Il est illicitement détenu alors qu’il
collabore et accepte de quitter la Suisse

En 2012, « Lucas » est arrêté pour séjour irrégulier. Acceptant de rentrer au Brésil, il sollicite un délai pour préparer son retour, puisque son fils est scolarisé en Suisse. Après un refus de la part du Tribunal cantonal valaisan, le TF interrompt in extremis son renvoi et juge sa détention illicite pour non-respect des exigences légales en la matière.

Personne(s) concernée(s) : « Lucas », né en 1975, sa femme et leurs deux enfants

Statut : sans-papiers → détention administrative et renvoi

Résumé du cas

Fin 2009, « Lucas » et sa femme entrent en Suisse. À la fin de leur séjour légal de trois mois, ils s’installent à Genève où ils entament une activité lucrative et scolarisent l’aîné de leurs fils. Le 13 novembre 2012, « Lucas », qui est arrêté alors qu’il se trouve en Valais, reçoit du SPM une décision de renvoi immédiatement exécutoire (art. 64 al. 1 LEtr) et de détention (art.76 al.1 let.b ch.3 LEtr). Le lendemain, son mandataire demande au Tribunal cantonal valaisan de le libérer. Rappelant qu’une détention administrative se justifie par l’existence d’éléments concrets laissant entrevoir un risque de fuite (art. 76 al.1 let.b ch.3 LEtr), il considère que rien dans le comportement de « Lucas » ne présage un passage dans la clandestinité. Le 16 novembre, et alors que « Lucas » accepte de rentrer si un délai lui est accordé, le Tribunal cantonal confirme la légalité de la détention, justifiée notamment par la crainte qu’en cas de libération les autorités genevoises n’exécutent pas le renvoi. Le mandataire, qui recourt auprès de ce même tribunal contre la décision de renvoi en demandant l’effet suspensif, conteste auprès du TF la légalité de la détention admise par le Tribunal cantonal. Le 21 novembre, alors qu’aucune décision relative aux deux recours n’a encore été rendue, « Lucas » est conduit en Allemagne où un vol pour le Brésil l’attend. Son mandataire en avertit le TF qui interrompt immédiatement l’éloignement. Malgré sa libération, « Lucas » réclame qu’une décision soit rendue sur la légalité de sa détention, contrairement au Tribunal cantonal qui juge le recours devenu sans objet. Le mandataire de « Lucas », se basant sur deux arrêts du TF condamnant le SPM (2C-413/2012 et 2C-478/2012), estime que ce Service présume automatiquement du passage à la clandestinité pour tout individu en situation irrégulière. En décembre, le TF admet qu’il n’existe « aucun élément tangible ni concret qui laisse penser que le recourant entend passer dans la clandestinité » et juge la détention de « Lucas » illicite. Celui-ci reste toutefois tenu de quitter la Suisse.

Questions soulevées

De quel droit le SPM déroge-t-il aux conditions légales exigeant l’existence d’indices concrets pour présumer, uniquement sur la base de l’irrégularité du séjour, qu’il y a un risque de fuite justifiant une mise en détention administrative ?

Pourquoi le SPM empêche-t-il « Lucas » d’organiser volontairement son départ, alors que ce dernier accepte de quitter le territoire ? Que penser d’ailleurs du caractère expéditif de ce renvoi, exécuté sans aucune considération pour la situation familiale de « Lucas » ?

Chronologie

2009 : arrivée en Suisse muni d’un passeport permettant un séjour légal de trois mois (sept.)

2012 : contrôle de la police municipale ; décision de renvoi et de détention administrative par le SPM ; recours auprès du Tribunal cantonal ; confirmation de la légalité de la détention ; recours auprès du TF ; suspension du renvoi par le TF (nov.) ; arrêt du TF constatant l’illicéité de la détention (déc.)

Description du cas

Fin 2009, « Lucas », sa femme et leurs deux fils quittent le Brésil pour la Suisse. Autorisés à séjourner trois mois en qualité de touristes, « Lucas » et sa femme décident de ne pas rentrer et, en dépit du caractère irrégulier de leur séjour, trouvent du travail et s’installent à Genève, où l’aîné de leurs fils est scolarisé. Le 13 novembre 2012, « Lucas » se rend en Valais pour rendre service à des amis. Arrêté par la police municipale, il est interrogé par un fonctionnaire du Service de la protection des travailleurs et des relations du travail. Faute de traducteur, « Lucas » n’est pas en mesure de bien le comprendre. Le même jour, le Service cantonal de la population et des migrants (SPM) lui remet une décision de renvoi immédiatement exécutoire pour avoir séjourné et travaillé en Suisse sans autorisation (art. 64 al. 1 LEtr), ainsi qu’un ordre de détention en vue du renvoi (art.76 al.1 let.b ch.3 et 4 LEtr). Il est alors emmené dans l’établissement de détention de Martigny.

