Soumis à l’aide d’urgence depuis 5 ans, il s’enfonce dans la précarité
« Aimé » vit à l’aide d’urgence depuis 2004. Depuis des années, son renvoi s’avère irréalisable. D’ailleurs, sa région d’origine est en guerre. En plus, il est père de deux enfants suisses. Il doit donc se résigner à vivre durablement dans des conditions de vie déshumanisantes. Théoriquement provisoire, l’aide « d’urgence » dure ici depuis 5 ans.
Personne(s) concernée(s) : « Aimé », homme né en 1964
Statut : demande d’asile -> rejet par NEM
Résumé du cas
En 2003, « Aimé » fuit son pays et demande l’asile en Suisse. L’ODR refuse d’entrer en matière parce qu’il ne présente pas de pièces d’identité « Aimé » devient alors un « NEM » (pour « non-entrée en matière »). Les autorités aimeraient qu’il quitte la Suisse au plus vite. Du fait de la révision de loi entrée en vigueur au 1er avril 2004, il est exclu de l’aide sociale et soumis à un régime d’aide d’urgence strict : il reçoit 10 francs par jour, n’a pas le droit de travailler et habite à Fribourg au foyer de la Poya où le confort est minimal voire inexistant. Sa seule activité consiste à se rendre une fois par semaine à la police et au service cantonal des migrants pour un contrôle, condition de l’octroi des 10 francs par jour. Condamné à cette précarité, « Aimé » refuse de disparaître, comme beaucoup, dans la clandestinité. Il se résigne à des conditions de vie extrêmement difficiles, qui n’ont jamais été prévues pour se prolonger. Il a eu avec une Suissesse, en 2004 et en 2006, deux enfants dont il explique ne pas vouloir se séparer. Quant à une expulsion, elle est irréalisable sans documents de voyage. Sa région d’origine (Nord Kivu) est d’ailleurs dévastée par la guerre. « Aimé » s’installe donc durablement, comme tant d’autres, dans cette aide qui n’a plus rien d’ « urgent », alors que les autorités pensaient que péjorer les conditions de vie des déboutés de l’asile les pousserait à rentrer rapidement dans leur pays. Malgré diverses démarches « Aimé » ne parvient pas à régulariser sa situation et végète depuis 5 ans dans cette non-existence. En l’absence de toute perspective d’avenir, sa santé psychique se dégrade lentement. Il a déjà du être hospitalisé à trois reprises.
Questions soulevées
L’exclusion de l’aide sociale a été adoptée pour pousser les requérants d’asile déboutés à partir Mais que fait-on des personnes qui, pour diverses raisons, subissent durablement ces conditions de vie extrêmement précaires et que l’on ne pourra pas expulser?
Peut-on accepter, dans un pays comme la Suisse, que des êtres humains se trouvent délibérément placés dans une pauvreté matérielle et dans une impasse psychologique qui portent atteinte à la dignité humaine ?
Chronologie
2003 : demande d’asile en Suisse (2 juin) ; NEM décidée par l’ODR (4 juil.) ; rejet du recours (3 oct.)
2004 : exclusion de l’aide sociale et passage à l’aide d’urgence pour les personnes frappées de NEM (1er avril); naissance d’un 1er enfant de nationalité suisse par sa mère –
2006 : naissance d’un 2ème enfant
2009 : demande de réexamen (13 fév.) ; irrecevabilité pour non paiement de l’avance des frais (20 mars) ; recours (24 avril) ; rejet du recours par le TAF (10 juin)
Description du cas
« Aimé », originaire de la région du Nord Kivu au Congo, arrive en Suisse en 2003 et demande l’asile. Mêlé au conflit entre militaires et rebelles, il explique avoir été dénoncé pour trahison et avoir échappé à des recherches dirigées contre lui. Après une fuite à l’intérieur du Congo, il est parvenu à embarquer sur un bateau pour l’Europe, puis à venir jusqu’en Suisse. Mais l’ODR refuse d’entrer en matière sur sa demande d’asile, parce qu’il n’a pas présenté de documents d’identité valables (art. 32 al. 2 let. a LAsi) et que son récit, selon l’ODR, ne laisse pas entrevoir d’indices de persécution qui imposeraient l’entrée en matière malgré l’absence de papiers. L’instance de recours confirme cette décision. Le renvoi d’« Aimé » devient ainsi définitif.
