L’inaccessibilité des soins n’empêche pas
l’ODM de prononcer son renvoi
« Nadège » vit en Suisse depuis 2003. Atteinte du VIH, elle redoute, en cas de renvoi au Cameroun, de subir le même sort que son frère, sa sœur et sa nièce, morts du Sida. Les rapports d’enquête attestant de l’inaccessibilité des soins et de l’impossibilité pour sa famille de l’accueillir et la soutenir n’empêchent pas les autorités de prononcer son renvoi.
Mise à jour
Le 13 décembre 2013, le TAF rend un nouvel arrêtPersonne(s) concernée(s) : « Nadège» née en 1965
Statut : sans-papiers -> demande de permis B humanitaire
Résumé du cas
En 2003, « Nadège », originaire du Cameroun, arrive en Suisse dans le but d’y travailler. Elle découvre, peu de temps après, qu’elle est atteinte du VIH, ce qui l’oblige à suivre un traitement à vie et la plonge dans un état dépressif. Elle fait malgré cela de grands efforts d’intégration et recherche activement un emploi, sans que ses démarches aboutissent par manque d’autorisation de travail. Elle dépose en 2006 une première demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales, mais l’ODM puis le TAF refusent, estimant qu’elle ne répond pas aux critères de l’art. 33 OLE. En outre, son traitement médical serait, pour ces derniers, disponible au Cameroun où sa famille pourrait l’accueillir et la soutenir. Une deuxième procédure démarre en 2011, cette fois sous l’angle de l’art. 30 LEtr. Pour la mandataire, si les traitements existent, leur disponibilité n’est pas garantie en raison de fréquentes ruptures de stocks et d’incapacité du système à prendre en charge tous les malades éligibles pour un traitement. Une étude de 2011 du Country Information Research Center (CIREC) vient corroborer ces affirmations. Le traitement serait par ailleurs financièrement inaccessible pour « Nadège » qui a aussi besoin de soins psychiatriques, d’autant plus que sa famille restée sur place se trouve dans une situation extrêmement précaire et ne peut donc lui être d’aucun soutien. Trois parents sont déjà décédés du Sida au Cameroun, illustrant l’incapacité de la famille à soutenir ses malades. Une association locale mandatée par le CIREC a vérifié ces affirmations qu’elle confirme dans un rapport d’enquête. L’ODM reste pourtant sur sa position en se basant sur des informations générales et datant de plusieurs années sur les possibilités de traitement VIH au Cameroun. La mandataire a déposé un recours qui est toujours en suspens auprès du TAF.
Questions soulevées
N’y a-t-il pas scandale à ce que l’ODM ignore les rapports d’experts portant sur la situation individuelle de « Nadège » et témoignant de l’inaccessibilité de soins dans le pays d’origine, au profit d’informations plus générales et moins récentes qu’il détient, mettant ainsi la vie de « Nadège » en danger ?
L’ODM estime que la présence d’un réseau familial au Cameroun assurerait à « Nadège » un soutien moral et matériel en cas de renvoi. Compte tenu de la situation de cette famille, n’abuse-t-il pas ainsi de son pouvoir d’appréciation ?
Chronologie
2003 : « Nadège » arrive en Suisse
2006 : demande de permis pour raisons médicales (art. 33 OLE)
2007 : préavis positif du SPOP
2008 : refus de l’ODM (août) ; recours devant le TAF (sept.)
2010 : décision négative du TAF
2011 : demande de permis B humanitaire (art. 30 LEtr) (fév.) ; préavis positif du SPOP (mai) ; refus de l’ODM (sept.) ; recours auprès du TAF (oct.)
Un recours est en suspens devant le TAF au moment de la rédaction de cette fiche.
