Le regroupement familial d’un couple avec enfant est entravé sans justes motifs
Après son mariage au Portugal avec « Carina », ressortissante portugaise, « Edon », de nationalité kosovare, demande le regroupement familial pour rester avec son épouse et leur futur enfant en Suisse. En plus d’un délai de traitement de dossier excessivement long, le SPoMi lui octroie un permis de séjour soumis à des conditions non prévues par l’ALCP.
Personne(s) concernée(s) : « Carina » née en 1981 et son époux « Edon » né en 1985
Statut : renouvellement permis B refusé > permis B regroupement familial
Résumé du cas
« Carina », portugaise, et « Edon », kosovar, se sont rencontrés en Suisse. Après la décision de non-renouvellement du permis de séjour d’« Edon », le couple se marie au Portugal et revient en Suisse. Enceinte, « Carina » demande immédiatement le regroupement familial pour son époux, selon le droit prévu par l’ALCP (art. 3 annexe I ALCP) auquel elle peut prétendre pour les conjoints de ressortissants de l’UE qui ont un statut de travailleurs salariés en Suisse. Les conditions pour bénéficier de ce droit sont précisées de manière exhaustive dans l’Accord. Pourtant, après plusieurs mois d’attente, le SPoMi exige du couple toute une série de documents non prévus par l’ALCP, et malgré les demandes répétées de la mandataire, ne mentionne pas les bases légales sur lesquelles reposeraient ses exigences. Tout d’abord, il exige que la demande se fasse depuis le Kosovo, ce que conteste la mandataire en vertu de l’art. 17 al. 2 LEtr (droit de présence pendant la procédure si les conditions sont manifestement remplies) et de la jurisprudence (arrêt Metock C-127/08 de la CJUE, repris par le TF arrêt 2C_196/2009). Elle invoque également des raisons personnelles telles que la naissance à venir de l’enfant. Ensuite, le SPoMi demande un certificat de mariage kosovar, bien que l’état civil ait reconnu le mariage célébré au Portugal et émis un certificat de famille suisse. Veiller à ce qu’« Edon » ne contracte pas un second mariage au Kosovo est l’argument avancé. Pour la mandataire, il ne semble pourtant pas que le SPoMi ait la prérogative de veiller au respect et à la bonne application du droit civil étranger. Pour finir, le SPoMi nie le statut de travailleuse salariée de « Carina » en contactant son employeur plutôt qu’en lui demandant directement les informations utiles. Il s’avère pourtant que même si « Carina » a baissé son pourcentage de travail après son accouchement, elle n’a jamais perdu sa qualité de travailleuse et son activité est toujours restée suffisamment importante pour être considérée comme réelle et effective. Lassés de la durée du traitement de leur demande et à bout de force, le couple cède finalement aux exigences jugées illégales par la mandataire, et reçoit le permis demandé. La procédure aura duré en tout 17 mois.
Questions soulevées
Est-ce que l’Etat de droit est toujours respecté lorsqu’une autorité cantonale telle que le SPoMi se permet de soumettre à l’application du droit au regroupement familial l’exigence de conditions non prévues par l’ALCP et dépourvues de fondements légaux ?
L’ALCP sert à faciliter la libre circulation, il s’ensuit que les travailleurs européens ne doivent pas être découragés à rester en Suisse en raison de barrières administratives trop élevées. Un délai d’attente de 17 mois pour un regroupement familial est-il compatible avec cet objectif ?
La mauvaise gestion des autorités n’est-elle pas problématique au regard de la charge de travail monumentale qu’elle impose inutilement à de petites associations défendant le respect de droits pourtant clairement définis dans l’ALCP ? À quoi ces tracasseries, qui augmentent les frais administratifs et exercent de fortes pressions psychologiques servent-elles ?
