Droit au mariage d’une Suissesse entravé

« Emma », ressortissante suisse, et « Durim », qui vit au Kosovo, souhaitent se marier. Ils engagent une procédure afin que « Durim » puisse venir en Suisse mais les autorités retardent l’événement car elles doutent des moyens financiers du couple. Après deux ans de persévérance, « Durim » obtient un permis, soumis néanmoins à des conditions financières.

Personne(s) concernée(s) : « Emma » et « Durim »

Statut : à l’étranger -> autorisation d’entrée en vue du mariage

Résumé du cas

« Emma », Suissesse, désire se marier avec « Durim », un Kosovar qu’elle a rencontré lorsqu’il séjournait en Suisse au bénéfice d’un permis de courte durée. À l’été 2012, soit peu après le retour de « Durim » au Kosovo, ils sollicitent une autorisation d’entrée afin de célébrer leur mariage en Suisse. Sur demande des autorités, le couple fournit en décembre 2012 un nombre important de documents, notamment relatifs à leur situation financière : contrat de travail, fiche de salaire, attestation d’hébergement et de prise en charge des parents d’« Emma », attestation du service social communal, attestation de l’Office des poursuites, promesse d’embauche pour « Durim ». Malgré cette série d’éléments, la procédure est ralentie car le Service de la Population et des Migrants du canton de Fribourg (SPoMi) exige de nouvelles preuves des moyens financiers d’« Emma » au motif que son contrat de travail est à durée déterminée. En août 2013, les autorités se disent disposées à émettre une autorisation de séjour de six mois au sens de l’art. 33 LEtr, renouvelable à condition que certains critères financiers soient remplis à la fin de cette échéance. Pour la mandataire, ces exigences sont injustifiées et les garanties financières déjà fournies sont suffisantes. En effet, celles-ci laissent présager que la situation d’« Emma » et de « Durim » remplira les conditions du regroupement familial après le mariage. Par ailleurs, les autorités cantonales ne semblent pas tenir compte de la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF) qui a pourtant reconnu un droit de séjour en vue de mariage au fiancé d’une personne vivant en Suisse dépendante de l’aide sociale (ATF 137 I 351). Lassés par la longueur de la procédure, « Emma » et « Durim » acceptent les exigences du SPoMI, bien qu’ils les trouvent injustifiées. Après une série de nouveaux blocages administratifs, celui-ci délivre finalement une autorisation d’entrée en juin 2014, soit deux ans après l’introduction de la demande.

Questions soulevées

 

 Pourquoi le SPoMi pose-t-il des exigences plus élevées, notamment au niveau financier, que le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence relative à l’octroi d’un titre de séjour en vue du mariage (ATF 137 I 351 et arrêt du TF 2C_643/2012 consid. 3.1) ?

Rien ne laisse présager une dépendance durable et importante du couple à l’aide sociale. Pourquoi le SPoMI ignore-t-il les garanties financières fournies par « Emma » ?

Une attente de deux ans pour se marier peut-elle être imposée à un-e ressortissant-e Suisse sans violer son droit au mariage ?

Chronologie

2011 : rencontre de « Emma » et « Durim » en Suisse (mars) peu après l’arrivée de « Durim » au bénéfice d’un permis de courte durée

2012 : fin de l’autorisation de séjour de « Durim » et retour au Kosovo ; demande d’entrée en Suisse déposée par « Durim » à la représentation suisse à Pristina (juin)

2013 : consentement écrit du couple à la délivrance d’une autorisation d’entrée sous conditions (sept.)

2014 : début de la procédure préparatoire en vue du mariage civil (avril) ; autorisation du SPoMi habilitant la représentation suisse à Pristina à délivrer un visa d’entrée (juin)

Description du cas

« Durim », au bénéfice d’un permis de courte durée, rencontre « Emma », ressortissante suisse vivant à Fribourg, lors d’un séjour en Suisse – pays où il a d’ailleurs vécu durant sept ans pendant sa jeunesse. À l’échéance de son permis, « Durim » retourne au Kosovo et entretient une relation à distance avec « Emma ». Ils décident, quelques mois plus tard, d’entamer les démarches pour se marier en introduisant une demande d’autorisation d’entrée en Suisse en faveur de « Durim ». Répondant aux nombreuses demandes successives des autorités quant à leur situation financière, ils fournissent plusieurs documents : une promesse d’embauche faite à « Durim », un extrait vierge du registre des poursuites, une attestation établissant qu’« Emma » n’a jamais bénéficié de l’aide sociale, ses dernières fiches de salaire, son contrat de travail temporaire et une attestation de ses parents garantissant d’héberger gratuitement les futurs mariés et de leur venir en aide en cas de difficultés financières.

