L’« intensité » des violences conjugales étant jugée insuffisante, elle doit partir

« Farida » fournit de nombreuses preuves des violences conjugales qu’elle a subies, justifiant sa séparation d’avec son époux suisse. Mais l’ODM prononce son renvoi, jugeant l’« intensité » des violences exigée par la jurisprudence insuffisante et son intégration pas réussie, malgré un emploi à 100%.

Mise à jour

Dans son arrêt du 14 juillet 2016 (F-4009/2014) le TAF a cassé la décision du SEM et approuvé le renouvellement de l’autorisation de séjour. Le Tribunal a estimé que « Farida » remplissait les conditions de l’art. 50 al. 1 let. a LEtr, soit avoir vécu au moins trois ans de vie conjugale et démontrer une intégration réussie. Ces éléments s'avérant suffisants pour admettre le recours, le Tribunal a estimé qu’il était superflu d’examiner si les violences conjugales auraient également pu justifier le renouvellement du permis au sens de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2, comme l’invoquait « Farida ». Quatre ans après sa séparation, celle-ci est enfin assurée de ne plus risquer un renvoi vers l’Algérie.

Personne(s) concernée(s) : « Farida », née en 1979

Statut : autorisation de séjour -> non-renouvellement

Résumé du cas

« Farida », ressortissante algérienne, épouse un Suisse en 2007 et obtient une autorisation de séjour. Rapidement, son mari se montre violent envers elle tant sur les plans psychique et physique que sexuel. Isolée et apeurée durant des années, « Farida » s’arme finalement de courage en mars 2012 : elle dépose une plainte pénale pour violences conjugales et quitte son domicile. Dès lors, elle réalise une série d’emplois grâce à un cadre de vie salutaire retrouvé. Après s’être vue reconnaître comme victime au sens de la LAVI, elle demande le renouvellement de son permis sur la base de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr (raisons personnelles majeures), mais aussi en s’appuyant sur l’art. 50 al. 1 let. a LEtr, car elle est restée au moins trois ans en union conjugale et fait preuve d’une intégration réussie. Le SPOP émet un préavis favorable et transmet son acceptation à l’ODM (désormais le SEM). Malgré un grand nombre de preuves des violences subies (plainte pénale, PV d’audition de témoins, certificats médicaux, attestation du Centre LAVI) et de son intégration (contrats de travail, fiches de salaire), les autorités fédérales refusent la prolongation du séjour de « Farida » et prononcent son renvoi. L’ODM allègue d’une part que les preuves de violence sont insuffisantes et ne démontrent pas l’intensité exigée par la jurisprudence. Il souligne par ailleurs, à tort, que la plainte pénale n’a pas abouti. D’autre part, rien ne s’oppose, selon cet Office, à une réintégration sociale en Algérie. L’ODM argue enfin que « Farida » n’a pas fait preuve d’une intégration réussie. Un recours est actuellement pendant au TAF.

Questions soulevées

 Bien que cela soit désormais établi juridiquement (voir notre brève), le SEM semble toujours aussi peu enclin à tenir compte de l’avis des services spécialisés dans leur examen des violences conjugales sous l’art. 50 LEtr. Comment l’autorité peut-elle occulter des indices tels que le constat de nombreuses infractions lourdes au Code pénal par le Centre LAVI ?

 La notion d’« intensité » (voir arrêt du TF 2C_554/2009 consid, 2.1) pose problème à la fois quant à l’exigence de preuves et quant à un niveau de violence qui serait jugé acceptable. Les avis des professionnels ne devraient-ils pas suffire à fonder une présomption de violences conjugales et, partant, la poursuite du séjour au titre de l’art. 50 al. 1 let. b LEtr ?

 Comment comprendre que l’intégration professionnelle de « Farida », ainsi que ses années de mariage et vie commune, dépassant la limite de 3 ans exigée par la loi, ne soient pas reconnues pour le renouvellement de son permis conformément à l’art. 50 al. 1 let. a LEtr ?

Chronologie

2007 : entrée en Suisse (sept.), mariage avec un ressortissant suisse (déc.)

2012 : « Farida » dépose une plainte pénale pour violences conjugales et quitte le domicile (mars), prononcé de mesures protectrices de l’union conjugale prenant acte de la séparation (juin)

2013 : intention de refus du SPOP de prolonger le permis de séjour de Farida (juil.), reconnaissance de « Farida » comme victime au sens de la LAVI (août)

2014 : préavis positif du SPOP (jan.), décision négative de l’ODM (juin), recours au TAF (juil.)

