La Suisse reconnaît son origine sahraouie mais le catégorise «sans nationalité»

Aju* dépose une demande d’asile en Suisse 1998, après avoir été détenu et torturé par les autorités marocaines en raison de son soutien à l’indépendance du Sahara Occidental. Il obtient le statut de réfugié (permis B) puis, quelques années plus tard, un permis d’établissement (permis C). Sur ses documents, sa nationalité sahraouie est indiquée. En avril 2019, il est convoqué par le Service de la population du canton de Fribourg pour saisir ses données biométriques. Le courrier de convocation indique alors qu’il serait de nationalité marocaine. Aju* demande au SEM de rectifier l’erreur. Mais le SEM l’informe que la Suisse ne reconnaissant pas le Sahara Occidental en tant qu’Etat, les personnes de ce territoire sont, depuis le 1er octobre 2018, automatiquement enregistrées avec la nationalité marocaine. Aju* proteste, mais en vain. En septembre 2019, le SEM informe Aju* avoir modifié sa pratique : désormais, les documents des personnes originaires du Sahara Occidental mentionnent «sans nationalité». Ce faisant, le SEM déchoit Aju* et sa famille de leur nationalité sahraouie. Aju* dépose un recours au TAF puis au TF contre ce changement, invoquant tant les violences qu’il a subies de la part de l’état marocain que les problèmes engendrés par le statut «sans nationalité». Mais ses deux requêtes sont rejetées.

Personne concernée (*Prénom fictif): Aju*

Origine: Sahara Occidental

Statut: Permis C, «sans nationalité»

Chronologie 

1998 : demande d’asile (mai)

1999 : obtention du permis B (juil.)

2019 : convocation par le SPoMI avec nationalité marocaine (avril), puis indication «sans nationalité» sur les documents suisses (sept.), recours auprès du TAF (nov.)

2020 : recours rejeté par le TAF (nov.) 2021 : recours auprès du TF (jan.), rejet du recours par le TF (août)

Questions soulevées

  • Comment est-il possible qu’Aju* doive choisir entre la nationalité d’un état qui l’a torturé et emprisonné des années durant ou se voir déchoir de toute nationalité, alors que les autorités suisses lui reconnaissent son origine sahraouie?
  • Comment les autorités suisses peuvent-elles laisser une famille subir les conséquences d’une décision qu’elles ont prise sur une base purement politique (refuser de reconnaître le Sahara Occidental comme un Etat)?

Description du cas

Aju* est originaire du Sahara Occidental. En 1992, il est arrêté par les autorités marocaines après avoir participé à une manifestation pour l’indépendance du pays. Il est détenu et torturé durant 5 ans. Une mobilisation internationale permet à Aju* d’être relâché, mais il doit quitter le pays. Il dépose en mai 1998 une demande d’asile en Suisse. En juillet 1999, l’Office fédéral des réfugiés (aujourd’hui le SEM) lui reconnait la qualité de réfugié (permis B). Après quelques années, Aju* obtient un permis d’établissement (permis C), sur lequel il est indiqué sa nationalité sahraouie.

En 2001, Aju* se marie et de cette union naissent deux enfants. En avril 2019, le Service de la population du canton de Fribourg (SPoMI) convoque Aju* et ses enfants pour saisir leurs données biométriques. Les courriers de convocation indiquent alors qu’ils sont de nationalité marocaine. Aju* demande au SEM de rectifier l’erreur et que lui-même et ses enfants soient à nouveau enregistrés avec la nationalité sahraouie. En mai 2019, le SEM informe Aju* qu’il n’est pas contesté qu’il soit originaire du Sahara Occidental, toutefois la Suisse ne reconnaissant pas ce pays, les personnes de ce territoire sont automatiquement enregistrées avec la nationalité marocaine depuis le 1er octobre 2018, suite à un changement de pratique du SEM.

