Malgré toutes les preuves de persécution il n’obtient pas l’asile

Menacé de mort par des groupes armés, « Salim », ancien interprète en Irak pour l’armée américaine, fuit son pays pour gagner la Suède, puis la Suisse. Conformément à la logique des Accords de Dublin, la Suisse refuse d’entrer en matière sur sa demande d’asile, malgré les documents qui attestent des dangers encourus, et ordonne son renvoi vers la Suède.

Personne(s) concernée(s) : « Salim », homme.

Statut : demandeur d’asile renvoyé

Résumé du cas

À la chute du régime irakien de Saddam Hussein, « Salim » devient interprète auprès de l’armée américaine et intervient à maintes reprises, à visage découvert, auprès des populations irakiennes locales. Du fait de sa collaboration avec les USA, « Salim » est menacé dès la fin 2004 par des miliciens irakiens. Il explique que les menaces sont incessantes, et que des miliciens vont jusqu’à kidnapper son père pour faire pression sur lui. Après un cours exil en Syrie, « Salim » gagne la Turquie, puis arrive en Suède par camion où il dépose une demande d’asile. En Suède, on lui dit que la procédure prendra du temps. Mais « Salim » doit rapidement obtenir l’asile pour faire venir sa famille, restée en Irak à la merci des persécuteurs. Mal informé, il gagne la Suisse, où il pense que la procédure sera plus facile. Il demande à nouveau l’asile le 17 décembre 2007. L’ODM, en application de l’article 34.2 a de la LAsi, qui reproduit la logique des Accords de Dublin, refuse d’entrer en matière, puisqu’une demande a déjà été déposée dans un pays sûr. Un recours est interjeté devant le TAF. De nombreuses pièces, dont un courriel rédigé par un commandant de l’armée américaine pour lequel il travaillait, montrent que « Salim » était manifestement en danger. Il devrait donc bénéficier de l’exception au renvoi prévue à l’art. 34.3 LAsi et obtenir l’asile en Suisse. Le 16 avril 2008, le TAF rejette pourtant le recours en estimant que le risque n’est pas démontré, et confirme le renvoi vers la Suède. Au moment de la rédaction, « Salim » a fui vers un autre pays d’Europe, toujours en quête d’asile pour lui et sa famille.

Questions soulevées

 « Salim », qui est lui-même en danger de mort, doit faire venir sa famille au plus vite car elle est aussi menacée. En fin de compte, il se retrouve dans une impasse. La politique d’asile des pays européens est elle encore adaptée à l’accueil de réfugiés ?

 N’y a-t-il pas une volonté mal dissimulée de la part des différents pays d’Europe de se débarrasser des demandeurs d’asile en s’acharnant à les renvoyer vers un autre pays, quitte à ce qu’un homme dont on n’exclut pas qu’il risque sa vie se retrouve au final sans terre d’asile ?

Chronologie

2003 : engagement comme interprète auprès de l’armée américaine en Irak.

2004 : premières menaces émanant d’un groupe armé.

2005 : fuite en Syrie ; puis à Zoummar (Irak)

2007 : fuite en Turquie ; demande d’asile en Suède (novembre) ; demande d’asile en Suisse (17 déc.)

2008 : non-entrée en matière (NEM) promulguée par l’ODM (14 fév.) ; rejet du recours et confirmation de la NEM par le TAF (16 avr.)

Description du cas

« Salim » était premier lieutenant dans l’armée irakienne sous le régime de Saddam Hussein. En 2003, il devient interprète dans la ville de Mossoul, en Irak, pour le compte de l’armée américaine. En plus des traductions qu’il fait pour les troupes US, « Salim » est également chargé de recruter de futurs gardes, que l’armée américaine pourra former afin de protéger hôpitaux et institutions publiques. À cet égard, « Salim » se fait vite connaître à Mossoul. Il intervient à visage découvert à de nombreuses reprises et explique qu’après un passage à la télévision locale, la plupart des habitants de Mossoul sont au courant de son activité. À la fin 2004, il reçoit des menaces de la part d’un groupe islamiste. En 2005, des avis de recherche sur lesquels figure sa photo sont affichés à la mosquée. « Salim » prend peur et s’enfuit vers la Syrie, mais il est vite retrouvé par les services de renseignements de Damas. Pour leur échapper, il rentre se cacher en Irak, où il s’établit dans une autre ville, celle de Zoummar. Les miliciens retrouvent vite sa trace et s’en prennent alors à ses proches. « Salim » raconte qu’en 2006 son père est kidnappé pendant 15 jours et qu’un groupe armé fait exploser la maison de ses parents.

« Salim » décide de quitter l’Irak début 2007 et se rend en avion en Turquie. Il y passe quelques mois puis part en camion pour la Suède où il dépose une demande d’asile au mois de novembre. Les autres requérants d’asile irakiens lui expliquent que la procédure prend du temps. Mais « Salim », dont la famille est restée en Irak à la merci des persécuteurs, ne peut pas attendre. Il veut obtenir l’asile et faire venir rapidement sa famille. Mal informé, il part alors pour la Suisse dans l’espoir que la procédure sera plus facile. Il dépose une demande d’asile le 17 décembre 2007. Du fait de sa précédente requête d’asile effectuée auprès de la Suède, l’ODM prend une décision de non-entrée en matière. « Salim » interjette un recours auquel il joint de nombreuses informations et documents, parmi lesquels des courriels d’un commandant américain, ancien supérieur hiérarchique de « Salim ». Ces lettres attestent que la vie de « Salim » serait en grave danger en cas de retour en Irak, où il risquerait la torture et la mort. Le commandant affirme avoir constaté la mort de très nombreux traducteurs irakiens qui avaient collaboré avec les forces armées étasuniennes. Des articles de presse versés au dossier décrivent le sort réservé aux interprètes en Irak : considérés par les milices locales comme des espions ou des traîtres, beaucoup d’entre eux sont assassinés.

Malgré tous les documents fournis par « Salim » pour prouver la vraisemblance de son récit, le TAF juge qu’il n’a manifestement pas la qualité de réfugié. Or le caractère manifeste de la qualité de réfugié est, selon l’art. 34 LAsi qui introduit dans la législation suisse des dispositions s’inspirant de la logique des Accords de Dublin, une des rares exceptions qui permet d’échapper au renvoi dans un Etat tiers. Le TAF juge donc que l’on peut vraisemblablement douter de la qualité de réfugié de « Salim » et rejette le recours. Bien que le Tribunal affirme que la Suède est prête à réadmettre le requérant sur son territoire, rien ne garantit que la Suède ne donne une suite imminente et favorable à la demande de « Salim ». Au moment de la rédaction de cette fiche, « Salim » s’est enfui vers un autre pays de l’Union européenne afin d’échapper à un renvoi forcé vers la Suède. Il n’a à ce jour toujours pas trouvé de terre d’asile pour lui et sa famille.

Signalé par : Service d’Aide juridique aux Exilé-e-s (SAJE – Lausanne), 17 septembre 2008.

Sources : décision ODM (14.2.08), recours (20.2.08), arrêt du TAF (16.4.08) et autres pièces utiles du dossier.

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