« Aimé » commence alors sa vie de « NEM » (pour « non-entrée en matière »). Il est exclu de l’aide sociale et n’a plus droit qu’à une aide d’urgence minimale que l’autorité cantonale, en vertu de la Constitution fédérale (art. 12 Cst.), est obligée de lui fournir. Il est placé au foyer de la Poya, une « structure d’accueil bas seuil » située à Fribourg. Il vit désormais avec 10 francs par jour, une somme qui lui permet à peine de se nourrir correctement (pour se vêtir, il reçoit parfois des bons d’achat pour les friperies des œuvres d’entraide). Chaque semaine il doit se rendre dans les locaux de la police fribourgeoise, puis au service de la population et des migrants, pour un contrôle sans lequel il ne peut toucher son pécule. Comme il n’a pas le droit de travailler et qu’aucun programme d’occupation n’est mis en place par l’autorité, il est réduit à une inactivité des plus pesantes. Une vie au jour le jour, sans projet ni perspective. « T’es ici pour que tu pètes les plombs. C’est comme un hôpital psychiatrique. On veut que tu t’en ailles. Moi, je reste parce que j’ai mes enfants » déclare un jour « Aimé » à un journaliste.
Ces conditions de vie drastiques, imposées en Suisse aux personnes frappées de NEM depuis 2004, et à tous les déboutés de l’asile depuis 2008, ont officiellement pour but de les inciter à retourner dans leur pays d’origine. Sur son site Internet, l’Etat de Fribourg qualifie lui-même ce régime de « mesures de précarisation sociale » (communiqué du 21.12.2007). Les conditions de vie induites par de telles mesures sont donc théoriquement provisoires. Mais « Aimé », lui, ne peut pas rentrer. Il n’a pas de papiers. Sa région d’origine, le Nord Kivu, est d’ailleurs en proie à une guerre au cours de laquelle se déroulent maints actes de barbarie touchant de nombreux civils. Il explique que son village a été détruit, et qu’il n’a aucune nouvelle des membres de sa famille. Malgré la dureté du régime d’aide d’urgence, « Aimé » s’efforce de continuer à vivre. Il a avec une ressortissante suisse deux enfants, qu’il a reconnus. Le premier est né en 2004, le second en 2006. Même s’il n’entretient pas de relation régulière avec la mère, « Aimé » explique qu’il voit souvent ses enfants et a noué avec eux des attaches affectives. Il ne veut pas se séparer d’eux. Mais la précarité de sa situation ne lui permet pas pour autant d’obtenir un permis pour des raisons familiales. Pour toutes ces raisons, « Aimé » s’est vu contraint, comme d’autres requérants d’asile déboutés, de rester durablement dans un mode de vie qui était pourtant prévu par nos autorités pour être invivable. Il vit maintenant dans ce carcan depuis 5 ans. Hospitalisé à trois reprises déjà en milieu psychiatrique, notamment pour des problèmes d’alcool, il se sent victime d’exclusion, et sa santé se dégrade progressivement dans l’ennui et le dénuement.
Aidé par un mandataire, « Aimé » tente en février 2009 de faire réexaminer sa situation parce que la perspective du renvoi est irréaliste, et qu’il vit durablement dans des conditions de vie précaires. L’ODM lui a demandé 600 francs d’avance de frais de procédure (art. 17b al. 3 LAsi). Comme il gagne 10 francs par jour depuis des années, « Aimé » n’a pas pu payer et sa demande a été déclarée irrecevable. Le TAF a confirmé cette décision le 10 juin. Pour l’heure, « Aimé » demeure privé de toute perspective d’avenir.
Signalé par : Centre de Contact Suisses-Immigrés de Fribourg, mai 2009
Sources : arrêt TAF (10.7.09) ; recours (24.4.09) ; décision ODM (20.3.09) ; demande de reconsidération (13.2.09) ; article paru dans La Liberté (18.8.06) ; arrêt CRA (3.10.03)