Phobie des abus : peut-on encore se marier sans prendre un avocat ?

Ensemble depuis deux ans, « Aziz » et « Linda » veulent se marier. Malgré le préavis favorable de l’office d’état civil, qui a procédé à une audition, l’organe cantonal de surveillance y voit un abus, car « Aziz » est sans papiers, et l’autorité y met son veto. Ce n’est qu’après les nombreuses démarches d’un avocat que le mariage pourra être célébré.

Mise à jour

Post scriptum - Cas 074: Peu après leur mariage, les époux ont été condamnés pénalement: "Aziz" pour séjour illégal, et "Linda" pour avoir hébergé son futur mari, alors clandestin. Amené à se prononcer sur un recours, le Tribunal de district a regretté l'attitude adoptée par les services administratifs dans cette affaire. "Si l'on avait agi plus simplement et admis dès le départ qu'ils souhaitaient se marier par amour avant tout (...)" commente le Tribunal, qui refuse d'infliger une peine à "Linda" et réduit légèrement celle d'"Aziz" (pour séjour illégal).

Personne(s) concernée(s) : « Aziz » et « Linda »

Statut : « Aziz » : sans-papiers –> permis B par mariage

Résumé du cas

En septembre 2008, « Aziz », originaire du Maroc, et « Linda », ressortissante portugaise titulaire d’un permis C, vivent ensemble depuis deux ans et veulent se marier. Ils ont attendu jusqu’ici car la procédure de divorce de « Linda », déjà mariée, devait d’abord être achevée. « Aziz », lui, arrivé en Suisse en 2005, n’a pas pu régulariser son séjour et demeure depuis 2006 sans statut légal. Aussitôt que le couple entreprend les démarches en vue du mariage, c’est une véritable course d’obstacles qui commence. Le service cantonal des migrations veut d’abord qu’« Aziz » rentre dans son pays. Puis il exige, pour qu’il puisse rester, que ce dernier prouve que le mariage est imminent. Il ne l’est pas, car la procédure traîne de manière inhabituelle, obligeant l’avocat du couple à multiplier les démarches afin d’accélérer la procédure. En décembre 2008, lors d’une audition menée par l’office d’état civil de la commune où habite le couple, les officiers constatent que le projet de mariage, après deux années de vie commune, est le fruit d’une réelle volonté de fonder une communauté conjugale. Pourtant, contre cet avis, la surveillance cantonale de l’état civil annonce le 20 février 2009 son refus de célébrer le mariage en invoquant l’art. 97a CC, en vigueur depuis 2008 pour empêcher des mariages manifestement abusifs. L’autorité avance, sans grands motifs, que le couple voudrait se marier uniquement pour qu’ « Aziz » obtienne une autorisation de séjour. Un recours permet heureusement de faire annuler cette décision. L’instance supérieure constate en effet qu’il ne revenait pas à l’organe de surveillance cantonal de se prononcer, mais bien aux officiers d’état civil qui ont mené l’audition. « Aziz » et « Linda » peuvent enfin célébrer leur union le 14 avril 2009.

Questions soulevées

 Certains étrangers se heurtent aujourd’hui à une suspicion déplacée qui fait obstacle à leur droit au mariage. Une initiative parlementaire propose même d’interdire tout mariage avec un « sans papiers ». Le mariage n’est-il plus protégé par notre Constitution ?

 Le Conseil fédéral promettait que l’art. 97a CC ne viserait que les abus manifestes. N’assiste-t-on pas ici à une tentative d’utilisation abusive de cette disposition pour mener une politique migratoire restrictive en privant les étrangers « indésirables » d’un droit fondamental ?

Chronologie

2005 : entrée d’« Aziz » en Suisse avec un visa (sep.)

2006 : rencontre avec « Linda » (août) ; début de la vie commune (oct.)

2008 : entrée en force du divorce de « Linda » (1er sep.) ; dépôt d’une demande de mariage (6 oct.) ; audition de « Linda » par l’officier d’état civil de la commune suivie d’un préavis favorable (15 déc.)

2009 : refus de célébrer le mariage par la surveillance cantonale de l’état civil (20 fév.) ; recours (25 mars) ; annulation de cette décision par l’instance supérieure (3 avr.) ; reconnaissance du droit au mariage par le service cantonal des migrations (7 avr.) ; mariage (14 avr.)

