Traumatisé, il attend depuis cinq ans une réponse à sa demande d’asile

Persécuté dans son pays, l’Irak, « Malik » demande l’asile en Suisse en 2008. Après avoir été entendu sur ses motifs d’asile et avoir transmis un certificat attestant de ses traumatismes, « Malik » reste près de trois ans sans nouvelles de l’ODM. Après cinq années de procédure et la menace d’un recours pour déni de justice, il est convoqué à une audition complémentaire.

Mise à jour

Le 13 décembre 2013, l'ODM octroie l'asile à « Malik ». Pendant trois des cinq années d'attente, aucune mesure d'instruction n'avait été prise.

Personne(s) concernée(s) : « Malik », né en 1974

Origine : Irak

Statut : demande d’asile -> en attente

Résumé du cas

Travaillant sur un chantier de construction pour les Américains en Irak, « Malik » fait l’objet de plusieurs menaces le sommant de cesser ses activités, puis il est violemment agressé par trois hommes. Au terme de sa convalescence, il poursuit tout de même ses activités, et son oncle, avec lequel il travaillait, est abattu sous ses yeux. « Malik » décide alors de prendre la fuite et, en 2008. demande l’asile en Suisse. Quelques mois plus tard, le père de « Malik » est tué pour avoir refusé de révéler où se trouvait son fils et la mère se réfugie en Syrie. En 2010, la mandataire transmet à l’ODM son analyse sur l’inexistence d’une alternative de fuite interne pour « Malik » ainsi qu’un rapport médical faisant état du stress post-traumatique dont il souffre. Bien que « Malik » ait déjà été entendu sur ses motifs d’asile dès 2009 et que tous les documents pertinents aient été transmis aux autorités, l’ODM ne donne plus de nouvelles. Aussi en 2013 la mandataire réclame une communication rapide de la décision à défaut de quoi elle menace d’introduire un recours pour déni de justice. L’ODM justifie alors son retard en invoquant des restructurations internes. Face à l’insistance de la mandataire, il accorde à « Malik » un délai de 10 jours pour traduire des documents transmis plusieurs années auparavant, puis il laisse à nouveau passer plusieurs mois sans se prononcer. La mandataire reformule alors une menace de recours pour déni de justice. Quelques jours plus tard, « Malik » est convoqué à une audition complémentaire. Celle-ci intervient cinq ans après le dépôt de la demande d’asile et quatre ans après la dernière audition, alors que « Malik » souffre de troubles de la mémoire, conséquence des traumatismes subis.

Questions soulevées

 Comment expliquer que l’ODM, alors qu’il disposait depuis 2010 de toutes les informations et documents pertinents, ait laissé « traîner » le dossier de « Malik » trois années supplémentaires et qu’il faille menacer d’introduire un recours pour déni de justice pour que le dossier avance enfin ?

 Est-il justifiable de convoquer « Malik » à une audition complémentaire ? Qui à sa place pourrait raconter dans le moindre détail, sans jamais se contredire, des faits survenus cinq ans plus tôt ? Le fait que « Malik » ait justement besoin d’oublier ces évènements pour surmonter les traumatismes subis et se reconstruire sera-t-il pris en compte par l’ODM ?

Chronologie

2008 : « Malik » demande l’asile (sept.)

2009 : audition fédérale (août)

2010 : envoi de nouvelles informations (jan.) et d’un rapport médical à l’ODM (oct.)

2013 : lettre de menace de recours pour déni de justice de la mandataire (juin) ; l’ODM demande la traduction de documents (8 juil.) ; envoi par la mandataire des traductions requises (29 juil.) ; nouvelle relance de la mandataire (oct.) ; audition complémentaire (oct.)

NB : La procédure est toujours en cours au moment de la publication.

Description du cas

En septembre 2008, « Malik », d’origine irakienne, dépose une demande d’asile en Suisse. Travaillant avec son oncle depuis juin 2008 sur un chantier de construction pour les Américains, « Malik » reçoit plusieurs menaces sous forme de lettres le sommant de cesser ses activités. Ne prenant pas au sérieux la première lettre, il continue à travailler. Un jour, alors qu’il se trouve dans un café, trois hommes se ruent sur lui et le rouent de coups. Après un séjour à l’hôpital et une convalescence, « Malik » reprend le travail. Il reçoit alors une deuxième lettre de menace et décide de se rendre à la police, mais celle-ci refuse de l’aider. La troisième lettre est également adressée à son oncle et est livrée dans un sac contenant deux balles. Le samedi suivant, alors qu’ils attendent les pick-up censés les conduire au travail, « Malik » s’éclipse pour acheter à manger quand il entend des coups de feu. En revenant sur le parking, il trouve le corps de son oncle sans vie. « Malik » décide alors de quitter le pays et se rend en Turquie puis en Suisse. Quelques mois plus tard, le père de « Malik » est tué pour avoir refusé de révéler où se trouvait son fils et la mère se réfugie en Syrie.

