Victime de violences conjugales, elle doit partir
Après une séparation pour violences conjugales attestées, le permis de « Sonia » n’est pas renouvelé. Pourtant, son mariage a duré plus de 3 ans, elle travaille à temps plein, et ses enfants entretiennent une relation effective avec le père, titulaire d’un permis C.
Mise à jour
Le TAF a rejeté le recours en octobre 2015 (C-7093/2013), estimant que « Sonia » s’était mariée uniquement dans le but d’obtenir un permis de séjour. Selon le Tribunal, les enfants (également tenus de quitter la Suisse) pourraient maintenir un contact avec leur père « par téléphone, lettres ou messages électroniques ». Saisi par un recours, le TF a annulé cette décision en juin 2016 (2C_1055/2015). Il rejette l’accusation de mariage fictif et le reproche selon lequel « Sonia » connaissait les troubles psychiques de son conjoint avant le mariage. Il estime également que les accusations du mari n’auraient pas dû être considérées comme décisives. Le 9 février 2017, le TAF rend un arrêt F-3950/2016, examinant non pas les raisons personnelles majeures mais l’intégration de « Sonia » reconnaissant qu’elle a réussi à se créer une situation professionnelle stable malgré les difficultés familiales auxquelles elle a été confrontée. Les autorisations de séjour de « Sonia » et de ses enfants sont donc renouvelées.
Personne(s) concernée(s) : « Sonia », née en 1976, et ses enfants nés en 2006 et 2008
Statut : autorisation de séjour -> non renouvellement
Résumé du cas
Dès 2004, « Sonia », Brésilienne, vit avec un ressortissant turc au bénéfice d’un permis C. Peu après la naissance de leur deuxième enfant en novembre 2008, ils se marient et « Sonia » obtient un permis B. En mars 2013, après des années de violence psychique continue de la part de son époux, dont des menaces de mort, « Sonia » se réfugie dans un centre d’accueil. En novembre 2013, l’ODM refuse de renouveler les permis de « Sonia » et de ses enfants. Il considère qu’elle ne remplit pas les critères prévus à l’art. 50 al. 1 let. a LEtr car, selon les dires de l’époux, « Sonia » l’aurait épousé pour obtenir un droit de séjour, ce qui ne permettrait pas de reconnaître leur union conjugale comme effective pour au moins trois ans. De plus, « Sonia » ne travaillant à 100% que depuis décembre 2012, elle ne ferait pas preuve d’une bonne intégration. Quant à l’art. 50 al. 1 let. b LEtr, l’ODM estime que les violences conjugales n’ont pas atteint une intensité telle qu’elles justifieraient la poursuite du séjour de « Sonia ». Pour l’Office, celles-ci doivent d’ailleurs être « relativisées » car elles seraient dues à l’instabilité psychique de l’époux, instabilité que « Sonia » ne pouvait ignorer avant de l’épouser. En décembre 2013, la mandataire fait recours auprès du TAF. Elle rappelle notamment que les violences conjugales sont attestées par le centre LAVI, le Centre MalleyPrairie qui l’a hébergée, le Service de protection de la jeunesse et le médecin traitant de l’époux. Enfin, les enfants ne pouvant maintenir une relation effective avec le père qu’en Suisse, la poursuite de leur séjour – ainsi que de celui de la mère qui en a la garde – s’impose au titre de l’art. 8 CEDH. Le recours est en suspens au moment de la rédaction.
Questions soulevées
Le fait que « Sonia » travaille désormais à 100% n’est-il pas la preuve de son intégration réussie selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (2C_430/2011 cons. 4.2 et 2C_426/2011 cons. 3.4) ?
Comment l’ODM peut-il tenir « Sonia » pour responsable des violences qu’elle a subies en arguant qu’elle avait connaissance des problèmes psychiques de son mari avant de l’épouser et, parallèlement, ignorer les indications des spécialistes quant au sérieux des violences ? Que penser d’ailleurs du fait que l’ODM accorde un poids prépondérant aux dires de l’époux ?
Pourquoi l’ODM ne prend-il pas en compte la jurisprudence (arrêt TF 2C_1112/2012) qui protège le droit de l’enfant à entretenir des relations avec ses deux parents au-delà de la séparation ?
Chronologie
2004 : arrivée de « Sonia » en Suisse (juin), rencontre et mise en ménage commun avec son futur époux
2006 : naissance de leur 1er enfant (jan.)
2007 : demande d’un permis de séjour en tant que concubine pour « Sonia » (juin)
2008 : naissance du 2e enfant (nov.)
2009 : mariage (jan.) et octroi d’un permis B à « Sonia » (juin)
2012 : courrier du SPOP (nov.) ; prise d’emploi de « Sonia » à 100% (déc.)
