30 jours pour faire recours : un délai à peine suffisant
qui risque d’être raccourci
« Jabari », détenu et torturé en Somalie, voit sa demande d’asile être refusée par l’ODM pour des motifs douteux. Après de minutieuses démarches menées en tout juste 30 jours, il arrive à prouver dans un recours que sa qualité de réfugié est indiscutable, amenant l’ODM à revenir sur sa décision. Mais le DFJP entend désormais raccourcir le délai de recours à 15 jours.
Personne(s) concernée(s) : « Jabari », homme né en 1980
Statut : demande d’asile rejetée -> réfugié reconnu
Résumé du cas
« Jabari », originaire de Somalie, est attaqué, détenu puis torturé par un clan islamiste qui voulait spolier sa famille de ses terres. Même à l’hôpital où il se fait soigner, ces persécuteurs reviennent par trois fois pour l’éliminer, mais sont repoussés par des gardes armés. Il s’enfuit peu après et demande l’asile en Suisse le 18 août 2008. Le 18 novembre 2009, malgré le récit très détaillé de « Jabari », l’ODM rejette sa demande, arguant principalement que les persécutions subies n’étaient non pas ciblées contre sa personne, mais découlaient de la situation de violence générale ayant cours en Somalie. « Jabari » a alors 30 jours pour faire recours. Il commande son dossier à l’ODM, le reçoit et va consulter une mandataire qui lui explique qu’il faudra prouver que les persécutions étaient bien personnelles (26 nov.) ; « Jabari » contacte alors sa femme en Somalie pour qu’elle se procure une attestation de l’hôpital prouvant que les islamistes étaient revenus le chercher lui et personne d’autre (10 déc.) ; sa femme mandate quelqu’un pouvant se rendre à la capitale pour envoyer le document par courriel et par DHL (14 déc.) ; « Jabari » reçoit l’email (15 déc.). Il reste à ce moment encore deux jours à sa mandataire pour rédiger un recours étayé, qui sera envoyé in extremis au TAF le 17 décembre. Le 19 janvier 2010, l’ODM revient sur sa décision au vu de ce recours et accorde l’asile à « Jabari », dont la qualité de réfugié est désormais indiscutable.
Le DFJP a lancé en décembre 2009 un nouveau projet de révision de la loi sur l’asile, qui propose de réduire le délai de recours à 15 jours au lieu de 30. Si ce projet venait à être accepté, les requérants et leur mandataire n’auraient plus le temps de préparer de vrais recours.
Questions soulevées
Il aurait été impossible pour « Jabari » de déposer un recours suffisamment étayé en 15 jours. Pourtant, au final, sa qualité de réfugié est incontestable. Que se serait-il passé pour lui si la réduction du délai de recours que propose le DFJP avait été en vigueur ?
Sous prétexte de vouloir accélérer la procédure, les autorités veulent réduire de moitié le délai de recours. Est-il judicieux d’entraver ainsi l’exercice d’un droit garanti par la CEDH et par la Constitution, et cela pour des justiciables dont les moyens sont particulièrement limités ?
Chronologie
2008 : attaque et emprisonnement par un clan islamiste (5 avr.) ; libération et hospitalisation (1er mai) ; fuite hors de Somalie (15 août) ; demande d’asile en Suisse (18 août)
2009 : décision négative de l’ODM (18 nov.) ; notification (19 nov.) ; réception du dossier et prise de contact avec la mandataire (26 nov.) ; l’épouse en Somalie se rend à l’hôpital dans une ville voisine (10 déc.) ; l’hôpital fournit une attestation (13 déc.) ; une personne de confiance se rend à Mogadiscio pour envoyer l’attestation (14 déc.) ; « Jibari » la reçoit par email (15 déc.) ; le recours est envoyé au TAF (17 déc.)
