Son récit est qualifié d’invraisemblable malgré plusieurs éléments de preuve

« Yared » demande l’asile en Suisse après avoir quitté l’Ethiopie, où il a été détenu et maltraité en tant qu’opposant politique. Il présente une convocation officielle des autorités éthiopiennes et un rapport médical rédigé par un service spécialisé attestant de son état de santé et corroborant ses dires. Cependant, le SEM puis le TAF considèrent que ses déclarations sont invraisemblables et prononcent son renvoi de Suisse.

Personne(s) concernée(s) : « Yared », né en 1986

Statut : demande d’asile rejetée > renvoi confirmé par le TAF

Résumé du cas

« Yared », d’origine éthiopienne, demande l’asile en Suisse en septembre 2015. Soupçonné de soutenir l’opposition, « Yared » a été arrêté à deux reprises par les autorités éthiopiennes. Alors qu’il avait déjà quitté le pays, « Yared » a reçu une convocation de la part des autorités éthiopiennes datée d’août 2015, réceptionnée par sa sœur. Cet élément de preuve est remis au SEM. Par ailleurs, durant l’audition sur ses motifs d’asile, « Yared » dit avoir été battu et torturé en détention. Il est d’ailleurs suivi sur le plan psychiatrique par la Consultation pour victimes de torture et de guerre (CTG) pour dépression et état de stress post-traumatique. Dans un rapport médical de juillet 2017, également transmis au SEM, les médecins identifient plusieurs séquelles (perforation des tympans, troubles de l’audition et de l’articulation de la mâchoire) qu’ils attribuent à de probables passages à tabac et à des brûlures. Malgré ces différents éléments qui concordent avec le récit de « Yared », le SEM rejette sa demande d’asile en août 2017. Selon le SEM, les allégations de « Yared » sont « vagues », et « stéréotypées » et ne satisfont donc pas aux exigences de vraisemblance posées par l’art. 7 LAsi. « Yared » fait recours au TAF en octobre 2017 et évoque les moyens de preuve qui n’ont pas été pris en compte par le SEM. Il rappelle les séquelles dont il souffre, qui selon les spécialistes peuvent être dues aux mauvais traitements subis lors de ses deux périodes de détention. En novembre 2017, le TAF rejette le recours de « Yared », qui n’aurait rendu vraisemblable ni l’existence ni le risque de persécutions de la part des autorités éthiopiennes à son égard. Le TAF estime que « Yared » ne remplit pas les conditions d’octroi de l’asile et confirme la décision de renvoi.

Questions soulevées

 

Le SEM, puis le TAF ne prennent pas en compte certains moyens de preuve matériels, comme des avis de spécialistes de la torture, qui concordent pourtant avec les allégations de « Yared ». De tels indices ne devraient-ils pas suffire pour considérer ses propos comme vraisemblables ?

Le SEM et le TAF ont considéré que les déclarations de « Yared » lors de son audition étaient contradictoires, stéréotypées et vides de tout élément de vécu. Lors d’une audition dont l’issue sera déterminante, que peut-on réellement attendre, en termes de précision et de détails, d’une personne qui se trouve dans un état de stress post-traumatique et à qui l’on demande de se rappeler d’une période où elle a été torturée ?

L’art. 7 LAsi n’exigeant « que » la vraisemblance des motifs d’asile, et non une preuve stricte, le doute ne devrait-il pas profiter au requérant d’asile ?

Chronologie

2015 : Arrivée en Suisse et demande d’asile à Vallorbe (sept.)

2017 : Rejet de la demande d’asile par le SEM et décision de renvoi (août), recours au TAF (oct.), décision incidente du TAF (oct.), demande de reconsidération de la décision incidente (oct.), nouvelle décision incidente du TAF (oct.), arrêt du TAF (nov.)

Description du cas

« Yared », d’origine éthiopienne, entre en Suisse en septembre 2015 et y dépose une demande d’asile. Il déclare avoir été arrêté en 2014 dans le cyber-café qu’il gérait à Addis-Abeba, puis emprisonné pendant quatre mois. Les autorités l’accusaient d’être un opposant au régime car des membres d’un parti de l’opposition utilisaient son cyber-café afin d’imprimer des affiches contre le pouvoir. « Yared » ajoute avoir été emprisonné une seconde fois pendant deux mois durant la campagne électorale de 2015, à nouveau soupçonné de soutenir l’opposition. Il dit avoir été battu et torturé lors de ces deux périodes de détention. Alors qu’il avait déjà quitté le pays, « Yared » a reçu une convocation de la part des autorités éthiopiennes datée d’août 2015, réceptionnée par sa sœur et dont l’original a été remis au SEM. « Yared » verse à son dossier des éléments relatifs à son état de santé, qui corroborent ses dires sur les traitements dont il aurait été victime. En effet, il souffre notamment de troubles de l’audition et de l’articulation de la mâchoire, que les médecins attribuent à de probables coups au niveau de la tête. « Yared » présente d’autres séquelles, possiblement dues à des passages à tabac et à des brûlures. Il est également suivi sur le plan psychiatrique à la Consultation pour victimes de torture et de guerre (CTG) pour dépression et état de stress post-traumatique. Un rapport médical de juillet 2017, remis lui-aussi au SEM, conclut notamment à une perforation des tympans et à un état de stress post-traumatique.

