La discrimination à l’égard des Suisses en matière de regroupement familial est maintenue

Dans un arrêt du 13 juillet 2012, dont les considérants ont récemment été publiés (2C_354/2011), le Tribunal fédéral (TF) a décidé de maintenir la discrimination que subissent les ressortissants suisses en matière de regroupement familial par rapport aux ressortissants de l’UE. Confirmant ses jurisprudences précédentes (ATF 129 II 249 et 130 II 137), il évoque notamment son obligation constitutionnelle à appliquer les lois fédérales, laissant ainsi au Parlement la responsabilité de déterminer si des modifications légales doivent être entreprises, et ce en dépit d’une « possible violation du droit à l’égalité ».

L’arrêt concerné traite du regroupement familial dit « inversé », à savoir lorsqu’un enfant cherche à faire venir en Suisse l’un de ses parents dont il a la charge. En l’espèce, le recourant, citoyen suisse, a demandé le regroupement familial pour sa mère, ressortissante de Bosnie-Herzégovine, qui, au vu de sa santé déclinante et de ses ressources insuffisantes, ne peut plus y vivre seule. Après une décision négative du SPOP, confirmée par le Tribunal cantonal en avril 2011, les recourants ont alors fait appel auprès du Tribunal fédéral, invoquant une violation de l’art. 14 CEDH (interdiction de la discrimination), combinée à une violation de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale).

Pour rappel, depuis que le TF a repris (ATF 136 II 5) l’arrêt Metock rendu par la CJUE, les ressortissants européens ayant un droit de séjour en Suisse bénéficient d’un droit au regroupement familial plus large (art. 3 al. 1 et 2 Annexe I ALCP) que les citoyens suisses. En effet, dans cet arrêt a été supprimée la condition du séjour préalable dans un pays de l’UE, condition qui existe toujours pour les membres de la famille de ressortissants suisses (art. 42 al. 2 LEtr).

Appelé à se prononcer sur cette discrimination dite « à rebours », le TF rappelle tout d’abord qu’il est tenu, conformément à l’art. 190 Cst, d’appliquer les lois fédérales, et ce « malgré une possible violation du droit à l’égalité [art. 8 al. 1 ou 2 Cst] ». Citant ensuite l’arrêt 136 II 120, le TF précise qu’il convient de laisser au législateur le soin de déterminer si, et dans quelle mesure, des modifications du système légal du regroupement familial s’imposent. Le TF ajoute qu’il ne corrigera une violation du droit conventionnel que si le législateur ne s’en saisit pas dans un « proche avenir » et lorsqu’elle est justifiée. Pour conclure, signalant qu’une différence de traitement fondée sur la nationalité est compatible avec l’art. 14 CEDH lorsque justifiée par des « raisons particulièrement impérieuses », le TF mentionne que le Conseil national s’est déjà prononcé sur cette question de la discrimination à rebours et a rejeté, en septembre 2011, l’initiative parlementaire visant à la supprimer, considérant qu’une politique d’immigration restrictive constitue justement cet « intérêt public important et digne de protection ». Par conséquent, la maîtrise du flux migratoire constitue, selon les juges du TF, un motif suffisant et compatible avec l’article 14 CEDH qui puisse justifier « de traiter les ressortissants suisses différemment des ressortissants de l’Union européenne en matière de regroupement familial ».

Source : arrêt du Tribunal fédéral 2C_354/2011 du 13 juillet 2012

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