Refus de visa humanitaire à un homosexuel camerounais persécuté

Au Cameroun, « Michel » vit dans la crainte depuis que son homosexualité a été découverte : sa famille le menace de mort et il ne peut réclamer la protection des autorités, qui pourraient le faire condamner à 5 ans de prison pour son orientation sexuelle. La Suisse lui refuse un visa humanitaire sollicité à l’ambassade, estimant qu’il n’est pas suffisamment menacé.

Mise à jour

Près de deux ans après le dépôt du recours, le Tribunal administratif fédéral rend un arrêt négatif pour « Michel ». Contrairement à ce qui était invoqué dans le recours, le Tribunal avance que celui-ci a pu aisément exercer son droit d’être entendu, ceci en présentant sa situation ainsi que ses différents arguments par l’entremise de son mandataire. De plus, concernant la situation de détresse qui nécessiterait d’accorder à « Michel » un visa pour motifs humanitaires, le Tribunal avance que « tout en ne mettant nullement en doute l’orientation sexuelle de « Michel », il ne saurait considérer que celui-ci se trouve dans une situation de danger concret, sérieux et directe, autrement dit imminent du seul fait de son homosexualité ». Il confirme ainsi la décision négative du SEM qui refuse à « Michel » l’octroi d’un visa humanitaire.

Personne(s) concernée(s) : « Michel », né en 1989

Statut : demande de visa humanitaire -> demande rejetée

Résumé du cas

Depuis que son homosexualité a été découverte, « Michel » est continuellement menacé notamment par sa famille, qui estime que son orientation sexuelle est une atteinte à son honneur. De plus, s’il était dénoncé, il risquerait une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans. Vivant de plus en plus dans la crainte d’être persécuté, il décide de demander un visa humanitaire à l’ambassade suisse à Yaoundé. Celle-ci est refusée, au motif que « l’objet et les conditions du séjour envisagé n’ont pas été justifiés » et que sa volonté de quitter l’espace Schengen après l’expiration du visa de trois mois n’est pas établie. « Michel » sollicite un entretien avec l’Ambassadeur pour lui exposer sa situation, sans succès. Entre-temps, sous la pression de son voisinage et du chef de son quartier, « Michel » est obligé de quitter son logement et se retrouve à la rue. Saisi d’une opposition au refus de visa, l’ODM confirme la décision de l’ambassade, estimant que « Michel » n’est pas suffisamment menacé, car au Cameroun, « si les homosexuels interpellés et arrêtés sont souvent détenus dans des conditions relativement précaires, les poursuites et les condamnations judiciaires sont cependant plutôt rares ». L’Office affirme également que s’il se sentait vraiment en danger, il n’aurait pas attendu presque trois ans depuis son ‘coming-out’ forcé pour demander un visa humanitaire. En faisant cette évaluation, l’ODM ne tient pas compte du fait que le jeune homme ne dispose d’aucune attache en dehors de son pays et que l’exil n’est pas un choix anodin. En juin 2013, l’avocat de « Michel » dépose un recours au TAF. Peu après, la famille de « Michel » essaie de l’assassiner, parvenant à le blesser à l’épaule. Le recours est en suspens.

Questions soulevées

 Comment l’ODM peut-il affirmer que les homosexuels ne sont pas menacés au Cameroun, alors que de récents procès pour homosexualité (tel que celui de Roger Mbédé en 2011) ont abouti à la condamnation des protagonistes à des peines de plusieurs années de prison ?

 Selon les promesses du DFJP (voir déclaration de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga du 25 mars 2013), le visa humanitaire devait remplacer les demandes d’asile dans les ambassades. L’histoire de « Michel » n’illustre-t-elle pas l’ineffectivité du dispositif?

 Est-ce acceptable que l’on reproche à « Michel » de ne pas avoir démontré sa volonté de quitter l’espace Schengen à l’échéance de son visa humanitaire, alors que ce visa est justement censé permettre à des personnes menacées de déposer une demande d’asile une fois en Suisse (voir arrêt TAF E-7319/2013 du 7 février 2014) ?

Chronologie

2012 : dépôt d’une demande de visa humanitaire à l’ambassade suisse à Yaoundé (déc.)

