Un père de famille est renvoyé malgré les
lourds problèmes de santé de sa fille
La Suisse refuse de renouveler le permis d’« Aboubacar », coupable d’une infraction à la LStup en 2006, malgré l’importance de sa présence pour sa famille et notamment sa fille, née grande prématurée, qui a besoin de soins assidus. Une requête a été introduite à la CourEDH.
Mise à jour
Une demande de réexamen de la décision de renvoi, fondée sur de nouveaux certificats médicaux concernant l’incapacité de travail de l’épouse d’« Aboubacar », est rejetée par l’ODM, rejet confirmé par le TAF en février 2013. En avril 2013, une demande de reconsidération est adressée à l’ODM car sa femme attend un deuxième enfant et fait état à nouveau d’une grossesse à risque. L’arrêt de la CEDH Udeh c. Suisse (voir la brève du 24 avril 2013) est invoqué. L’Office maintient son refus mais le TAF, saisi d’un recours autorise « Aboubacar » à rester en Suisse pour la durée de la procédure. Dans son arrêt du 4 février 2015 (C_3313/2013), le TAF souligne qu’une nouvelle pesée des intérêts est nécessaire au vu de la naissance du deuxième enfant d’« Aboubacar » et d’une jurisprudence récente du TF (arrêt 2C_1224/2013 du 12 décembre 2014). Le TAF relève ainsi le faible risque de récidive compte tenu du temps écoulé depuis l’infraction à la LStup, son indépendance financière et l’importance de son soutien à la famille. C’est donc l’intérêt privé d’« Aboubacar » à rester en Suisse qui prime.
Personne(s) concernée(s) : « Aboubacar », né en 1979
Statut : permis B par mariage -> renouvellement refusé
Résumé du cas
Après avoir été débouté de l’asile, « Aboubacar », originaire du Burkina Faso, obtient un permis B suite à son mariage avec une Suissesse. Mais en raison d’une condamnation à une peine de 36 mois, dont 18 avec sursis, pour trafic de stupéfiants, l’OCP décide de ne pas renouveler son autorisation de séjour. Un recours adressé à la Commission cantonale de recours de police des étrangers aboutit, celle-ci estimant qu’« Aboubacar » présente un faible risque de récidive. L’OCP transmet donc le dossier à l’ODM. Alors que ce dernier rend une décision négative, « Aboubacar » apprend que sa femme est enceinte. L’ODM se contente toutefois de verser l’information au dossier, sans y donner suite. Un recours est pendant auprès du TAF lorsque la fille d’« Aboubacar » vient au monde, après seulement 26 semaines de grossesse. Grande prématurée, elle a besoin d’un suivi médical strict et rigoureux et est hospitalisée à plusieurs reprises. Les soins que ses parents doivent lui prodiguer au quotidien représentent une lourde charge et selon les médecins la présence du père est « essentielle ». Même s’il reconnait la réussite professionnelle d’« Aboubacar » et admet que son renvoi équivaudrait à une séparation de la famille, le TAF rejette le recours. Il retient la gravité de l’infraction pénale commise en 2006 et estime que seules des « circonstances exceptionnelles » justifieraient la prolongation du séjour en Suisse. Dans un recours rejeté par le TF, il est encore souligné que sans le revenu de son mari, la femme d’« Aboubacar » devrait recourir à l’assistance publique. Ayant épuisé les voies de recours internes, la mandataire a déposé une requête à la CourEDH, sans effet suspensif. Un délai de départ lui ayant été imparti au 15 avril 2012, « Aboubacar » décide de quitter la Suisse par ses propres moyens.
Questions soulevées
De quelles « circonstances exceptionnelles » le TAF tiendrait-il compte si les préoccupations concernant les soins et le développement d’une enfant suisse ayant besoin d’une lourde prise en charge médicale ne suffisent pas ? Quid de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 CDE) ?
Si l’épouse d’« Aboubacar » était ressortissante de l’Union Européenne, l’unique condamnation de celui-ci ne serait pas suffisante pour prononcer son renvoi car les autorités suisses devraient également prouver qu’il représente une « menace actuelle pour l’ordre public » (2C_791/2009). Une telle discrimination à l’égard des citoyens suisses est-elle acceptable ?
Chronologie
2003 : arrivée en Suisse et demande d’asile
2006 : obtention d’un permis B par mariage
2007 : arrêt de la Cour correctionnelle de Genève
2008 : décision OCP (juin) ; décision de la Commission cantonale de recours de police des étrangers (oct.)