En août 2017, le SEM rejette la demande d’asile de « Yared », qualifiant ses déclarations d’invraisemblables. Le SEM trouve « incompréhensible » que les autorités éthiopiennes aient décidé d’arrêter « Yared » sans aucune raison ou indice préalable et « illogique » que celles-ci l’aient libéré faute de preuves puis arrêté à nouveau quelques mois plus tard. Selon le SEM, les explications fournies par « Yared » sont « vagues », « stéréotypées » et « vides de tout élément de vécu ». Les exigences de vraisemblance posées par l’art. 7 LAsi n’étant selon lui pas réalisées, le SEM renonce à examiner la pertinence des faits allégués. Il réfute la qualité de réfugié de « Yared » et prononce son renvoi, estimant qu’il n’a démontré aucun risque vraisemblable d’être exposé à une peine ou à un traitement prohibé par l’art. 3 CEDH ni aucune mise en danger concrète due à sa situation médicale (art. 83 al. 4 LEtr).

Suite à la décision du SEM, « Yared » fait recours au TAF en octobre 2017. Il évoque les moyens de preuve détaillés et pertinents qui n’ont pas été considérés par le SEM, comme la convocation des autorités éthiopiennes d’août 2015 ou le certificat médical de juillet 2017. « Yared » rappelle les séquelles laissées par les mauvais traitements subis lors de sa détention. De plus, en raison de sa présumée appartenance à l’opposition politique éthiopienne, « Yared » se dit exposé à de sérieux préjudices.

Le TAF rejette la demande de dispense de frais et d’assistance judiciaire en octobre 2017, le recours étant jugé voué à l’échec. « Yared » dépose une demande de reconsidération de la décision incidente du TAF, rappelant une fois encore qu’il a apporté des preuves matérielles qui n’ont été considérées ni par le SEM, ni par le TAF. De surcroît, dans sa décision incidente, le TAF s’appuie sur le fait que « Yared » aurait imprimé des tracts en 2015,  soit après la fermeture de son cyber-café. Pourtant, la mandataire de « Yared » rappelle que celui-ci n’a jamais tenu de tels propos. Le TAF rejette ensuite la demande de reconsidération puis le recours de « Yared », car celui-ci n’aurait rendu vraisemblable ni l’existence ni le risque de persécutions de la part des autorités éthiopiennes à son égard. Le TAF considère qu’il se serait également contredit sur le moment de sa seconde arrestation. Dans son recours, la mandataire de « Yared » avait précisé que les indications temporelles données par le recourant étaient effectivement vagues (« ensuite », « puis »), mais que le SEM n’avait pas cherché à les clarifier et à confronter « Yared » sur les apparentes divergences dans ses déclarations. De plus, ces indications temporelles ont été données dans le cadre d’une question générale sur les motifs d’asile de « Yared », et non en réponse à une question spécifique portant sur le moment de la seconde arrestation. Finalement, pour le TAF, bien que le rapport médical et le fait que « Yared » soit suivi par la CTG attestent des faits avancés, ils ne suffisent pas à rendre vraisemblables les motifs de fuite allégués. Le TAF estime ainsi que « Yared » ne remplit pas les conditions d’octroi de l’asile et prononce son renvoi.

Signalé par : Caritas Genève

Sources : Décision SEM, recours, décisions incidentes, demande de reconsidération, arrêt du TAF

Cas relatifs

Cas individuel — 13/02/2024

Décès d’un jeune demandeur d’asile: la responsabilité directe des autorités suisses

Cas 459 / 13.02.2024 Alam* arrive en Suisse à 17 ans et demande l’asile après avoir vécu des violences en Grèce où il a reçu protection. Les autorités suisses prononcent une non-entrée en matière et son renvoi, malgré des rapports médicaux attestant de la vulnérabilité d’Alam*. Celui-ci met fin à ses jours à la suite du rejet de son recours par le TAF.
Cas individuel — 25/04/2022

Une femme trans* subit des persécutions LGBTIQphobes en Suisse

Témoignage. Une femme trans* obtient l’asile en Suisse au motif de nombreuses persécutions LGBTIQphobes subies dans son pays d’origine. Son parcours pour obtenir l’asile en Suisse est émaillé de discriminations dans sa prise en charge et d’agressions transphobes dans ses lieux de vie.
Cas individuel — 20/03/2015

L’ODM dissimule des informations au Tribunal pour confirmer sa décision de renvoi

Après avoir fui l’Azerbaïdjan en raison de leur origine arménienne, la jeune « Samira », gravement handicapée, sa mère et sa sœur se voient refuser l’asile et sont sommées de repartir. Le TAF, constatant que l’ODM lui a dissimulé des informations sur la disponibilité des soins, annule le renvoi et leur délivre une admission provisoire.
Cas individuel — 21/04/2011

Il obtient l'asile après avoir frôlé le renvoi
faute de pouvoir payer une avance de frais

Après le refus de sa demande d’asile par l'ODM en 2010, « Kofi » recourt devant le TAF. Celui-ci, malgré les moyens de preuves pertinents déposés, considère que le recours est voué à l’échec et réclame 600 frs d’avance de frais. « Kofi » ne peut pas payer. Plus tard, ayant réussi à réunir de nouvelles preuves, il demande à l’ODM de reconsidérer son cas, et finit par obtenir l’asile.