Un appel dénonce « l’application aveugle du Règlement Dublin », dans la continuité d’une série de mobilisations récentes

L’ODAE romand a pour mission de rendre compte de la réalité dans laquelle vivent les migrant.e.s et réfugié.e.s en Suisse romande. Les manifestations de la société civile font partie de cette réalité et nous relayons ici plusieurs mobilisations qui ont eu lieu ces derniers mois. Elles dénoncent la manière dont sont exécutées les décisions de renvois prononcées par les autorités fédérales en application du Règlement Dublin.

Pour rappel, le Règlement Dublin prévoit que le premier pays européen ayant enregistré un requérant d’asile soit désigné comme responsable du traitement de sa demande. Mais son application entraîne parfois des conséquences dramatiques : familles séparées, renvoi de personnes vulnérables ou malades sans garanties de prises en charge, renvoi d’enfants en milieu d’année scolaire, etc. L’ODAE romand avait déjà documenté cette problématique, en particulier la question de l’application par la Suisse de la « clause de souveraineté » qui lui permet de traiter elle-même une demande d’asile (voir à ce sujet la Note thématique de l’ODAE romand Dublin : la Suisse crée des drames en renonçant à sa souveraineté, ainsi que les fiches « Saba », « Ayala » et « Arjun et Revathi »). En juin 2016, le Conseil fédéral a indiqué que depuis 2014, la Suisse avait renoncé à 4’000 renvois Dublin dont 3’200 vers la Grèce. Il convient de préciser que la Suisse est contrainte de renoncer aux renvois vers la Grèce (voir notre brève) et à certains renvois vers l’Italie (lorsque les conditions d’accueil des familles ne sont pas garanties) suite aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme MSS c. Belgique et Tarakhel c. Suisse. Ainsi, le communiqué du Conseil fédéral ne permet pas de distinguer les cas où la clause de souveraineté a été appliquée volontairement pour des raisons humanitaires et les cas où la Suisse a été obligée de le faire pour ne pas violer le droit international.

Les récentes mobilisations, provenant de milieux divers (associatif, religieux, politique ou universitaire), demandent à ce que la Confédération et les cantons utilisent cette marge de manœuvre. En effet, le Règlement Dublin laisse la possibilité aux Etats parties de renoncer à exécuter un renvoi pour des motifs humanitaires ou de compassion et pour préserver l’unité familiale (§17 préambule et art. 17 al. 1 Règlement Dublin III). Plusieurs interpellations parlementaires ont été déposées sur cette question aux chambres fédérales (notamment 16.4093 et 16.4091).

Dernière action en date, un Appel contre l’application aveugle du règlement Dublin lancé par l’association Solidarité Tattes pour lequel une récolte de signature est en cours mais qui compte déjà le soutien de nombreuses organisations, partis politiques, exécutifs communaux et personnalités publiques. (1)

Par ailleurs, en décembre 2016, la détention en vue de renvoi en Russie d’un étudiant tchétchène de l’Université de Genève a mobilisé le Rectorat de l’Université et des associations d’étudiants. Suite à l’annonce du Rectorat qu’une bourse et un logement lui seraient fournis, le jeune homme a été libéré. (2)

En outre, le renvoi par vol spécial d’une famille kosovare, après 6 ans passés en Suisse, a indigné les habitants du village où vivait la famille. Le fait que les enfants soient renvoyés en pleine année scolaire a suscité plusieurs réactions, notamment de deux Conseillers d’Etat. (3)

L’on peut également mentionner la déclaration de St-Légier, rédigée par des aumôniers, permanents et bénévoles des Eglises de Suisse romande réunis en retraite à la mi-novembre 2016. Enfin, signalons, la lettre ouverte adressée en novembre 2016 au Conseil d’Etat neuchâtelois par le collectif Droit de rester, dénonçant l’arrestation en vue du renvoi d’un jeune requérant alors qu’il était hospitalisé pour avoir tenté de mettre fin à ses jours. (4)

Ces mobilisations de la société civile, qui permettent parfois de trouver une issue pour les personnes concernées, ne doivent toutefois pas occulter le grand nombre de renvois exécutés sans que les situations individuelles ne fassent l’objet d’une médiatisation. Rappelons à ce titre que près de 30% des demandes d’asile déposées en Suisse se soldent par une décision de non-entrée en matière (NEM) Dublin (statistiques du SEM pour 2016).

(1) voir le communiqué de presse de Solidarité Tattes et la brève de l’ODAE romand Des personnalités parrainent des réfugiés menacés de « renvoi Dublin ».

(2) Pétition en ligne ; L’intervention de l’Uni sort Dagun de prison, La Tribune de Genève, le 21.12.2016 ; L’étudiant Dagun a été libéré de Frambois, Le Courrier, le 21.12.2016.

(3) Avully se mobilise pour les Krasniqi, Léman Bleu, le 21.12.2016 ; Avully rassemblé pour une famille kosovare, Le Courrier, le 20.12.2016 ; Genève hostile aux expulsions d’enfants durant le cursus scolaire, Le Courrier, le 23.12.2016 ; Tensions autour de la politique de renvoi de requérants, Le Temps, le 19.12.2016.

(4) Les «renvois Dublin» mettent les cantons sous pression, l’Express, le 18.11.2016.

Cas relatifs

Cas individuel — 17/12/2025

Régularisation refusée après 9 ans de vie en Suisse, à cause d’un séjour de cinq mois en Autriche

Saif*, ressortissant irakien, demande l’asile en Suisse en 2016. Après un refus, il se rend en Autriche où il sollicite également l’asile. Renvoyé en Suisse en 2017 en vertu du règlement Dublin, il survit à l’aide d’urgence. En 2024, il demande la régularisation de son statut auprès de l’Office cantonal de la population qui refuse, au motif que son lieu de séjour n’était pas connu entre octobre 2016 et mars 2017. En mai 2025, après 9 ans d’aide d’urgence, l’état psychique de Saif* se détériore et il suit un traitement médical. Avec l’aide d’une mandataire, il dépose une nouvelle demande de réexamen sur la base de l’art. 83 al. 4 LEI. Le SEM rejette cette demande, estimant que l’accès aux soins est possible en Irak.
Cas individuel — 13/05/2013

Le TAF confirme le transfert en Italie de « Saba »
malgré les viols qu’elle y a subis

« Saba » dépose une demande d’asile en Suisse en mai 2012 et reçoit une décision de transfert en Italie, où elle a passé les trois dernières années (système Dublin). Recourant contre cette décision, elle invoque les conditions de vie déplorables et les trois viols subis en Italie. Pourtant, le TAF rejette le recours et considère que son renvoi peut être exécuté.