par le biais d’un permis humanitaire, plutôt que de leur imposer de nouvelles souffrances ?

Chronologie

2004 : « Dodji » demande l’asile en Suisse (avril)

2005 : rejet de la demande d’asile de « Dodji » (nov.) et recours auprès du TAF (déc.)

2008 : « Hanou » et leur fils aîné demandent l’asile en Suisse (mars), naissance du 2e enfant (déc.)

2009 : rejet du recours de « Dodji » (juil.), rejet de la demande de « Hanou » (oct.) et recours au TAF (nov.)

2010 : demande de révision de l’arrêt confirmant le rejet de la demande d’asile de « Dodji » (fév.), demande de révision déclarée irrecevable par le TAF (avril), naissance du 3e enfant (oct.)

2011 : rejet du recours de « Hanou » par le TAF (sept.) ; 1e demande de régularisation (oct.)

2012 : refus de régularisation par l’OCPM (jan.) ; demande de réexamen des décisions de refus de l’ODM (août), convocation infructueuse à Berne pour l’établissement d’un laissez-passer (nov.)

2013 : naissance du 4e enfant (fév.), rejet de la demande de réexamen par l’ODM (mai), recours au TAF (juin), rejet du recours par le TAF confirmant le renvoi de la famille (juillet)

2014 : arrestation de « Dodji » à l’OCPM et présentation de la famille devant une délégation togolaise à Berne (jan.), arrêt du TAPI considérant illégale la rétention administrative de « Dodji » (fév.), 2e demande de régularisation de la famille (mars), rejet de la demande par l’OCPM (avril)

Description du cas

En avril 2004, le Togolais « Dodji » demande l’asile en Suisse en raison des persécutions qu’il allègue avoir subies dans son pays en tant qu’opposant politique. En 2005, l’ODM rejette sa demande. Alors qu’un recours est pendant, son épouse « Hanou » le rejoint en Suisse avec leur fils en mars 2008 et y demande aussi l’asile. En juillet 2009, après la naissance de leur deuxième fils, le recours de « Dodji » est rejeté par le TAF. En octobre, l’ODM refuse également d’octroyer l’asile à « Hanou » et aux enfants, rejet confirmé par le TAF en septembre 2011. Le Tribunal et l’ODM tiennent pour invraisemblable le récit du couple et non probantes les preuves avancées.

En octobre 2011, la famille sollicite un permis B humanitaire au regard de sa bonne intégration : « Dodji » travaille de manière régulière et leur fils aîné est scolarisé. En janvier 2012, la demande est rejetée par le canton au motif que « Hanou », contrairement à son mari, ne remplirait pas le critère de durée du séjour de cinq ans minimum (art. 14 al. 2 LAsi).

Convaincus tout de même du bien-fondé de leur demande d’asile, « Dodji » et « Hanou » demandent en août 2012 que l’ODM réexamine ses décisions de refus, qui concernent désormais aussi leur troisième enfant, né en 2010. En novembre 2012, alors que leur demande de réexamen est pendante et leur renvoi suspendu, la famille est convoquée par l’ODM à une audition par les autorités togolaises à Berne, en vue de l’établissement d’un laissez-passer indispensable à leur renvoi. Sur conseil de son avocat, la famille refuse de s’y rendre et motive cette décision par le fait qu’une procédure de réexamen en matière d’asile est en cours. En mai 2013, suite à la naissance du quatrième enfant du couple, l’ODM rejette la demande de réexamen, rejet confirmé en juillet par le TAF.

Le refus d’octroyer l’asile à la famille étant désormais définitif, « Dodji » perd son autorisation de travail. Depuis, la famille se rend chaque semaine à l’OCPM afin de prolonger son délai de départ et de recevoir au moins l’aide d’urgence. En janvier 2014, lors d’un de ses passages hebdomadaires à l’OCPM, « Dodji » y est arrêté afin de contraindre la famille à comparaître le lendemain à Berne devant les autorités togolaises. Ceci alors qu’aucune convocation ne leur avait été notifiée. Dans l’enceinte de l’ODM, « Dodji » croise ses enfants menottes aux poignets. À l’issue de l’audition, « Hanou » et les enfants repartent immédiatement et « Dodji » reste retenu quelques heures, avant d’être libéré muni d’un billet de train pour rentrer à Genève. Saisi d’un recours au sujet de la rétention administrative de « Dodji » (art. 73 LEtr), le TAPI juge la mesure disproportionnée et donc illégale, les autorités ne pouvant présumer un manque de collaboration de sa part. En effet, contrairement à la première convocation de novembre 2012, intervenue lorsque leur renvoi était suspendu, la procédure d’asile est désormais close. Par ailleurs, en se rendant chaque semaine à l’OCPM, la famille a toujours rempli son devoir de collaborer.

En mars 2014, soit après 10 années de séjour de « Dodji », une nouvelle demande de permis B humanitaire est déposée auprès de l’OCPM. Celle-ci est rejetée à la fois au motif que « Dodji » a exercé un travail « peu qualifié » en tant que nettoyeur et en raison du « défaut de collaboration » de la famille, alors même que leur seul refus de comparaître, en novembre 2012 à Berne, a été dûment justifié.

Signalé par : avocat basé à Genève – mai 2014

Sources : arrêt du TAF (5.7.13), arrêt du TAPI (3.2.14), courrier à l’OCPM (17.3.14), réponse de l’OCPM (16.4.14).

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