9 ans de procédure pour faire reconnaître les persécutions subies

« Sarah », victime d’atroces persécutions, voit sa demande d’asile être frappée de non-entrée en matière parce qu’elle n’a pas de papiers d’identité. Il faudra 3 recours et 3 demandes de réexamen pour que le TAF lui accorde finalement l’asile. Après presque 10 ans de procédure.

Personne(s) concernée(s) : « Sarah », femme née en 1980 (3 enfants nés en Suisse)

Statut : requérante d’asile (a obtenu l’asile à la fin de la procédure)

Résumé du cas

« Sarah » subit les pires atrocités dans son pays : en raison de son appartenance ethnique, elle est capturée puis sert d’esclave sexuelle dès l’âge de 13 ans. Incessamment battue, humiliée et violée pendant de longues années, elle parvient à s’enfuir et dépose en 1998 une demande d’asile en Suisse. L’ODM prend une décision de non-entrée en matière (NEM) à son égard, au motif qu’elle n’a pas de papiers d’identité. Pourtant, elle a raconté son histoire en détails et des certificats médicaux corroborent son récit. Mais l’ODM met en doute son origine libérienne et nie ainsi toute son histoire. Il faudra 3 demandes de réexamen et 3 recours pour que ses motifs soient finalement pris en considération, « Sarah » ayant pu entretemps faire venir du Libéria l’original de son acte de naissance. Dans le cours de cette procédure, l’instance de recours lui demande par deux fois de payer une avance de frais qu’elle ne peut verser, vu son indigence, ce qui rend ses recours irrecevables. En fin de compte, le TAF octroie l’asile à « Sarah » en reconnaissant qu’elle a été victime de persécutions « d’une cruauté extrême ». La procédure, au bout de laquelle « Sarah » n’aurait jamais pu aller sans le soutien d’une organisation caritative, aura duré plus de 9 années. 9 longues années de stress liées à l’éventualité d’un renvoi, 9 années durant lesquelles « Sarah » ne pouvait pas commencer à se reconstruire.

Questions soulevées

Est-il normal de refuser d’entrer en matière pour défaut de papiers d’identité face à des motifs aussi graves, et de mettre 9 ans pour corriger cette erreur ?

Combien de cas comme celui de « Sarah » y a-t-il parmi les 2’677 personnes frappées de NEM en 2007, année de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile qui durcit encore les clauses de NEM ?

Une organisation caritative a soutenu « Sarah » dans ses démarches. Que deviennent les personnes qui ne peuvent pas avoir accès à des services d’aide, notamment parce qu’il n’en existe pas dans le canton où elles ont été attribuées ?

Chronologie

1998 : 17 novembre : arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile

2000 : 11 septembre : décision de non-entrée en matière (NEM) rendue par l’ODM, suivie par un recours déclaré irrecevable par la CRA car l’avance de frais n’a pas été payée

2001 : 2 demandes de réexamen sont rejetées par l’ODM ; la 2ème demande est suivie d’un recours qui sera déclaré irrecevable, en raison de non paiement de l’avance de frais

2004 : 22 septembre : 3ème demande de réexamen avec certificat de naissance à l’appui

2006 : 24 mars : annulation de la décision de NEM par l’ODM, qui rend une nouvelle décision le 7 avril lui refusant l’asile et lui accordant une admission provisoire. Recours sur l’asile le 11 mai

2008 : 29 janvier : arrêt du TAF qui admet le recours et octroie l’asile à « Sarah »

Description du cas

Alors que « Sarah » a 10 ans, ses parents sont tués pour des motifs ethniques au cours d’une attaque des rebelles de Charles Taylor. « Sarah » est ensuite capturée et contrainte, dès l’âge de 13 ans, à servir d’esclave sexuelle. Elle est constamment battue, humiliée et violée. Tombée enceinte, on la force à avorter de façon « artisanale ». Après 8 années de traitements inhumains, elle parvient à s’enfuir et trouve de l’aide pour quitter le pays. En Suisse où elle demande l’asile, elle donne des explications détaillées lors des auditions et elle fournit par la suite des certificats médicaux établis par les HUG qui corroborent ses dires et attestent des traumatismes subis, tant sur le plan psychologique que gynécologique.

Le 11 septembre 2000, l’ODM décide de ne pas entrer en matière sur la demande d’asile de « Sarah », parce qu’elle n’a pas fourni de papiers d’identité valables. Il déclare que « Sarah » ne provient pas du Libéria, et que les événements prétendument vécus sont dépourvus de tout fondement. L’ODM prononce également le renvoi de « Sarah », puisque, affirme-t-il, les problèmes de santé invoqués peuvent être traités dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. « Sarah », aidée par une mandataire, interjette un recours contre cette décision. L’instance de recours, qui considère le recours de « Sarah » comme étant dénué de chance de succès, lui demande de payer une avance de frais. Comme « Sarah » ne peut pas la payer, l’instance déclare le recours irrecevable.

Le 10 avril 2001, « Sarah » demande le réexamen de son cas, en avançant comme argument la détérioration de son état de santé mentale attestée par le rapport d’un psychologue. L’ODM rejette cette demande et refuse d’admettre que l’état de santé de « Sarah » constitue un obstacle à son renvoi. Le 30 mai 2001, une 2ème demande de réexamen est adressée à l’ODM, avec de nouveaux certificats médicaux à l’appui. Ces documents posent le diagnostic d’« épisode dépressif sévère et d’état de stress post-traumatique » avec « des risques de décompensation majeure voir suicidaire ». Le réexamen s’impose aussi dès lors que des démarches ont été entreprises pour obtenir un laissez-passer en vue d’exécuter le renvoi auprès de l’ambassade du Libéria… alors que l’ODM avait motivé sa décision de NEM par le fait qu’il ne croyait pas que « Sarah » était libérienne. L’ODM rejette néanmoins cette demande. « Sarah » dépose un recours, mais elle se heurte encore une fois à l’exigence d’une avance de frais qui, non payée, permet à l’instance de recours de déclarer à nouveau sa requête irrecevable.

Le 22 septembre 2004, « Sarah » adresse une 3ème demande de réexamen. Elle a réussi à se procurer un certificat de naissance qui atteste de sa nationalité libérienne. 18 mois plus tard, l’ODM lui annonce qu’il annule sa décision de non-entrée en matière, lui refuse l’asile – puisque la situation au Libéria est stabilisée – et lui octroie l’admission provisoire en Suisse. « Sarah » dépose un recours, en persistant à demander l’asile. L’extrême gravité du traumatisme qu’elle a vécu représente en effet, du point de vue juridique, des « raisons impérieuses », prévue par le droit d’asile pour faire abstraction du changement de circonstances survenu dans le pays d’origine (art. 1 C 5 Conv. Réf. 1951). Le 29 janvier 2008, le TAF tranche en sa faveur et lui octroie l’asile. L’instance judiciaire reconnaît en effet que même si le besoin de protection n’est plus actuel, les préjudices subis, d’une intensité et d’une cruauté extrême, font qu’on ne saurait attendre de « Sarah » « qu’elle retrouve les ressources nécessaires pour se reconditionner psychologiquement et envisager sérieusement un retour dans son pays ». « Sarah » obtient finalement l’asile, presque 10 années après son arrivée en Suisse.

Signalé par : Centre social protestant de Genève, secteur réfugiés (février 2008)

Sources : arrêt du TAF E-4864 du 29.1.2008

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