2013 : refus de l’ambassade (jan.), opposition à l’ODM (fév.), rejet confirmé par l’ODM (mai), recours au TAF (juin)

N.B. : au moment de la rédaction, le TAF ne s’est pas encore prononcé sur le recours

Description du cas

Jeune Camerounais diplômé en droit, « Michel » est persécuté depuis la découverte de son homosexualité. Sa famille, considérant son orientation sexuelle comme une atteinte à son honneur, l’a chassé du domicile familial et, après avoir essayé de le forcer à se marier avec une femme du village, le menace de mort. Dans ce pays où la répression de l’homosexualité est très forte sur les plans pénal et social (les actes sexuels entre personnes du même sexe sont passibles de 5 ans d’emprisonnement) il est continuellement victime de menaces, de bastonnades et de chantage. Longtemps, il espère par sa formation universitaire pouvoir s’intégrer dans un milieu plus tolérant à son égard, mais en vain. Vivant de plus en plus dans la crainte d’être identifié, tué ou dénoncé à la police, il sombre dans la dépression et tente de se suicider à trois reprises.

En décembre 2012, avec l’aide d’un avocat dans le canton de Genève, il décide de déposer une demande de visa humanitaire à l’ambassade suisse à Yaoundé. Mais sa demande est refusée, au motif que « l’objet et les conditions du séjour envisagé n’ont pas été justifiés » et que sa volonté de quitter l’espace Schengen après l’expiration du visa n’est pas établie. « Michel » demande un entretien personnel avec l’ambassadeur pour pouvoir expliquer sa situation, mais celui-ci répond que ce n’est pas nécessaire et qu’il préfère lui éviter une exposition excessive en public par une nouvelle venue à l’ambassade, reconnaissant ainsi implicitement le danger qu’encourt « Michel ».

Le mandataire de « Michel » fait opposition au rejet de sa demande de visa auprès de l’ODM. Il souligne en outre que selon les indications de l’Office à l’OSAR (réponses communiquées par l’ODM à l’OSAR au sujet des demandes de visa humanitaire, 30 octobre 2012), un entretien personnel est recommandé lors de l’examen de demandes de visa humanitaire. Entre-temps, la situation de « Michel » a encore empiré : harcelé par son voisinage et le chef de son quartier, il doit quitter son logement et se retrouve ainsi à la rue.

En mai 2013, informé de tous ces événements, l’ODM confirme cependant le refus d’octroyer le visa à « Michel ». L’Office estime que le comportement de « Michel » ne correspond pas à celui de quelqu’un qui se sentirait réellement menacé, car il a attendu trois ans après que sa famille eut découvert son orientation sexuelle pour déposer une demande de visa humanitaire. De plus, l’autorité affirme que les homosexuels au Cameroun ne subissent pas de persécution « systématique et collective », car « si les homosexuels interpellés et arrêtés sont souvent détenus dans des conditions relativement précaires, les poursuites et les condamnations judiciaires sont cependant plutôt rares ». L’ODM estime ainsi que les conditions de détention déplorables auxquelles « Michel » pourrait être exposé ne constituent pas déjà en elles-mêmes un risque personnel grave. De plus, l’Office considère que ce qui est réprimé au Cameroun n’est pas l’homosexualité mais les rapports sexuels entre personnes du même sexe. Cette analyse est contredite par de récents procès pour homosexualité ayant eu un retentissement international, tel que celui de Roger Mbédé, étudiant condamné en 2011 pour avoir échangé un sms amoureux avec un autre homme. L’ODM réitère en outre que la volonté de l’intéressé de quitter l’espace Schengen à l’expiration du visa ne peut être garantie – alors que le visa humanitaire est justement censé permettre à des personnes menacées de déposer une demande d’asile une fois en Suisse.

En juin 2013, l’avocat de « Michel » dépose un recours au TAF. Il explique que la décision de s’exiler a été difficile à prendre pour son mandant qui ne dispose d’aucune attache en dehors de son pays. Par ailleurs, les décisions prises par les tribunaux camerounais démontrent que l’homosexualité est bel et bien réprimée en tant que telle dans le pays, et que dans ce contexte les autorités n’ont aucune volonté de protéger « Michel » de la vindicte de sa famille ; elles constituent au contraire une menace ultérieure. Il invoque en outre une violation du droit d’être entendu, l’ambassade ayant refusé de recevoir « Michel » pour un entretien personnel, malgré ses demandes réitérées.

Dans un contexte de grandes tensions par rapport à la communauté homosexuelle au Cameroun, la famille de « Michel » a essayé de le tuer en juillet 2013, le blessant à l’épaule. Informé de ce grave incident, le TAF n’a pas encore statué sur le recours déposé il y a plus d’une année.

Signalé par : avocat dans le canton de Genève – mai 2014

Sources : décision de l’ODM (2.05.13), recours au TAF (5.06.13)