Il cherche la sécurité, il trouvera l’exclusion
et les violences policières

« Umar » fuit l’Irak parce qu’il craint d’être assassiné comme son père. Les autorités suisses ne croient pas à son histoire et lui demandent de partir. « Umar », qui ne peut se résoudre à rentrer, reste en Suisse dans un centre d’aide d’urgence puis dans la clandestinité. En 2010, une tentative d’expulsion se solde par des contusions et un pied cassé. Récit d’une exclusion.

Personne(s) concernée(s) : « Umar », jeune homme né en 1984

Statut : demande d’asile rejetée -> tentative de renvoi forcé

Résumé du cas

« Umar » explique avoir fui le Kurdistan irakien en 2002 après avoir été convoqué par des miliciens kurdes, qui ont déjà assassiné son père. Il arrive en Suisse en 2006 et dépose une demande d’asile. Les autorités, malgré un recours, ne croient pas à son histoire, mais l’admettent provisoirement en Suisse parce que la situation de violence généralisée qui prévaut alors en Irak empêche l’exécution du renvoi. En février 2008, l’ODM, estimant que la situation s’est améliorée dans le nord de l’Irak, lève son admission provisoire et lui fixe un délai pour quitter la Suisse. « Umar » est alors exclu de l’aide sociale et contraint de quitter son appartement pour s’installer dans un centre d’aide d’urgence. Malgré cette dégradation de ses conditions de vie, il ne peut se résigner à rentrer chez lui, car il ne s’y sent pas en sécurité. Quelques mois après l’échec d’une demande de réexamen de sa situation, « Umar » plonge dans la clandestinité. En février 2010, il est arrêté dans la rue par la police qui lui reproche l’illégalité de son séjour. Il est placé en détention administrative jusqu’à une tentative de renvoi vers l’Irak effectuée à l’aéroport de Zürich. Estimant qu’on le renvoie vers une mort certaine, « Umar » se débat face à la violence physique des policiers. Il se retrouve blessé, avec une contusion à la tête et de multiples fractures du talon. On le relâche. Au moment de la rédaction de la fiche, le jeune homme a quitté son pays depuis huit ans et vit en Suisse depuis cinq ans. Il est toujours soumis au régime de l’aide d’urgence, et n’a aucune possibilité de reconstruire sa vie.

Questions soulevées

 Le cas d’ « Umar » montre comment le régime d’aide d’urgence conduit à l’exclusion sociale de personnes qui recherchaient en Suisse un peu de sécurité. À quoi bon garder une mesure inefficace qui porte atteinte à la dignité humaine de milliers d’individus ?

 Lorsque des gens sont prêts à mettre leur santé, voire leur vie, en danger pour éviter l’expulsion, n’y a-t-il pas lieu de réévaluer leur situation et de s’interroger sur le bien fondé d’une décision qui affirme qu’ils ne sont pas en danger dans leur pays ?

Chronologie

2002 : fuite hors d’Irak

2005 : demande d’asile en Suisse (1er déc.)

2006 : refus et admission provisoire (14 mars)

2008 : levée de l’admission provisoire (5 fév.) ; demande de réexamen (1er déc.) ; refus ODM (12 déc.)

2009 : recours (15 janv.) ; rejet du TAF (4 fév.) ; SPOP signale sa disparition (9 oct.)

2010 : mise en détention administrative (19 fév.) ; tentative de renvoi forcé (15 mars)

Description du cas

En 1992, le père d’« Umar », qui travaillait pour le parti Baas dans le nord de l’Irak, est détenu puis torturé à mort par des miliciens kurdes. « Umar » n’a qu’une dizaine d’années, mais l’évènement le traumatise. En juin 2002, « Umar » reçoit une convocation officielle des autorités kurdes pour s’expliquer sur les activités de son père à l’endroit même où celui-ci a été détenu. Craignant des représailles, « Umar » s’enfuit d’Irak. Un long et difficile exil va le mener jusqu’en Suisse, où il demande l’asile le 1er décembre 2005.

Le 14 mars 2006, l’ODM refuse sa demande, arguant que le récit d’« Umar » lui semble invraisemblable. Celui-ci reçoit toutefois une admission provisoire, car un renvoi en Irak est alors inexigible en raison de la situation de violence généralisée qui y prévaut. Le 5 février 2008, l’ODM, estimant que la situation s’est améliorée dans le nord de l’Irak, lève l’admission provisoire et impartit un délai de moins de deux mois à « Umar » pour quitter la Suisse (un recours au TAF n’y changera rien). Du jour au lendemain, « Umar » se voit privé de toutes prestations et aides sociales. Il doit quitter son appartement et se retrouve dans un centre d’aide d’urgence à Vevey où il est en permanence soumis à des règles strictes et à des contrôles effectués par des agents de sécurité. Il doit en plus se présenter toutes les deux semaines aux guichets du SPOP pour continuer à toucher une aide d’urgence limitée à 9.50 frs par jour. Dans cette situation, « Umar » sombre et boit parfois. Une altercation avec un des agents de sécurité du centre lui vaudra deux semaines de détention.

Toutefois « Umar » tient plus que tout à la sécurité que lui offre la Suisse et ne peut se résoudre à rentrer dans son pays, estimant qu’il y sera exposé à un danger de mort. Il s’installe donc durablement dans la précarité. Le 1er décembre 2008, il demande le réexamen de sa situation, insistant sur le fait que le gouvernement régional kurde réprime les opposants politiques et les membres de leurs familles. Il joint à son recours divers documents et explique qu’il n’a plus de réseau familial en Irak pour le soutenir en cas de renvoi. L’ODM puis le TAF rejetteront sa demande, arguant que les documents sont des faux, que les faits sont trop anciens et que rien ne s’oppose à son renvoi.

Le 9 octobre 2009 : le SPOP informe l’ODM qu’« Umar » a disparu centre d’aide d’urgence. Pendant une année et demie, « Umar » vit dans la clandestinité, tout en refusant de s’adonner à des activités illégales. Il explique par la suite avoir été pendant cette période aidé par des amis et soutenu par des œuvres d’entraide. En février 2010, il est arrêté dans la rue à Vevey. Sur ordonnance du Juge de Paix vaudois du 19 février, il est mis en détention administrative en vue du renvoi. Le 15 mars 2010, la police zurichoise tente de le mettre dans un avion à Kloten. « Umar » raconte : « On m’a poussé à terre, ligoté les pieds, les mains, les genoux et mis une espèce de minerve pour m’empêcher de bouger la tête. ». Un peu plus tard, « Umar » se débat, se cogne violemment la tête en tentant d’éviter des coups de poing, se tape le talon contre une porte. Résultat : contusion à la tête avec poche de sang et multiples fractures du talon. Le Juge de Paix vaudois ordonne alors sa libération. Au moment de la rédaction de cette fiche, il vit à nouveau dans un centre d’aide d’urgence, sans aucune perspective d’avenir en Suisse, mais toujours décidé à éviter un renvoi à n’importe quel prix.

Signalé par : correspondants de l’ODAE, mai 2010

Sources : procès verbal d’une audition (12.1.06) ; recours contre refus de reconsidération (15.1.09) ; arrêt du TAF E-289/2009 (4.2.09) ; ordonnance de mise en détention (19.2.10) ; témoignage sur le renvoi rédigé par « Umar » (13.4.10) ; rapport médical du CHUV (28.4.10) ; autres pièces utiles au dossier

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