2009 : décision ODM (juin)
2011 : décision du TAF (fév.) ; décision du TF (août)
2012 : requête à la CourEDH (fév.) ; délai de départ (avr.)
Description du cas
« Aboubacar » demande l’asile en Suisse en 2003. Il ne quitte pas le pays après que l’ODM ait refusé d’entrer en matière et rendu une décision de renvoi vers le Burkina Faso. En 2006, il se marie avec une ressortissante suisse et obtient un permis B. Il est arrêté un mois plus tard et condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 18 mois avec sursis, pour infraction à la loi sur les stupéfiants (art. 19 ch. 1 et 2 lit. a LStup). À sa sortie, après 18 mois de prison, il commence un stage de peintre en bâtiment qui débouche sur une place d’apprentissage. En juin 2008, l’OCP refuse le renouvellement de son autorisation de séjour (art. 62 LEtr). Saisie par un recours, la Commission genevoise de recours de police des étrangers, admet qu’un renvoi serait disproportionné vu sa situation familiale et son faible risque de récidive. Le dossier est donc transmis à l’ODM en vue de l’approbation du renouvellement de son autorisation de séjour.
Estimant que la gravité de l’infraction commise par « Aboubacar » justifie que l’État limite son droit au respect de sa vie familiale (art. 8 CEDH), l’ODM rend une décision négative en juin 2009. Il retient qu’« Aboubacar » ne vit en Suisse « que depuis six ans, dont deux ans dans la clandestinité », qu’il n’y a pas d’attaches essentielles hormis son épouse et qu’il « ne peut se prévaloir de qualifications professionnelles poussées ». Au moment où la décision de l’ODM tombe, « Aboubacar » annonce que sa femme attend un enfant. L’information est transmise à l’ODM qui se contente de la verser au dossier « sans suites particulières ». La mandataire dépose un recours au TAF, estimant que l’office aurait dû tenir compte de cette information. Elle rappelle que seuls d’importants motifs de sécurité publique peuvent justifier le renvoi du parent d’un citoyen suisse et souligne que pour la Commission cantonale de recours, « Aboubacar » ne représente plus une menace à l’ordre public.
En octobre 2009, soit après seulement 26 semaines de grossesse, la femme d’« Aboubacar » met au monde une petite fille qui, en raison de sa grande prématurité, a besoin d’un suivi médical strict et rigoureux. Selon les médecins consultés, « la présence du père est essentielle …] il est un élément capital, à court et à long terme, quant à l’équilibre global de la famille ». Quant à la femme d’« Aboubacar », elle fait part de son incapacité à assumer seule la lourde charge que représentent les soins quotidiens de sa fille, tant sur un plan pratique qu’émotionnel. L’enfant est hospitalisée à plusieurs reprises et des incertitudes persistent quant à l’évolution de son état de santé. Dans sa [décision du 15 février 2011, le TAF reconnait la réussite professionnelle d’« Aboubacar » et admet que son renvoi impliquerait une séparation de la famille, l’état de santé de sa fille exigeant qu’elle reste en Suisse. Il rend toutefois une décision négative, retenant que, vu la gravité de l’infraction pénale commise en 2006, la prolongation du séjour d’« Aboubacar » ne se justifierait qu’en cas de « circonstances exceptionnelles ». Pour le TAF, il est par ailleurs légitime que « les autorités suisses, ne pouvant accueillir tous les étrangers […] mènent une politique restrictive » en la matière. Un recours est adressé au TF, précisant que la femme d’« Aboubacar », qui doit se dédier à sa fille à plein temps, n’a plus d’emploi et dépend du revenu de son mari. Elle bénéficie provisoirement de prestations d’assurances sociales mais, sans le soutien financier de ce dernier, elle devrait ensuite recourir à l’assistance publique. Le recours est rejeté en août 2011. Ayant épuisé les voies de recours en Suisse, la mandataire introduit une requête auprès de la CourEDH en février 2012. Celle-ci étant sans effet suspensif, l’OCP imparti un délai de départ au 15 avril 2012. « Aboubacar » quitte alors la Suisse par ses propres moyens. Au moment de la rédaction de cette fiche, des incertitudes persistent quant au caractère temporaire ou non des problèmes de santé de sa fille qui est toujours incapable de se nourrir et est alimentée par une sonde.
Signalé par : Centre de contact Suisses-Immigrés (CCSI) – Genève, mai 2012
Sources : décision ODM (14.06.09) ; certificats médicaux ; arrêt du TAF C-4572/2009 (15.02.11) ; arrêt du TF (30.08.11) et autres pièces utiles du dossier.