2013 : séparation (mars) ; mesures protectrices de l’union conjugale (juin) ; préavis du SPOP (août) ; intention de refus de l’ODM (sept.) ; courrier de la mandataire (oct.) ; décision de l’ODM (nov.) ; recours (déc.)
N.B. : Le recours est en suspens devant le TAF au moment de la publication
Description du cas
Lors d’un séjour en Suisse en 2004, « Sonia » rencontre un ressortissant turc titulaire d’un permis C et ils décident de vivre ensemble. En 2006, « Sonia » accouche de leur premier enfant. En 2007, elle sollicite un permis de séjour pour vivre auprès de son concubin, mais sa demande ne peut être traitée étant donné que ce dernier ne peut signer une garantie de prise en charge. Psychologiquement fragile, il dépend de l’aide sociale. En 2008, naît leur deuxième enfant. Suite à leur mariage en janvier 2009, « Sonia » obtient une autorisation de séjour.
Le couple connaît rapidement des difficultés. L’époux est dans l’incapacité de travailler mais il ne tolère pas pour autant que « Sonia » occupe un emploi de manière durable, ce qui rend la famille dépendante de l’aide sociale, tant que la demande du mari auprès de l’assurance invalidité est pendante. Très jaloux, il cherche à exercer un contrôle sur son épouse, se rendant sur son lieu de travail lorsqu’elle occupe un emploi pour de courtes périodes. À plusieurs reprises, il menace de la tuer, brise des objets, se mutile pour lui faire peur. Suite à une grave crise au cours de laquelle il saccage l’appartement et menace de se suicider, il est hospitalisé d’urgence en hôpital psychiatrique. Ses médecins signalent alors la situation au Service de protection de la jeunesse (SPJ). Terrorisée, « Sonia » n’ose pas le quitter, persuadée qu’il va la tuer. En octobre 2012, l’époux adresse un courrier au SPOP afin de lui nuire, sachant que leur union risque de prendre fin. Il annonce que le couple ne fait plus chambre commune et que le mariage a pour seul but le maintien du permis de « Sonia ». Contactée par le SPOP au sujet de sa situation professionnelle, « Sonia » communique les différentes demandes d’emploi effectuées et, en décembre 2012, elle obtient un contrat à 100% en qualité de sommelière. Lorsqu’une enseignante lui fait part de son intention de signaler une nouvelle fois la situation familiale au SPJ compte tenu des troubles psychosomatiques de sa fille aînée, « Sonia » décide de quitter son époux. Elle se réfugie avec ses enfants au Centre MalleyPrairie de mars à juin 2013, lorsque la séparation est officialisée par des mesures protectrices de l’union conjugale. Dès août 2013, le père exerce son droit de visite.
Malgré un préavis favorable du SPOP, l’ODM annonce son intention de refuser le renouvellement du permis de « Sonia ». La mandataire réplique que sa situation relève des deux exceptions de l’art. 50 al. 1 LEtr justifiant la poursuite de son séjour. D’une part, la vie conjugale a duré au moins trois ans et l’intégration de « Sonia » est réussie (let. a). D’autre part, les violences conjugales subies sont suffisamment graves pour constituer une raison personnelle majeure (let. b). Aussi, les enfants ayant grandi avec le père, titulaire d’un permis C, ils ont droit à entretenir une relation effective avec celui-ci (art. 9 CDE et 8 CEDH), ce qui n’est possible qu’en Suisse.
En novembre 2013, l’ODM confirme son refus. S’appuyant sur les dires de l’époux, il doute que la vie conjugale ait duré effectivement trois ans. En outre, la dépendance passée de « Sonia » à l’aide sociale ne plaiderait pas en sa faveur en matière d’intégration. Quant aux violences subies, elles devraient être « relativisées » car « Sonia » était consciente, dès le début de leur relation, des troubles psychiques de son époux. En décembre 2013, la mandataire fait recours auprès du TAF. Elle reproche à l’ODM le poids disproportionné donné aux affirmations de l’époux quant à la durée réelle de la vie conjugale. Aussi, « Sonia » étant employée à 100% depuis un an et n’ayant pas contracté de dettes, son intégration doit être considérée comme réussie, son inoccupation passée étant due par ailleurs aux pressions du mari. Quant aux violences, elles sont attestées par le centre qui l’a hébergée, par le centre LAVI qui l’a reconnue comme victime d’une atteinte directe à son intégrité, par le SPJ et par le médecin de l’époux qui a signalé un risque de passage à l’acte de ce dernier. Au moment de la publication, le recours est pendant devant le TAF.
Signalé par : La Fraternité – CSP VD, décembre 2013
Sources : courrier adressé au SPOP (28.11.12), préavis du SPOP (21.08.13), courrier adressé à l’ODM (7.10.13), décision de l’ODM (14.11.13), recours au TAF (17.12.13).