Après 6 ans de procédure, on admet que
l’accès aux soins n’est pas garanti au pays

« Louise », née en 1950, souffre du VIH et d’épilepsie. Elle essuie trois refus de l’ODM et voit ses deux recours au TAF rejetés avant que celui-ci ne reconnaisse, après 6 ans de procédure, qu’elle n’aura pas accès aux soins nécessaires à sa survie en cas de renvoi au Cameroun.

Personne(s) concernée(s) : « Louise », née en 1950

Statut : demande d’asile rejetée -> admission provisoire

Résumé du cas

À 53 ans, « Louise » quitte le Cameroun où elle a subi des discriminations liées à sa séropositivité et à son épilepsie. Sa demande d’asile est rejetée en 2006, de même que le recours pour motifs médicaux s’opposant au renvoi, adressé à la CRA. Ne pouvant se résoudre à rentrer, « Louise » reste en Suisse sans statut. Suite à plusieurs crises d’épilepsie, elle doit modifier son traitement antiépileptique, au risque de subir des « atteintes neurologiques irréversibles ». Celui dont elle a désormais besoin n’est pas commercialisé au Cameroun. Deux demandes de réexamen sont donc adressées à l’ODM en 2007 et 2008, mais l’office les rejette, de même que le TAF, sous prétexte que d’autres traitements pourraient convenir alors que les médecins consultés expliquent qu’aucune alternative thérapeutique n’est possible. Les autorités considèrent par ailleurs que le médicament en question peut être importé d’Europe, sans en préciser le coût. Une troisième demande de réexamen est adressée à l’ODM, suite à une dégradation de l’état de santé de « Louise », qui souffre alors également de graves troubles psychiques. Les médecins consultés affirment que, sans un suivi régulier, « un risque de suicide est manifeste ». Par ailleurs, « Louise » a dû modifier son traitement contre le VIH et celui dont elle a besoin ne serait pas disponible au Cameroun. Mais l’ODM relativise les troubles psychiques en affirmant qu’ils sont dus à la crainte d’être renvoyée et mentionne un programme qui permettrait d’accéder gratuitement aux trithérapies. Dans un recours adressé au TAF en 2009, le mandataire conteste l’efficacité de ce programme et cite une enquête de terrain qui établit le coût exorbitant de l’importation au Cameroun des médicaments nécessaires. L’ODM reste toutefois sur sa position et propose le rejet du recours. Plus de deux ans après avoir été saisi, le TAF admet le recours. Il reconnaît que la disponibilité des soins n’est pas assurée et que leur accès n’est pas garanti en raison de leur coût et au vu de la situation personnelle de « Louise ».

Questions soulevées

Sur quelles compétences repose l’évaluation de l’ODM, laquelle se trouve en totale opposition avec les expertises médicales présentées par « Louise » ?

« Louise » doit son admission à la persévérance de son mandataire qui s’est lancé dans une procédure laborieuse et coûteuse, alors que l’un de ses recours était qualifié de « manifestement abusif ». Qu’en est-il pour ceux et celles qui ne peuvent être défendues de la sorte ?

Chronologie

2003 : « Louise » arrive en Suisse

2006 : demande d’asile (mars) ; refus de l’ODM (avril) ; recours à la CRA (mai) ; rejet de la CRA (juin)

2007 : demande de réexamen (mai) ; refus de l’ODM (juillet) ; recours au TAF (août) ; rejet du TAF (oct.)

2008 : demande de réexamen (janv.) ; refus de l’ODM (fév.) ; recours au TAF (mars) ; rejet du TAF (avril)

2009 : demande de réexamen (mars) ; refus de l’ODM (août) ; recours au TAF (sept.) ; étude du CIREC (sept.) ; préavis négatif de l’ODM (oct.)

2012 : décision positive du TAF (avril)

Description du cas

En 2003, « Louise », une veuve camerounaise de 53 ans, arrive en Suisse. Dans son pays, elle a été victime de discriminations à cause de sa séropositivité et de son épilepsie, deux maladies qui suscitent le rejet jusque dans sa propre famille. En 2006, sa demande d’asile est rejetée par l’ODM. Dans un recours adressé à la CRA, le mandataire de « Louise » demande l’octroi d’une admission provisoire. Il produit un rapport de l’OSAR selon lequel l’accès à un traitement antirétroviral (ci-après TAR) au Cameroun est conditionné aux moyens financiers et affirme que « Louise » se verrait privée du traitement dont elle a besoin pour vivre par manque de moyens. Il souligne qu’elle ne dispose d’aucun soutien familial et aurait peu de chances de trouver un emploi vu son âge. Considérant le recours comme « d’emblée voué à l’échec », la CRA demande une avance de frais de 600 francs qui n’est pas versée à temps. Le recours est donc déclaré irrecevable. « Louise », qui ne peut envisager un retour dans le pays qu’elle a quitté trois ans plus tôt, demeure en Suisse sans statut légal.