2010 : reconsidération par l’ODM de sa décision et octroi de l’asile (19 janvier)
Description du cas
En Somalie, la famille de « Jabari » cultive des terres convoitées par un clan ennemi et islamiste. Le 5 avril 2008, des hommes armés attaquent la ferme, tuent les deux frères de « Jabari », et enferment celui-ci dans un container. Pendant 25 jours, « Jabari » y est détenu et torturé, jusqu’à ce que les autorités de la ville voisine viennent le libérer. Il est alors hospitalisé pour se remettre de ses blessures. Pendant son hospitalisation, les islamistes tentent à trois reprises de l’éliminer, mais les gardes armés de l’hôpital parviennent à repousser ces attaques. Le 15 août 2008, « Jabari » parvient à s’enfuir en Suisse et demande l’asile.
Malgré son récit extrêmement détaillé lors des auditions, l’ODM rejette sa demande. Pour l’Office fédéral, les préjudices subis par « Jabari » n’étaient pas ciblés contre sa personne, mais étaient liés à un contexte de guerre ou de violences généralisées. Ils ne correspondent donc pas à une persécution personnelle, condition pour la reconnaissance du statut de réfugié. De plus, l’ODM affirme qu’il serait possible pour « Jabari » de se réinstaller dans une autre région de Somalie où il serait à l’abri des persécutions. « Jabari » obtient donc uniquement l’admission provisoire, un statut précaire qui ne lui permet par exemple pas de faire venir sa femme et ses enfants qui, restés au pays, sont à leur tour persécutés.
Une course contre la montre débute alors, puisque « Jabari » dispose de seulement 30 jours pour faire recours contre cette décision, qui lui est notifiée le 19 novembre. Sur conseil d’un compatriote, il demande immédiatement une copie de son dossier à l’ODM. Il la reçoit le 26 novembre et consulte le jour même une conseillère juridique. Celle-ci lui explique qu’il devra trouver une preuve attestant du fait que les persécutions étaient ciblées. « Jabari » joint alors par téléphone sa femme en Somalie, et lui enjoint de se rendre à l’hôpital de la ville voisine pour se procurer une attestation prouvant que ce qu’il a raconté lors des auditions s’est réellement produit. L’épouse y va une première fois le 10 décembre pour demander le document. Le 13 décembre, une attestation, qui décrit des blessures correspondant à de graves tortures et relate les attaques repoussées, est délivrée par l’hôpital. L’épouse confie le document à une personne de confiance qui se rendra à Mogadiscio pour procéder à son envoi par email et par DHL. « Jabari » reçoit l’email le 15 décembre et se rend immédiatement chez sa mandataire, qui n’a plus que deux jours pour rédiger un recours étayé. Celui-ci argue que les faits ont été constatés par l’ODM de manière inexacte et incomplète. Pour prouver le caractère ciblé des persécutions, il s’appuie sur l’attestation de l’hôpital et souligne que la femme et les enfants sont sujets à des mauvais traitements de la part des islamistes, qui recherchent toujours « Jabari ». Le recours fait aussi valoir que la possibilité de fuite interne est totalement inexistante, vue l’impossibilité de traverser un pays morcelé de territoires contrôlés par des clans ennemis et violents. Le mémoire de recours se base également sur la jurisprudence et la doctrine et cite plusieurs rapports officiels. Le 19 janvier 2010, confronté à ce solide recours, l’ODM revient sur sa décision et reconnaît la qualité de réfugié de « Jabari », qui obtient ainsi l’asile.
Il est déjà extrêmement difficile de produire un tel recours en seulement 30 jours. Or le DFJP propose de réduire désormais à 15 jours le délai de recours en matière d’asile Si ce projet venait à être accepté, les requérants et leur mandataire n’auraient plus le temps de préparer des recours étayés. En plus d’une inégalité douteuse par rapport au délai de recours de 30 jours applicable à d’autres domaines du droit, cette modification aboutirait à ce que de nombreuses personnes en quête d’asile comme « Jabari » ne pourraient plus obtenir gain de cause.
Signalé par : Centre social protestant (Neuchâtel), janvier 2010
Sources : procès verbaux des auditions (28.8.08 et 15.4.09), décision ODM (18.11.09), recours et complément (17.12.09 et 7.1.10), reconsidération ODM (19.10.10), informations complémentaires reçues de la mandataire (24.2.10)