Victime de violences conjugales, elle n’est pas suffisamment protégée par le SEM

« Chirine », quitte son mari après qu’il ait tenté de l’étrangler. Prise en charge par plusieurs spécialistes, elle se reconstruit peu à peu. Malgré les expertises et plusieurs rapports médicaux et psychologiques, le SEM refuse de prolonger son séjour. Parallèlement à un recours au TAF, le Conseil fédéral est interpelé sur ce cas particulier. Il est alors demandé au SEM de reconsidérer sa décision. Celui-ci finit par l’annuler.

Personne(s) concernée(s) : « Chirine », née en 1975

Statut : renouvellement de permis B refusé > décision annulée

Résumé du cas

« Chirine », une femme d’origine algérienne, arrive en Suisse en juin 2016 suite à son mariage avec un ressortissant suisse. Victime de violences conjugales, elle est progressivement isolée de sa famille et de la société suisse par son mari. Après un nouvel épisode de violences, « Chirine » quitte le domicile conjugal et se réfugie dans un centre. Elle est reconnue comme victime de violences conjugales au sens de l’art. 1 LAVI. Éprouvée psychologiquement, elle entame un processus de reconstruction et d’intégration avec le soutien de plusieurs spécialistes. Ses efforts sont fructueux puisque « Chirine » ne tarde pas à signer deux contrats de travail à temps partiel et à obtenir un stage dans une crèche. Elle demande alors une prolongation de séjour au sens de l’art. 50 al. 1 let. b et 2 LEtr auprès du SPOP. Plusieurs expertises, une attestation de suivi psychologique et un certificat médical répondant aux exigences de preuves de violences conjugales au sens de l’art. 77 al. 6 et 6bis OASA sont versées au dossier. Favorable à sa requête, l’autorité cantonale transmet le dossier au SEM pour approbation. Le SEM rejette cette demande, soulignant l’absence d’aveu du mari et le fait que la réintégration dans le pays d’origine ne serait pas compromise. Ce faisant, le SEM ne prend pas en compte le fait qu’en tant que femme divorcée, « Chirine » porte le sceau de la honte et pourrait être victime d’un crime d’honneur de la part de sa propre famille qui n’admet pas sa séparation, ainsi que de la part de son mari qui l’a menacée de mort à plusieurs reprises. Un recours est déposé au TAF. En parallèle, la mandataire, qui a déjà interpelé la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga sur certains cas de renouvellement de permis suite à des violences conjugales, signale le cas de « Chirine » à la Cheffe du DFJP, à titre d’exemple de la non reconnaissance par le SEM des attestations de spécialistes. Dans sa réponse, la Conseillère fédérale l’informe que le SEM est finalement prêt à reconsidérer sa décision concernant « Chirine ». Le SEM confirme l’annulation de sa décision en mars 2018.

Questions soulevées

 

Une pratique prévoyant une charge de la preuve si élevée permet-elle d’atteindre le but de protection poursuivi par le législateur ?

Le cas de « Chrine » n’est pas isolé (voir les cas et le rapport de l’ODAE sur ce thème). L’incertitude quant à la prolongation de son propre permis de séjour, ne risque-t-elle pas de pousser les victimes à retourner auprès de leur mari violent, par crainte de ne pas être crues et d’être renvoyées ?

Qu’advient-il des victimes de violences conjugales qui n’ont pas un∙e mandataire juridique en mesure de défendre leur cas jusqu’aux plus hautes instances, ou ne pensent pas à interpeller directement une Conseillère fédérale sur un cas particulier ?

Chronologie

2016 : Arrivée en Suisse par regroupement familial (juin), dépôt d’une plainte pénale pour violences conjugales à l’encontre du mari et séparation officielle des époux (déc.), mesures protectrices de l’union conjugale prises par le Tribunal civil d’arrondissement de l’Est vaudois (déc.)

2017 : Interpellation de Madame Sommaruga sur certains cas relevant de l’art. 50 al. 1 let. b et 2 LEtr (juil.) ; audition au SPOP (août), préavis positif du SPOP pour la poursuite du séjour (août), préavis négatif du SEM (sept.), compléments d’informations apportés au SEM (oct.), refus de prolongation de séjour par le SEM (nov.), recours au TAF (déc.)

2018 : Interpellation de la Conseillère fédérale sur le cas de « Chirine » (fév.), réponse de la Conseillère fédérale mentionnant la reconsidération dudit cas par le SEM (mars), confirmation du SEM de l’annulation de la décision (mars).

