Un réfugié reconnu passe sept mois
en détention administrative

« Beasrat » demande l’asile en Suisse après avoir vécu dans des conditions d’extrême précarité en Italie, malgré la reconnaissance de sa qualité de réfugié. Refusant d’y retourner, il passe sept mois en détention administrative, non sans séquelles sur sa santé psychique.

Personne(s) concernée(s) : « Beasrat », né en 1975

Statut : demande d’asile -> rejet par NEM

Résumé du cas

En 2009, l’Italie reconnaît la qualité de réfugié de « Beasrat », originaire d’Erythrée, et lui octroie une autorisation de séjour. Pourtant, son statut ne lui permet pas de vivre dignement en Italie où il dort dans la rue et n’a accès à aucune assistance juridique ou sociale. Il dépose une demande d’asile en Suisse en juin 2010. Mais l’ODM refuse d’entrer en matière, décision confirmée par le TAF . Une demande de reconsidération est introduite par la mandataire de « Beasrat » qui affirme, en s’appuyant sur un rapport d’ONG, que l’Italie ne respecte pas ses obligations internationales en matière d’accueil des réfugiés. La demande est déclarée irrecevable par l’ODM, puis par le TAF, faute du versement de l’avance de frais exigée. En août 2011, « Beasrat », qui refuse de retourner en Italie, est placé en détention administrative sur demande du SPOP . Sa demande de libération ayant été rejetée par le juge de paix et par le Tribunal cantonal vaudois, la mandataire recourt au TF en novembre 2011. Elle met en doute la possibilité concrète, sur laquelle l’ODM ne s’est pas prononcé, d’exécuter un renvoi forcé vers l’Italie et rappelle qu’une détention administrative n’est proportionnée que si le renvoi peut être exécuté dans un avenir proche. Elle fournit par ailleurs un certificat médical attestant de la dégradation rapide et importante de la santé psychique de « Beasrat » depuis sa mise en détention. Le TF rejette le recours et un mois plus tard, le juge de paix prolonge la détention de « Beasrat » d’une année, prolongation maximale prévue par la loi. Le Tribunal cantonal vaudois rejette le recours interjeté contre cette décision en mars 2012 mais deux jours plus tard, le SPOP ordonne la libération de « Beasrat », reconnaissant finalement l’impossibilité d’exécuter son renvoi. « Beasrat » reste toutefois tenu de quitter le territoire.

Questions soulevées

 Que penser du maintien en détention administrative en Suisse durant sept mois d’une personne dont la qualité de réfugié, et donc le besoin de protection, est reconnu ? À cet égard, la décision, confirmée par le Tribunal cantonal, de prolonger la détention d’une année n’est-elle pas disproportionnée ?

 La Suisse peut-elle continuer de multiplier les décisions de renvoi automatiques vers l’Italie alors que des requérants d’asile et des réfugiés y vivent dans des conditions indignes de la personne humaine ? Quel levier peut-elle actionner pour faire pression sur l’Italie afin qu’elle respecte ses engagements internationaux plutôt que de faire payer le prix aux réfugiés ?

Chronologie

2007 : fuite d’Erythrée

2009 : reconnaissance de la qualité de réfugié par l’Italie

2010 : demande d’asile en Suisse

2011 : décision de l’ODM (avril) ; décision du TAF (mai) ; mise en détention administrative (août) ; décision de l’ODM (sept.) ; décision du TAF (sept.) ; décision du Tribunal cantonal sur la demande de libération (nov.) ; décision du TF sur la demande de libération (déc.)

2012 : prolongation de la détention (janv.) ; décision du Tribunal cantonal (mars) ; ordre de libération (mars)

Description du cas

En 2007, « Beasrat » quitte son pays, l’Erythrée, alors que les autorités le soupçonnent de collaborer avec un colonel incarcéré. Enrôlé de force dans l’armée depuis 1998, il a été emprisonné durant six mois en 2002 pour avoir quitté son service sans permission. Sa fuite le mène d’abord au Soudan, où il est détenu durant une semaine, puis en Lybie où il travaille afin de financer sa traversée de la Méditerranée. En 2009, il arrive en Italie où il obtient la reconnaissance de sa qualité de réfugié et une autorisation de séjour pour trois ans. Il vit cependant pendant plus d’un an dans des conditions d’extrême précarité : il dort dans la rue, n’a accès à aucune aide sociale ni aucun conseil juridique et trouve à peine de quoi survivre grâce aux œuvres d’entraide et à la mendicité. En plus, il souffre d’être séparé de sa fille de dix ans restée au pays et il sait que dans sa situation il ne peut la faire venir en Italie. « Beasrat » décide donc de se rendre en Suisse où il demande l’asile en juin 2010.