En juin 2019, Aju* répond au SEM qu’il refuse d’être enregistré sous nationalité marocaine. Le SEM prétend ne pas avoir de pouvoir de décision. Toutefois, en septembre 2019, le SEM informe Aju* avoir modifié sa pratique et il est désormais indiqué sur les documents suisses des personnes originaires du Sahara Occidental: «sans nationalité». Ce faisant, le SEM déchoit Aju* et sa famille de leur nationalité sahraouie.

En novembre 2019, Aju* dépose un recours contre cette décision auprès du TAF, avec l’appui d’une mandataire. Dans son recours, il rappelle les violences qu’il a subies de la part de l’état marocain, invoque la violation de l’art. 8 CEDH qui protège la vie privée et familiale, et soulève les problèmes de précarité et de stigmatisation liés au statut «sans nationalité»: difficultés d’accès aux services en ligne de l’administration, aux offres commerciales en ligne, impossibilités de voyager. Des entraves qu’il assimile à des punitions injustifiées. Mais en novembre 2020, le TAF rejette le recours (A-6277/2019). En janvier 2021, Aju*, toujours appuyée par sa mandataire, dépose alors un recours auprès du Tribunal fédéral (TF). Au travers d’un arrêt rendu en août 2021 (1C_44/2021), ce dernier rejoint la position du TAF et décrète qu’aucune violation de l’art. 8 CEDH n’est constatée. Il rejette le recours.

Signalé par: CCSI Fribourg

Sources: ATAF A-6277/2019 ; Arrêt du TF 1C_44/2021

Cas relatifs

Cas individuel — 29/10/2024

Quatre ans de procédure pour se voir reconnaître son statut de victime de violences domestiques

Arrivée en Suisse en 2018 à la suite de son mariage avec un ressortissant suisse, Amanda* est rapidement victime de violences domestiques. À la suite de la séparation du couple, et malgré les documents attestant des violences subies par Amanda* ainsi que de ses craintes, fondées, de représailles de sa belle-famille en cas de retour, le SEM refuse de renouveler son autorisation de séjour et prononce son renvoi vers le Sri-Lanka. Amanda* dépose un recours au TAF contre cette décision. En août 2023, le TAF lui donne raison : il annule la décision du SEM et ordonne l’octroi d’une nouvelle autorisation de séjour en faveur d’Amanda* sur la base de l’art. 30 LEI qui permet de déroger aux conditions d’admission pour tenir compte de cas individuels d’une extrême gravité (F-2969/2020). Le TAF que reconnait les violences domestiques subies par Amanda* – que le SEM avait minimisées, voire niées – et leurs conséquences sur son état de santé, tout comme les difficultés de réintégration en cas de retour au pays d’origine, constituent des éléments suffisants pour admettre la prolongation de son séjour en Suisse.
Cas individuel — 01/12/2023

Emprisonné à trois reprises dans des conditions reconnues illicites par le Tribunal fédéral. Cas-témoignage

Depuis son arrivée en Suisse en 2012, Samy* été détenu à trois reprises, notamment pour séjour illégal. Les trois fois, il connaitra les conditions de détention illicites des zones carcérales de Lausanne. Une pratique que le Tribunal fédéral reconnaît être une violation de la CEDH.
Cas individuel — 24/08/2009

L’argent d’un requérant d’asile peut être confisqué

Un requérant d’asile doit toujours pouvoir prouver la provenance de l’argent qu’il a sur lui. Pour n’avoir pas pu le faire, « Aristide » s’est fait confisquer la somme qu’on lui avait prêtée. Saisi d’un recours, le TAF confirme la légalité de cette saisie.
Cas individuel — 24/08/2009

Une amende salée pour un requérant indigent

Un demandeur d’asile se fait contrôler par la police près de la frontière avec la France. Il reçoit cinq mois plus tard une amende d’un montant de 360 francs suisses, un montant difficilement payable pour un demandeur d’asile qui vit de l’aide sociale.