Chronologie
2015 : « Carina » dépose le certificat de mariage au SPoMi qui n’entre pas en matière sur la demande de regroupement familial (avril) ; échanges de courriers entre le SPoMi et le CCSI (avril-décembre)
2016 : demande de documents par le SPoMi (janvier, février) ; octroi d’un permis B sous conditions (juin) ; annulation de l’octroi de permis B et ré-instruction du dossier (juin) ; octroi d’un permis B (septembre)
Description du cas
« Edon », de nationalité kosovare et en procédure de divorce avec une Suissesse, rencontre « Carina » en 2012. En 2014, il reçoit une décision de non-renouvellement de son autorisation de séjour. Quelques temps plus tard en avril 2015, le couple part se marier au Portugal et revient s’installer en Suisse où « Carina » travaille et séjourne depuis 2011. « Carina » dépose immédiatement fin avril 2015 une demande de regroupement familial pour son époux auprès du SPoMi en y joignant le certificat de mariage portugais. La demande reste sans réponse entre juillet et novembre 2015. Le service n’aurait apparemment jamais reçu les lettres de la mandataire du couple, et ce, alors que ces courriers ont été envoyés en recommandé et que cette dernière dispose des preuves d’envoi. Dès novembre 2015, et alors que le jeune époux devrait rapidement être mis au bénéfice d’un permis pour regroupement familial selon l’ALCP (art. 3 annexe I ALCP), le SPoMi exige une série de documents non prévus par l’Accord : extrait du registre des poursuites, attestation du Service social, copie de la prime d’assurance maladie, acte de mariage certifié par l’état civil kosovar, original de l’acte de naissance d’« Edon » (qui a pourtant déjà séjourné en Suisse légalement et est donc connu des services suisses). De plus, malgré les demandes répétées de la mandataire, le SPoMi n’avance pas de bases légales pour justifier ces exigences. La mandataire s’oppose dans un premier temps à fournir des preuves des moyens financiers, étant donné que le droit au regroupement familial selon l’art. 3 al. 3 annexe I ALCP n’est pas conditionné à l’existence de ces derniers. Elle rappelle par ailleurs les Directives OLCP du SEM : « Pour le ressortissant UE/AELE détenteur du droit originaire au séjour qui occupe un emploi, il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve des moyens financiers » (point 9.2.2).
Outre les documents demandés, le SPoMi exige même que la demande de regroupement familial se fasse depuis le Kosovo, alors qu’« Edon » se trouve déjà en Suisse, ce qui selon la mandataire est contraire à l’art. 17 al. 2 LEtr (droit de présence pendant la procédure si les conditions sont manifestement remplies) et à la jurisprudence (arrêt Metock C-127/08 de la CJUE, repris par le TF arrêt 2C_196/2009). De plus, « Carina », sur le point d’accoucher et sans réseau familial en Suisse, compte sur son époux pour la soutenir au quotidien, ce qui constitue des raisons personnelles importantes. Rien ne s’oppose donc à ce que la demande soit faite depuis la Suisse. Autre point étonnant : le SPoMi exige que l’acte de mariage soit certifié par l’état civil du Kosovo, en niant ainsi les effets juridiques produits par le mariage célébré au Portugal. Ces effets sont pourtant reconnus par l’état civil lors de l’établissement du certificat de famille suisse. Une fois de plus, il n’a pas été avancé de base légale à cette exigence, mais le souci pour le canton de Fribourg de s’assurer qu’« Edon » ne se remarie pas au Kosovo. Plus d’un an après la demande et suite à de nombreux échanges avec la mandataire qui conteste les exigences, le SPoMi octroie un permis B à « Edon » « sous conditions » en raison de « moyens financiers limités ». Grâce à la persévérance de la mandataire, l’instruction du dossier est toutefois reprise.
Dans un second temps, le SPoMi nie le statut de travailleuse salariée de « Carina », et donc son droit au regroupement familial. Pour l’autorité, son taux de travail doit être considéré comme « marginal et accessoire », ce qui lui ôte le statut de travailleuse selon l’ALCP et donc les droits en découlant. Pourtant, « Carina » a bien changé de travail suite à son accouchement et diminué son taux d’activité qui est toujours resté suffisamment important pour être considéré comme réel et effectif. La mandataire apprend que le SPoMi s’est procuré les informations sur l’activité de « Carina » par ses propres moyens en s’adressant directement auprès de l’employeur de celle-ci. La mandataire s’est empressée de souligner son étonnement face à la pratique des autorités qui n’ont jamais demandé ces informations à la mandante et n’ont pas tenu compte du fait que l’employeur est tenu de respecter la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO, art. 28 CC).
Finalement, après que le couple ait cédé aux exigences du SPoMi – jugées illégales par la mandataire, notamment celle relative à la production de la preuve de la transcription du mariage par les autorités kosovares – « Edon » reçoit enfin son permis B. La procédure aura duré 17 mois en tout.
Signalé par : CCSI-SOS Racisme Fribourg – Novembre 2016
Sources : Arrêt du Tribunal cantonal de Fribourg (27 mai 2014) ; Extrait de l’acte de mariage (10.04.2015) ; Nombreux échanges de courriers entre le CCSI, les mandants et le SPoMi ; Extrait de casier judiciaire vierge d’ « Edon » ; Contrat de travail de « Carina » (11.01.2016)