N.B. : au moment de la rédaction, le TAF ne s’est pas encore prononcé sur le recours et l’instruction de la plainte pénale contre le mari de « Farida » est toujours en cours.

Description du cas

« Farida », ressortissante algérienne, se marie en 2007 avec son fiancé suisse d’origine algérienne suite à un arrangement entre leurs familles respectives. Elle obtient ainsi une autorisation de séjour par regroupement familial. Très vite, son mari se montre violent à son égard. Cela commence sur les plans psychique et économique, puis sur les plans physique et sexuel. Le Centre LAVI la reconnaît comme victime au sens de l’article 1 et 2 de la LAVI en retenant les infractions au Code pénal suivantes: « voies de faits réitérées, séquestration, menaces, y compris menaces de mort, contraintes sexuelles et viol ». Menacée, « Farida » se terre dans le silence et dans l’inactivité forcée pendant plusieurs années.

Ce n’est qu’en 2012 qu’elle parvient à réunir suffisamment de courage pour déposer plainte contre son mari et quitter son domicile pour se réfugier chez des proches. Peu de temps après, des mesures protectrices de l’union conjugale sont prononcées et « Farida » obtient la jouissance de l’appartement conjugal. Libérée du joug de son mari, elle s’insère sur le marché du travail suisse en effectuant divers emplois et acquiert progressivement son indépendance financière. En juillet 2013, le SPOP annonce son intention de refuser le maintien de l’autorisation de séjour de « Farida ». En réponse à ce courrier, « Farida », assistée de sa mandataire, fait référence à l’art. 50 LEtr. Elle invoque notamment, sur la base de la lettre b) de l’alinéa 1 de cet article, les violences conjugales subies comme raisons personnelles majeures en fournissant une importante liste de preuves (plainte pénale, PV d’audition de témoins, certificats médicaux, attestation du Centre LAVI). « Farida » complète sa demande en mentionnant que sa réintégration est fortement compromise en Algérie où elle serait rejetée par la société ainsi que par sa famille en tant que femme divorcée, et pourrait subir les représailles de sa belle-famille pour atteinte à l’honneur. Subsidiairement, elle appelle également à l’application de la lettre a) du même article, du fait que la vie commune avec son époux dans le cadre du mariage a duré plus de trois ans, et que son intégration est réussie, ce qu’elle illustre par ses différents contrats de travail et fiches de salaire. Le SPOP donne alors un préavis positif au renouvellement de son permis de séjour.

Malgré un dossier conséquent sous l’angle de l’art. 50 LEtr, l’ODM refuse la requête de « Farida » et prononce son renvoi. Au sujet des violences subies, les autorités arguent que « les pièces produites à l’appui de la cause constituent tout au plus des indices faisant état de diverses tensions au sein du couple sans qu’il faille pour autant conclure à des violences conjugales au sens des dispositions de l’art. 50, al. 2 LEtr et de la jurisprudence s’y afférant ». L’Office ajoute « qu’il ne ressort en effet pas du dossier que les violences aient revêtu l’intensité requise par la jurisprudence » et « constate qu’aucune suite pénale n’a été donnée », alors que celle-ci est en cours d’instruction. Par ailleurs, les autorités évoquent la réintégration possible en Algérie pour « Farida » malgré les risques importants qu’elle estime y encourir. Enfin, l’Office argue que « Farida » n’a pas fait preuve d’une intégration sociale et professionnelle réussie en se basant essentiellement sur les premiers mois qui ont suivi sa séparation, soit une période marquée de toute évidence par un traumatisme psychologique ayant des incidences sur sa capacité de travail dont deux mois d’arrêt à 100%. Par conséquent, elles ne prennent pas en considération les activités professionnelles de « Farida » équivalant à un 100% qui lui ont permis d’acquérir son autonomie financière moins d’une année après la séparation. Le fait qu’elle maîtrise par ailleurs deux langues nationales et ait été employée par la police de Fribourg comme traductrice n’est pas non plus tenu comme un signe de bonne intégration.

En juillet 2014, « Farida » dépose un recours au TAF en dénonçant une décision qu’elle juge arbitraire et inopportune. Au moment de la rédaction, le recours est toujours en suspens devant le Tribunal.

Signalé par : La Fraternité – CSP VD, septembre 2014

Sources : courrier adressé au SPOP (08.08.2013), courrier adressé à l’ODM (15.05.2014), décision de l’ODM (20.06.2014), recours au TAF (16.07.2014).

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