Description du cas
En 2003, « Nadège » arrive en Suisse afin d’y travailler et découvre, la même année, qu’elle est atteinte du VIH. Elle commence alors un traitement, qu’elle devra suivre à vie. Malgré un état dépressif récurrent depuis l’annonce de sa maladie, « Nadège » tente de s’intégrer au mieux : elle développe un réseau relationnel, effectue du bénévolat dans deux associations et suit des cours en vue d’une meilleure intégration professionnelle. Or, malgré ses recherches actives d’emploi, son statut précaire ne lui permet pas de conclure un contrat de travail. C’est donc grâce à l’aide sociale et à son affiliation auprès d’une assurance maladie qu’elle parvient à subvenir à ses besoins et à payer son traitement.
En 2006, elle demande une autorisation de séjour et l’autorité cantonale (SPOP) accepte de présenter la demande à l’ODM pour raisons médicales, en vertu de l’art. 33 OLE. Mais l’ODM refuse, estimant notamment que « Nadège » ne donne pas de garantie de quitter la Suisse en fin de traitement et qu’elle possède des attaches familiales au Cameroun, de sorte qu’il n’y aurait pas d’obstacles insurmontables à son retour. Sa mandataire recourt contre cette décision auprès du TAF en reprochant à l’ODM de ne pas tenir compte de la situation particulière de « Nadège », notamment de la difficulté d’accès à son traitement dans son pays d’origine. Deux médecins spécialistes qui la suivent en Suisse attestent qu’une interruption de traitement, même brève, mettrait sa vie en danger. Le décès de son frère avant son départ et de sa sœur et sa nièce très récemment, tous trois atteints du Sida et vivant au Cameroun, résonne d’ailleurs pour elle comme une sentence sans appel. En 2010, le Tribunal rejette le recours (arrêt C-5955/2008), affirmant que « Nadège » ne remplit pas les conditions de l’art. 33 OLE. Il estime qu’elle pourrait s’installer à Yaoundé où les soins médicaux sont, selon lui, disponibles. Il affirme également que ces soins seraient accessibles dans la mesure où « Nadège » pourrait trouver un emploi, même informel, et pourrait « probablement » bénéficier de l’aide de sa famille.
En 2011, la mandataire dépose une nouvelle demande, cette fois sous l’angle de l’art. 30 LEtr. Elle étoffe sa demande à l’aide d’un rapport du Country Information Research Center (CIREC) et d’une enquête de l’Association des femmes actives et solidaires au Cameroun (AFASO) auprès de la famille de « Nadège ». Ces recherches, menées par des experts, témoignent de la disponibilité aléatoire, dans la pratique, des soins pour les personnes souffrant du VIH en raison de fréquentes ruptures de stocks et de l’incapacité du système à prendre en charge tous les malades éligibles pour un traitement. L’enquête de l’AFASO auprès de la famille de « Nadège » démontre en outre l’impossibilité pour cette dernière de l’accueillir et de la soutenir financièrement. L’ODM rend toutefois une nouvelle décision négative. Il rappelle le caractère exceptionnel de l’art. 30 LEtr et estime que, étant entrée illégalement en Suisse, « Nadège » n’a pas fait preuve d’un « comportement irréprochable ». Concernant la possibilité de suivre son traitement, il maintient sa position affirmant que le manque d’accès aux soins au Cameroun n’est pas démontré. Il se base pour cela sur des informations générales, produites par la section MILA (section Analyse sur la migration et les pays de l’ODM), qui proviennent de sources datant de 2003 à 2006 alors que les rapports fournis par la mandataire datent de 2011. Pour cette dernière, l’ODM abuse de son pouvoir d’appréciation en écartant les rapports émis par des spécialistes, tant ceux qui suivent « Nadège » en Suisse que ceux qui ont examiné la situation générale et sa situation particulière au Cameroun. Elle a déposé un nouveau recours auprès du TAF dans lequel elle mentionne également une publication de l’OSAR sur les soins psychiatriques au Cameroun, décrits comme étant quasi inaccessibles. La décision du Tribunal est toujours en attente.
Signalé par : La Fraternité (Centre sociale protestant – Vaud), janvier 2012
Sources : décision de l’ODM (20.08.08) ; arrêt du TAF du 24.11.10 C-5955/2008, rapport du CIREC (3.08.11) rapport de l’OSAR (9.09.10), décision de l’ODM (23.09.11) et autres pièces utiles du dossier