Description du cas

« Aziz », originaire du Maroc, arrive en Suisse en 2005 avec un visa pour se marier avec une compatriote établie ici. Il renonce à cette union et reste illégalement sur le territoire helvétique. Il rencontre en août 2006 « Linda », ressortissante portugaise titulaire du permis C. Dès octobre 2006, ils emménagent ensemble. Ils aimeraient se marier, ce qui permettrait par la même occasion à « Aziz » de régulariser son séjour, mais doivent attendre que le divorce de « Linda », auparavant mariée à un autre homme, soit officiellement prononcé. En septembre 2008, le divorce de « Linda » entre en force et le couple entreprend les démarches en vue du mariage.

Le service cantonal des migrations du canton enjoint dans un premier temps « Aziz » de rentrer au Maroc et de demander depuis là-bas un visa pour revenir en Suisse, tout en indiquant qu’il n’hésitera pas à « prendre des dispositions plus contraignantes à son égard » si ceci n’est pas fait. Suite à des démarches de l’avocat du couple, le service des migrations change d’optique et demande à « Aziz » de prouver l’imminence du mariage par une attestation de l’office d’état civil, condition d’octroi d’une autorisation de séjour provisoire. Or la procédure traîne de manière inhabituelle, obligeant l’avocat à multiplier les démarches afin de l’accélérer. Malgré des preuves (photos) que la vie commune est effective depuis deux ans, l’état civil soupçonne un mariage blanc. En décembre 2008, « Linda » est convoquée pour une audition par l’office d’état civil de la commune où habite le couple. Les officiers d’état civil constatent toutefois lors de cet entretien que le projet de mariage est bien le fruit d’une réelle volonté de fonder une communauté conjugale, et donnent un préavis favorable au mariage.

Pourtant, la surveillance cantonale de l’état civil annonce le 20 février 2009 son refus de célébrer le mariage en invoquant l’art. 97a CC. Cet article, adopté par le peuple en 2006 lors de la votation sur la nouvelle LEtr, attribue à l’officier d’état civil la compétence de refuser la célébration d’un mariage s’il estime, sur la base d’un faisceau d’indices, qu’il est face à un abus de droit manifeste, c’est-à-dire face à un mariage de complaisance. Or ici, sans citer d’indices précis, l’autorité précitée estime qu’il s’agit d’un abus : le couple voudrait se marier uniquement pour qu’« Aziz » obtienne une autorisation de séjour. Les deux officiers d’état civil de la commune, qui ont procédé à l’audition, ne sont pourtant pas du même avis : un courrier daté du 25 février 2009 explique qu’ils « sont absolument convaincus du bien fondé de cette demande préparatoire au mariage. ».

L’avocat fait recours et l’instance supérieure, soit le Département cantonal de la justice, annule la décision, estimant qu’il ne revenait pas à l’organe de surveillance, mais bien aux officiers d’état civil qui ont mené l’audition, de se prononcer. « Aziz » et « Linda » peuvent enfin célébrer leur union le 14 avril 2009. Durant cette procédure, caractérisée par une suspicion mal placée et des retards inexplicables, les nombreuses démarches de l’avocat ont été déterminantes. Sans ses nombreuses interventions le mariage n’aurait sans doute pas pu être célébré. Dans le futur, cependant, un tel mariage pourrait bien devenir formellement impossible. Car au moment où la surveillance de l’état civil tentait d’y mettre son veto, une initiative parlementaire visant à interdire tout mariage avec un « sans papiers » était sur le point d’être approuvée par le Conseil national.

Signalé par : un avocat du canton de Neuchâtel, le 26 mars 2009.

Sources : Décision du Département cantonal de la justice (3.4.09) ; recours (25.3.09) ; lettre de l’office de l’état civil communal (25.2.09) ; décision de la surveillance (20.2.09) ; et autres pièces utiles du dossier ; Message concernant la loi sur les étrangers, pp 3590-3592, (9.3.02). Sur le sujet, voir aussi : Note thématique 003, « Prévention des mariages blancs ou entraves à un droit fondamental », ODAE, (9.7.08).

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