Le lendemain, le mandataire de « Lucas » demande au Tribunal cantonal valaisan la libération immédiate de son mandant, reprochant au SPM le caractère illicite de la détention. En effet, celle-ci ne peut avoir lieu que si « des éléments concrets font craindre que la personne concernée entende se soustraire au renvoi ou à l’expulsion, en particulier parce qu’elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer […] » (art. 76 al.1 let.b ch.3 LEtr). Compte tenu de la situation familiale de « Lucas », dont un fils est scolarisé à Genève, et rappelant que ce dernier a pleinement coopéré, notamment en donnant son adresse exacte, le mandataire considère que rien ne laisse présager un passage dans la clandestinité.

Le 16 novembre, le Tribunal cantonal valaisan entend « Lucas ». Celui-ci, qui accepte de quitter la Suisse, sollicite un délai pour préparer son retour, compte tenu de la scolarisation de l’un de ses enfants. À l’issue de l’audience, le juge de la Cour de droit public confirme la légalité de la détention. S’alignant sur l’argumentaire du SPM, il constate que « Lucas » manifeste un mépris évident des lois relatives aux étrangers, sans que les autorités genevoises « paraissent en mesure de remédier à cette situation devenue permanente ». Ainsi, le juge considère qu’il est préférable que « Lucas » ne retourne pas à Genève, car les autorités de ce canton, qui se sont « accommodées de son long séjour », pourraient ne pas se préoccuper de l’exécution de son renvoi.

Le 19 novembre, le mandataire de « Lucas » recourt auprès de ce même tribunal contre la décision de renvoi et demande à ce que l’effet suspensif soit octroyé. Il recourt également auprès du Tribunal fédéral et conteste la légalité de la détention admise par le Tribunal cantonal. Ainsi, deux recours sont pendants, l’un auprès du Tribunal cantonal concernant la décision de renvoi, l’autre auprès du TF sur la légalité de la détention, lorsque le 21 novembre, « Lucas » est renvoyé de Suisse à destination de l’Allemagne où un vol pour le Brésil l’attend. Son mandataire adresse alors un courrier urgent au TF dans lequel il réclame la suspension du renvoi, tant que le Tribunal cantonal n’aurait pas statué sur la décision de renvoi. Le TF interrompt alors l’éloignement. Libéré, « Lucas » retourne à Genève auprès de sa famille. Quant au recours au TF portant sur la licéité de la détention, le Tribunal cantonal estime qu’il est devenu sans objet à partir du moment où « Lucas » a été libéré. Pour celui-ci en revanche, sa libération n’enlève rien à la question de la licéité de sa détention, et il demande donc au TF de statuer.
Citant deux arrêts où le TF condamne le SPM pour avoir rendu des décisions de détention jugées illicites (2C-413/2012 et 2C-478/2012), le mandataire de « Lucas » estime que ce Service pratique une présomption du passage à la clandestinité pour toute personne résidant en Suisse sans autorisation de séjour, et ce sans aucun respect pour les conditions légales de mise en détention exigeant l’existence d’indices concrets. Le 4 décembre, le TF statue sur l’arrêt rendu par la juridiction cantonale ordonnant sa mise en détention administrative. Considérant qu’il n’existe « aucun élément tangible ni concret qui laisse penser que le recourant entend passer dans la clandestinité », le TF considère la détention prononcée à l’égard de « Lucas » illicite. Dès lors, une demande d’indemnisation a été déposée auprès du canton du Valais. « Lucas » reste toutefois tenu de quitter la Suisse.

Signalé par : un avocat du canton de Genève, janvier 2013

Sources : arrêts du TF du 22.05.12 (2C_413/2012), du 14.06.12 (2C_478/2012) et 21.12.12 (2C_1139/2012); arrêt du Tribunal cantonal du 16.11.12 (A212266) ; ordonnance du TF du 21.11.12 (2C_1139/2012).

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