Sa demande est rejetée par l’ODM qui refuse d’entrer en matière et prononce son renvoi vers l’Italie (art. 34 al. 2 let. a LAsi), décision confirmée par le TAF dans un arrêt du 18 mai 2011. La mandataire de « Beasrat » demande à l’ODM de reconsidérer sa décision de renvoi en août 2011, affirmant que l’Italie n’offre pas une protection appropriée au sens de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Elle cite un rapport de l’organisation Proasyl de février 2011 qui fait état de la précarité dans laquelle se trouvent les réfugiés dans ce pays. Mais l’ODM recommande à « Beasrat » de s’adresser aux autorités italiennes pour ses griefs et déclare sa demande irrecevable. Un recours contre cette décision est interjeté auprès du TAF, arguant que le renvoi de « Beasrat » emporterait violation de l’art. 3 CEDH, conformément à la jurisprudence de la CourEDH dans l’arrêt M.S.S. c. Grèce. La mandataire affirme en effet que l’Italie, tout comme la Grèce, n’applique pas la directive de l’Union européenne sur l’accueil des réfugiés. Alors que son recours est pendant, « Beasrat » est placé en détention administrative en août, tout d’abord pour une durée de six mois (art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEtr). En septembre, il refuse de prendre un vol, la décision du TAF étant toujours en attente. Quelques jours plus tard, le Tribunal prononce l’irrecevabilité du recours faute du versement d’une avance de frais de 1’200 francs qu’il avait exigée, jugeant le recours d’emblée voué à l’échec. En octobre 2011, le SPOP demande l’inscription de « Beasrat » sur un vol spécial. Un mois plus tard, la mandataire dépose un recours au TF, sa demande de libération ayant été rejetée par le juge de paix et par le Tribunal cantonal vaudois. Elle souligne que l’ODM ne s’est pas prononcé sur les possibilités concrètes d’exécution d’un renvoi forcé vers l’Italie et met en doute cette hypothèse, rappelant qu’une détention administrative n’est proportionnée que si le renvoi peut être exécuté dans un avenir proche. Par ailleurs, un certificat médical signalant une détérioration rapide et importante de l’état de santé psychique de « Beasrat » durant sa détention est transmis au TF. Celui-ci rejette pourtant le recours en décembre 2011, arguant notamment qu’un renvoi forcé vers l’Italie n’est pas impossible et que l’organisation d’un vol spécial, requise par le SPOP, « devrait intervenir prochainement ».

En janvier 2012, sur demande du SPOP qui affirme que « des obstacles particuliers s’opposent à l’exécution du renvoi », le juge de paix prolonge la détention de « Beasrat » d’une année, prolongation maximale prévue par la loi (art. 79 LEtr). En mars, le Tribunal cantonal, saisi par un recours, précise que, le renvoi par voie aérienne n’ayant pu être organisé, l’ODM a demandé à l’Italie l’autorisation de procéder à un renvoi par voie terrestre. Deux jours plus tard, le SPOP reconnaît l’impossibilité d’exécuter le renvoi et ordonne la libération de « Beasrat » (art. 80 al. 6 let. a LEtr). Celui-ci reste pourtant tenu de quitter la Suisse, alors qu’un accord bilatéral précise que l’Italie n’est plus obligée de le réadmettre (art. 4 let. c Accord du 10 septembre 1998 entre la Confédération suisse et la République italienne). Il se retrouve donc dans la même situation qu’avant sa détention, sans espoir d’obtenir un statut en Suisse. La détention aura duré sept mois et entraîné une dégradation importante de sa santé psychique déjà fragile vu son parcours migratoire.

Signalé par : Service d’aide juridique au exilés (SAJE) – Vaud, avril 2012

Sources : décision ODM du 15.04.11 et du 01.09.11 ; Arrêts du TAF E-2681/2011 du 18.05.11 et du 09.09.11 ; Arrêt du TF du 19.12.11 ; certificat médical du 25.11.11 et autres pièces utiles du dossier.

Cas relatifs

Cas individuel — 13/02/2024

Décès d’un jeune demandeur d’asile: la responsabilité directe des autorités suisses

Cas 459 / 13.02.2024 Alam* arrive en Suisse à 17 ans et demande l’asile après avoir vécu des violences en Grèce où il a reçu protection. Les autorités suisses prononcent une non-entrée en matière et son renvoi, malgré des rapports médicaux attestant de la vulnérabilité d’Alam*. Celui-ci met fin à ses jours à la suite du rejet de son recours par le TAF.
Cas individuel — 01/01/2024

Harcelée en Croatie, une famille est menacée d’y être renvoyée

En 2019, Romina* et Khaleel* quittent l’Afghanistan avec leur fille (Emna*), encore mineure et leurs trois fils majeurs. Ils demandent l’asile en Suisse en octobre 2020, après être passé∙es par la Croatie. La famille raconte avoir tenté de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie à plus de 15 reprises, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es. En février 2020, le SEM rend une décision NEM Dublin. Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM. En avril 2021, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent une admission provisoire. En juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel*.
Cas individuel — 11/12/2023

Il passe 23 ans en Suisse avant d’obtenir une admission provisoire

Abdelkader* aura passé plus de 23 ans en Suisse avant d’obtenir un permis de séjour. Il lui aura fallu déposer une nouvelle demande de réexamen à l’âge de 62 ans.
Cas individuel — 24/08/2009

Handicapé par un accident, il n’obtient pas de délai pour terminer sa rééducation

"Si je repars là-bas, un jour, je serai paralysé" clame "Toriki", demandeur d'asile renversé par une voiture à Berne et gravement blessé. Frappé d’une décision de renvoi, il n’obtient pas de pouvoir rester en Suisse jusqu’à la fin des soins, alors que les autorités savent qu'il risque un handicap à vie s'il ne termine pas sa rééducation.