En 2007, une demande de réexamen est adressée à l’ODM car « Louise » a dû changer de traitement antiépileptique suite à plusieurs crises. Le nouveau médicament, le Keppra, n’est pas commercialisé au Cameroun. Selon les médecins consultés, des soins inadéquats pourraient « mener à des atteintes neurologiques irréversibles ». Mais l’office statue par la négative. Il affirme que d’autres traitements antiépileptiques sont disponibles au Cameroun, ignorant les recommandations des médecins selon lesquels il ne peut y avoir d’alternative thérapeutique en raison des interactions du médicament antiépileptique avec le TAR. Le TAF, estimant que le recours est voué à l’échec, demande une avance de frais de 1’200 francs qui n’est pas versée à temps, ce qui engendre l’irrecevabilité du recours. Une information émanant de l’entreprise qui produit le Keppra et confirmant les dires du mandataire est transmise à l’ODM dans une seconde demande de réexamen. Mais les autorités la rejettent aussi, affirmant que le Keppra peut être importé, sans considérer les coûts de l’importation. Le TAF déclare que le recours est manifestement abusif et donc irrecevable.

Une nouvelle demande de réexamen est adressée à l’ODM en 2009, fondée sur un certificat médical attestant de troubles psychiques et d’un changement fondamental dans le TAR. En effet, un rapport médical signé par plusieurs experts révèle que l’infection au VIH est liée à un virus résistant aux TAR de première ligne, ce qui nécessite un nouveau traitement, dit de deuxième ligne, qui n’est pas disponible au Cameroun. Par ailleurs, « Louise » a dû être hospitalisée en milieu psychiatrique pendant plus d’un mois à la suite d’un épisode dépressif sévère et ses médecins relèvent que, sans un suivi adéquat, le « risque de suicide est manifeste ». Mais l’ODM considère que les troubles psychiques de « Louise » sont « dus à la crainte d’être renvoyée et pas ancrés dans une symptomatologie particulièrement grave ». Il cite un programme mis sur pied au Cameroun qui permettrait d’accéder gratuitement aux TAR. Dans un recours daté de septembre 2009, le mandataire renvoie le TAF à son propre arrêt du 11 décembre 2008 qui remet en question l’efficacité du programme précité. Une enquête de terrain du CIREC révèle que l’importation au Cameroun des médicaments essentiels coûterait plusieurs milliers de francs. Dans un préavis transmis au TAF en octobre 2009, l’ODM propose le rejet du recours. Des rapports médicaux qui révèlent le passage d’un traitement de deuxième ligne à un traitement de troisième ligne sont transmis au TAF, l’un comme l’autre n’étant pas dispensés au Cameroun. Finalement, dans sa décision du 23 avril 2012, le TAF admet le recours et invite l’ODM à prononcer l’admission provisoire de « Louise », estimant qu’elle présente une « conjonction de facteurs défavorables ». Il admet que la disponibilité des soins n’est pas assurée et que leur accès n’est pas garanti en raison de leur coût et reconnaît les difficultés liées à la situation personnelle de « Louise », notamment son âge et l’absence de soutien familial.

Signalé par : Service d’aide juridique aux exilé-e-s (SAJE) – Vaud, avril 2012

Sources : décisions de l’ODM du 21.04.06, du 13.07.07, du 5.02.08 et du 28.08.09 ; décision de la CRA du 30.06.06 ; préavis de l’ODM du 22.10.09 ; arrêts du TAF : E-1955/2008 du 11.12.08, D-5484/2007 du 4.10.07, D-2072/2008 du 11.04.08 et D-6206/2009 du 23.04.12 ; rapport CIREC de 2009.

Cas relatifs

Cas individuel — 13/08/2024

Plus de 30 ans en Suisse, à l’AI, âgé de 64 ans : aucune perspective pour un permis B

Albert* dépose des demandes de transformation de son permis F en permis B, mais se les voit refusées, au motif que son intégration ne serait pas réussie. Un jugement qui enlève à Albert, aujourd’hui âgé de 64 ans et reconnu en incapacité totale de travail par l’assurance invalidité, toute possibilité de régularisation future de son statut de séjour en Suisse.
Cas individuel — 25/01/2024

Javier* et Lilian*, expulsé·es suite à un accident de travail sur un chantier

Cas 455 Victime d’un accident de travail, Javier* est reconnu invalide par l’AI. Les autorités ordonnent cependant son renvoi de Suisse ainsi que celui de son épouse. Elles ne lui reconnaissent pas le droit de demeurer en Suisse, considérant qu’il n’avait pas la qualité de travailleur au moment de son accident puisqu’il ne totalisait pas une année de travail en Suisse. La lenteur de la procédure et la décision d’expulsion impacte la santé mentale de Javier* qui souffre déjà d’autres problème de santé. Son épouse Lilian* cumule des emplois de nettoyages peu rémunérés et instables mais les autorités leur refusent un permis de séjour sur cette base, arguant qu’il s’agit d’«activités marginales et accessoires».
Cas individuel — 11/12/2023

Il passe 23 ans en Suisse avant d’obtenir une admission provisoire

Abdelkader* aura passé plus de 23 ans en Suisse avant d’obtenir un permis de séjour. Il lui aura fallu déposer une nouvelle demande de réexamen à l’âge de 62 ans.
Cas individuel — 05/11/2012

Un réfugié reconnu passe sept mois
en détention administrative

« Beasrat » demande l’asile en Suisse après avoir vécu dans des conditions d’extrême précarité en Italie, malgré la reconnaissance de sa qualité de réfugié. Refusant d’y retourner, il passe sept mois en détention administrative, non sans séquelles sur sa santé psychique.