Malgré ces éléments, le SPoMi émet des doutes sur la pérennité financière du couple. Présumant un futur recours à l’assistance, il demande diverses informations complémentaires sur l’activité lucrative d’« Emma ». Au printemps 2013, le service précise qu’en cas de manque de « moyens financiers propres », la décision d’entrée sera délivrée selon l’art. 33 LEtr indiquant que d’« autres conditions » peuvent être posées à l’octroi d’une autorisation de séjour. Dans un courrier adressé au SPoMi en juin 2013, la mandataire précise qu’il n’est pas justifié de présumer d’une dépendance à l’aide sociale « durable et dans une large mesure » de manière anticipée (art. 51 al. 1 let. b et 63 al. 1 let. c LEtr), alors qu’« Emma » n’émarge pas à l’assistance publique, que des garanties financières sont amenées par ses parents et qu’il existe une promesse d’embauche pour « Durim ». En août 2013, le SPoMi se dit prêt à délivrer à « Durim » une autorisation de séjour de six mois dont le renouvellement serait soumis aux conditions cumulatives suivantes : « la situation financière ne doit pas se péjorer, l’activité lucrative de « Durim » doit être stable et durable ». Les autorités réclament qu’à l’échéance des six mois lui soient remises des attestations de l’Office des poursuites et du Service social ainsi que les dernières fiches de salaire de « Durim » afin de vérifier ces exigences.

Cependant, il apparait que le SPoMi n’a pas pris en compte la jurisprudence du TF. En effet, celui-ci a examiné, dans son arrêt du 18 septembre 2012 (2C_643/2012), la situation d’un fiancé kosovar ayant déposé une demande de visa, afin d’obtenir une autorisation de séjour en vue d’épouser son amie de nationalité suisse. Les juges fédéraux ont ainsi considéré qu’il pouvait se prévaloir des art. 8 et 12 CEDH et ont examiné le recours et la situation du couple au sens de l’arrêt de principe rendu préalablement par le TF (ATF 137 I 351), relatif au droit de mariage des fiancés résidant en Suisse sans statut légal. Cet arrêt indique que les autorités doivent délivrer un titre de séjour temporaire en vue du mariage en faveur d’une personne vivant sans statut légal en Suisse et souhaitant se marier avec une autre y résidant légalement, s’il n’y a pas d’indices d’un mariage de complaisance d’une part, et s’il apparaît clairement que le futur conjoint remplira les conditions du regroupement familial après le mariage d’autre part (ATF 137 I 351 consid. 3.7). Aucune garantie financière n’est exigée par cette jurisprudence, pourtant relative à un cas où la fiancée vivant légalement en Suisse émargeait partiellement à l’assistance sociale. Dans ce cas de figure, les juges fédéraux ont en effet considéré qu’il y avait lieu de délivrer l’autorisation demandée, en prenant en considération l’évolution future probable de la situation financière du couple. Le TF a jugé qu’il était plausible que celle-ci évolue favorablement après que le fiancé ait obtenu un permis de séjour et trouvé un emploi. Ainsi, les conditions imposées par le SPoMi dans le cas d’« Emma » et « Durim » vont largement au-delà de celles indiquées par cette jurisprudence.

Harassé par la longueur de la procédure et impatient de pouvoir enfin se marier, le couple accepte tout de même ces conditions. Néanmoins, il faudra encore attendre près d’un an avant qu’une autorisation d’entrée ne soit délivrée à « Durim » du fait d’informations contradictoires entre le SPoMi et le Service de l’état civil et des naturalisations (SeCiN) ainsi que des difficultés administratives rencontrées au Kosovo.

Signalé par : CCSI / SOS Racisme Fribourg – septembre 2014

Sources : courriers de la mandataire et d’« Emma » au SPoMi (18.12.2012, 19.02.2013, 04.04.2013, 02.06.2013, 04.06.2013, 25.06.2013, 11.09.2013, 12.03.2014, 10.04.2014, 13.05.2014) et au Service de l’état civil (21.05.2014) ; divers courriers du SPoMi et du Service de l’état civil à la mandataire ; attestation du Service de l’état civil (16.04.2014) ; autorisation du SPoMi à la représentation suisse de Pristina (03.06.14).

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