Reconnue invalide, elle reçoit une révocation d’autorisation de séjour et un refus de regroupement familial

Ximena* arrive en Suisse en septembre 2019. Elle trouve un emploi à 100%, et obtient, sur cette base, un permis B UE/AELE. Peu de temps après, elle dépose une demande de regroupement familial en faveur de son mari et de ses fils, âgés respectivement de 12 et 5 ans. En mars 2020, par suite d’un AVC, elle se retrouve en incapacité totale de travail. Malgré la reconnaissance de son invalidité par l’AI qui lui octroie une rente, les autorités migratoires lui refusent le droit de demeurer au motif que Ximena n’avait pas résidé en Suisse au moins deux ans avant la survenance de son invalidité. Son permis est ainsi révoqué et la demande de regroupement familial déposée en faveur de ses enfants des années plus tôt est refusée (l’époux est entre-temps retourné en Espagne suite à leur divorce). Tous les trois doivent quitter la Suisse.

Personne concernée (*Prénom fictif): Ximena*

Origine: Espagne

Statut: sans

Chronologie 

2019 : arrivée en Suisse (sept.)

2020 : demande de regroupement familial (jan.), début de l’incapacité de travail (mars)

2022 : divorce (mai) et autorité parentale exclusive reconnue à Ximena* (juil.)

2023 : rente AI à 100% (juin)

2024 : décision négative de l’OCPM (avr.), recours au Tribunal (mai), refus du Tribunal (oct.), recours à la Chambre administrative de la Cour de justice (nov.)

Questions soulevées

  • Comment se fait-il qu’au moment où toute la famille était en Suisse, l’OCPM a demandé l’accord du père pour l’installation des enfants à Genève pour entre en matière sur la demande du regroupement familial les concernant? Cet accord n’est pourtant nécessaire que si les enfants ne se trouvent pas dans le même pays qu’un des parents.
  • Pourquoi au moment où la mère a obtenu l’autorité parentale exclusive sur ses deux fils mineurs, ceux-ci n’ont pas pu bénéficier immédiatement du regroupement familial, sachant que toutes les conditions légales étaient alors remplies?

Description du cas

Ximena*, originaire d’Espagne, née en 1978 et mère de deux enfants, arrive en Suisse en septembre 2019. Elle trouve un emploi à 100% et, sur cette base, obtient un permis B UE/AELE. Quelques mois plus tard, elle dépose une demande de regroupement familial en faveur de son mari et de leurs fils, âgés de 12 et 5 ans.

Le Service cantonal de la population (OCPM) demande des documents et informations complémentaires à Ximena*, notamment l’accord du père des enfants pour leur installation en Suisse alors que ce dernier se trouve également à Genève, et qu’une demande de regroupement a été déposée aussi pour lui. Dans ce cas de figure, un tel accord ne devrait pas être exigé. Ximena* ne peut y répondre ayant subi un AVC en mars 2020, ce qui la met en arrêt de travail. C’est en mars 2022 qu’elle parvient à fournir à l’OCPM des documents et informations complémentaires, notamment en lien avec l’aide sociale qu’elle reçoit en avance d’une rente d’invalidité (AI) sollicitée en avril 2020.

En juillet 2022, l’OCPM reçoit une copie du jugement du divorce de Ximena*, dans lequel l’autorité parentale exclusive sur ses deux fils lui est octroyée. Entre janvier et juillet 2023, Ximena* transmets encore à l’OCPM divers documents relatifs à son arrêt maladie ainsi que le projet de décision de l’AI qui lui reconnaît une incapacité de travail totale depuis mars 2020.

En novembre 2023, l’OCPM informe Ximena* de son intention de révoquer son titre de séjour car elle n’a plus la qualité de travailleuse salariée au sens de l’art. 6 Annexe I ALCP, et ne peut pas se prévaloir du droit de demeurer non plus, étant donné qu’au moment où son incapacité de travail est survenue, elle n’avait pas résidé deux ans en Suisse, ce qui est en effet une condition pour la reconnaissance de ce droit (art. 4 ALCP). Dès lors, sa demande de regroupement familial en faveur de ses enfants est également rejetée. En l’absence des moyens financiers propres suffisants, elle ne peut pas prétendre à un permis sans activité lucrative non plus (art. 24 Annexe I ALCP).

En janvier 2024, Ximena* fait valoir son droit d’être entendu avec l’aide d’une mandataire. Elle rappelle que l’OCPM aurait dû rendre une décision sur la demande de regroupement familial peu après le dépôt de celle-ci, alors que Ximena* avait un emploi et donc la qualité de travailleuse. En outre, elle reproche aux autorités de ne pas avoir accepté le regroupement familial non plus en juillet 2022, au moment où l’autorité parentale exclusive lui a été octroyée. Suite à ce traitement erroné du dossier, ses fils n’ont pas eu de permis pour regroupement familial, ce qui constitue selon la mandataire un déni de justice et une violation de l’ALCP. Ainsi, cette erreur doit être corrigée, et les enfants de Ximena* doivent pouvoir obtenir leur titre de séjour. L’aîné, adolescent, pourra ainsi invoquer son droit de terminer sa formation en Suisse, ainsi que faire bénéficier sa mère d’un droit de séjour dérivé  (art. 3 al. 6 ALCP). Enfin, la mandataire indique que l’état de santé mentale de Ximena* s’est grandement détérioré à la suite du diagnostic d’une maladie neurofibromatose chez son fils aîné, lequel doit par conséquent suivre un cursus spécialisé.

Mais en avril 2024, soit plus de 4 ans après le dépôt de la demande initiale, l’OCPM confirme sa position: il révoque l’autorisation de séjour de Ximena*, refuse le regroupement familial pour ses enfants, et prononce le renvoi de la famille. En mai, la mandataire de Ximena* dépose un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (TAPI). Dans ce recours, elle reprend son argumentaire et ajoute que l’OCPM ne peut reprocher à Ximena* de ne pas avoir répondu à sa demande de mars 2020 au sujet de l’accord du père de ses fils : d’abord puisque ce dernier était à ce moment-là encore inclut dans la demande de regroupement et ensuite parce que son état de santé l’invalidant pendant des mois ne saurait lui être reproché.

En octobre 2024, le TAPI confirme dans son jugement que Ximena* a perdu son droit de séjour en Suisse fondé sur l’ALCP. Le tribunal juge également que les enfants de Ximena* n’ont pas le droit de rester avec leur mère, en Suisse. Le TAPI ne se prononce pas sur l’argument de la mandataire qui a affirmé que sans le traitement erroné du dossier, l’aîné de Ximena*, au bénéfice d’un permis pour regroupement familial, aura le droit de terminer sa formation en Suisse et faire bénéficier sa mère d’un droit de séjour dérivé. En effet, selon le TAPI, la condition supplémentaire pour faire valoir ce droit n’est pas remplie, car il peut être raisonnablement exigé de ce jeune de retourner en Espagne pour y terminer sa formation.  L’octroi des permis d’exception pour motifs importants (art. 20 OLCP) est également refusé, car une réinstallation en Espagne, où selon le TAPI Ximena* pourrait trouver les suivis médicaux adéquats, ainsi que toute autre aide nécessaire,  ne prétériterait pas le développement de ses enfants, qui pourraient y poursuivre leur scolarité sans problème ni déracinement particulier. Le recours est donc rejeté.

En novembre 2024, Ximena* dépose un recours contre le jugement du TAPI auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice. Ce recours est actuellement encore pendant.

Signalé par: CCSI Genève

Source: jugement du TAPI JTAPI/1060/2024

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