 

Description du cas

« Chirine », originaire d’Algérie arrive en Suisse en juin 2016 suite à son mariage avec un ressortissant suisse. Dès la célébration de l’union dans son pays d’origine, l’Algérie, elle subit les premières violences de la part de son mari. À son arrivée en Suisse, ces violences s’intensifient : « Chirine » reçoit des gifles, des coups de poing et de pied ainsi que des crachats. Elle subit en plus des violences psychiques allant jusqu’à des menaces de mort. Le mari de « Chirine » met tout en œuvre afin de l’isoler de sa famille et d’empêcher son intégration en Suisse, notamment en refusant qu’elle exerce une activité professionnelle. Suite à une tentative d’étranglement perpétrée par son conjoint, « Chirine » quitte finalement le domicile conjugal en septembre 2016 et se réfugie au Centre MalleyPrairie, lieu d’hébergement pour les victimes de violences conjugales, pendant plusieurs mois. En décembre 2016, les époux sont officiellement séparés. Suite à une requête de « Chirine », le Tribunal civil d’arrondissement de l’Est vaudois prononce des mesures protectrices de l’union conjugale. À cette même période, « Chirine » porte plainte contre son ex-conjoint et est prise en charge par une psychothérapeute et d’autres spécialistes qui font tous état des violences conjugales subies. Deux de ces professionnel∙le∙s ont d’ailleurs eux-mêmes été victimes de l’agressivité de l’ex-mari de « Chirine ». Par peur de son ex-conjoint, elle suspend sa plainte en mars 2017.

 

Peu à peu, « Chirine » peut se reconstruire et démontre sa volonté d’intégration, en particulier au niveau professionnel. En effet, « Chirine » signe rapidement deux contrats de travail à temps partiel. Elle décroche également un stage dans une crèche qui présage de nouvelles perspectives professionnelles. Ses efforts sont particulièrement remarquables compte tenu des violences subies. En vue de la prolongation de son autorisation de séjour en vertu de l’art. 50 al.1 let. b. et 2 LEtr, « Chirine » est auditionnée par le SPOP en août 2017. Dans son dossier figurent de nombreux documents constituant des indices de violences conjugales au sens de l’art. 77 al.6 et 6bis OASA tels qu’un rapport médical, plusieurs rapports psychologiques et d’autres expertises de professionnel∙le∙s décrivant l’état de stress post-traumatique dans lequel se trouve « Chirine ». L’autorité cantonale lui signifie son préavis positif et transmet le dossier au SEM pour approbation. En septembre 2017, l’autorité fédérale annonce son intention de rejeter la demande de « Chirine » sans préciser ses motivations. Le dossier de « Chirine » répond pourtant en tout point à l’application de l’art. 50 al. 1 let. b. et 2 LEtr. La mandataire renvoie au SEM un complément d’informations. Elle précise que « Chirine » a été reconnue comme victime au sens de l’art. 1 LAVI. Par ailleurs, en tant que femme divorcée, elle porte le sceau de la honte et un retour en Algérie la mettrait donc en grand danger : elle pourrait être victime d’un crime d’honneur, sa famille et particulièrement son frère étant très en colère suite à sa séparation. Malgré ces arguments et les preuves versées au dossier, le SEM rejette la demande de prolongation de « Chirine » le 16 novembre 2017 et prononce son renvoi de Suisse. L’autorité juge que l’absence d’aveu de l’ex-conjoint doit être prise en compte et que la réintégration de « Chirine » dans son pays d’origine n’est pas compromise. Le cas est alors porté devant le TAF. En parallèle, la mandataire interpelle directement Simonetta Sommaruga, Conseillère fédérale en charge du DFJP. Faisant face à plusieurs cas similaires, elle lui avait déjà adressé en mars 2017 une demande pour une claire application de l’art. 50 al. 1 let. b et 2 LEtr aux victimes de violences conjugales. La Conseillère fédérale avait alors affirmé que le SEM prenait en compte les expertises des médecins et des centres LAVI. Face à la situation de « Chirine » qui semble contredire ces garanties, la mandataire écrit à nouveau à Mme Sommaruga. Dans sa réponse, la Conseillère fédérale déclare que le SEM est disposé à reconsidérer sa décision concernant « Chirine ». Le SEM confirme l’annulation de sa décision en mars 2018.

 

Signalé par : La Fraternité, Centre social protestant Vaud

Sources : Complément d’informations dans le cadre du droit d’être entendu (05.10.2017), décision du SEM (16.11.2017), recours au TAF (18.12.2017), courriers de la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga (18.05.2017, 20.07.2017, 13.03.2018)

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