En janvier 2010, la mandataire de « Malik » transmet à l’ODM son analyse concernant l’existence d’une éventuelle alternative de fuite interne pour « Malik » et arrive à la conclusion qu’il n’y en a pas. Un rapport médical d’octobre 2010 fait état du stress post-traumatique et de troubles somatiques dont souffre « Malik ». Aussi, son médecin traitant affirme qu’« étant donné les tortures physiques, morales et les pertes qu’il a subi sic] le retour dans son pays serait néfaste ». Cependant, ce constat n’accélère pas pour autant la procédure. En juin 2013, la mandataire de « Malik » demande à l’ODM de se prononcer sur la demande d’asile de celui-ci, à défaut de quoi elle menace d’introduire un recours pour déni de justice. L’ODM justifie alors son retard par des restructurations internes et explique qu’il ne peut donner de date précise pour la prise de décision. La mandataire maintient tout de même sa requête estimant que ce prétexte n’est pas valable et qu’il est sans lien avec la situation personnelle de « Malik » qui pâtit depuis cinq ans des retards. Le 8 juillet 2013, l’ODM donne un délai de 10 jours à « Malik » pour traduire plusieurs documents. Sachant que son mandant attend depuis plus de cinq ans une réponse à sa demande d’asile, que ces documents avaient été transmis longtemps auparavant et qu’aucun traducteur n’était disponible pour raison de vacances, la mandataire demande à prolonger le délai de deux semaines. Pourtant, l’envoi de ces traductions le 29 juillet n’accélère pas la procédure et en octobre la mandataire doit à nouveau menacer l’ODM de déposer un recours pour déni de justice. L’ODM convoque alors « Malik » à une audition complémentaire. La mandataire fait part de son « inquiétude et […] scepticisme quant au fait que cette audition intervienne cinq années après le dépôt de la demande d’asile ». En effet, « Malik » est encore fortement affecté psychologiquement et souffre de troubles de la mémoire, séquelle des traumatismes subis. À ce propos, une étude du [HCR de mai 2013 intitulée Beyond Proof : Credibility Assessment in EU Asylum Systems explique que « ceux qui ont souffert d’évènements traumatisants affichent souvent des symptômes d’évitement, c’est-à-dire qu’ils évitent de penser et de parler de l’événement ou les situations qui pourraient déclencher le souvenir. C’est une stratégie de survie normale qui devrait être supprimée pour faciliter l’évocation des informations utiles dans une audition d’asile ». L’audition s’est tout de même déroulée fin octobre 2013 et la procédure est toujours en cours au moment de la rédaction.

Signalé par : CSP Neuchâtel, octobre 2013

Sources : courriers de la mandataire (07.01.10, 27.09.10, 20.06.13, 29.07.13, 01.10.13) ; courriers de l’ODM (18.10.10, 08.07.13, 11.10.13) ; rapport médical (20.10.10).

Cas relatifs

Cas individuel — 15/07/2025

La Suisse reproche à deux enfants seuls de ne pas avoir franchi une frontière pour déposer leur demande de regroupement familial dans les délais

Esther* arrive en Suisse en 2012, à l’âge de 17 ans et demi, et obtient une admission provisoire (permis F). En partant, elle a été contrainte de laisser ses deux fils en Somalie. Elle obtient un permis B par mariage en 2015. Un délai de cinq ans s’ouvre alors pour demander un regroupement familial en faveur de ses fils, mais ceux-ci n’ont pas le droit de se rendre seuls au Kenya, où se trouve la seule ambassade suisse habilitée à enregistrer la demande. Ce n’est qu’en 2024, lorsque leur tutrice décide de déménager au Kenya et de les emmener avec elle, qu’ils peuvent alors déposer officiellement la demande. Les autorités cantonales rendent un préavis négatif au motif que la demande est tardive. Esther* fait alors valoir l’existence de raisons personnelles majeures – ses enfants allant bientôt être livrés à eux-mêmes - justifiant un regroupement familial tardif. La demande est toujours en cours.
Cas individuel — 19/09/2018

Le SEM met en doute le récit et prononce le renvoi d’un Érythréen de 19 ans

Arrivé comme MNA, « Bereket » est entendu sur ses motifs d’asile deux ans après avoir déposé sa demande. Pour le SEM, ses propos manquent de détails et de consistance. Le SEM qualifie son récit d’invraisemblable, lui refuse l’asile et prononce son renvoi vers l’Erythrée.
Cas individuel — 18/03/2014

Après 4 ans en Suisse l’ODM veut les renvoyer en Pologne

Gravement menacés en Géorgie, « David » et « Liana » cherchent refuge en Suisse avec leur enfant, après avoir séjourné en Pologne. L’ODM prononce une décision de transfert « Dublin » vers ce pays, confirmée 4 ans après par le Tribunal administratif fédéral en dépit de la naissance d’un deuxième enfant et des troubles psychiques de « David » et de l’aîné.