Des cicatrices de torture n’incitent pas
l’ODM à procéder à des vérifications

« Aran », d’origine tamoule, raconte avoir été arrêté au Sri Lanka par l’armée qui l’emprisonne et le torture fin 2007. En 2008, auditionné dans le cadre de sa demande d’asile en Suisse, « Aran » montre les cicatrices de ses blessures, mais l’ODM ne les examine pas. En 2010, après le rejet de sa demande d’asile, il recourt avec des certificats médicaux concordants.

Mise à jour

Suite au recours déposé par « Aran », l’ODM réaffirme sa position et soumet un préavis négatif au TAF, ne retenant du certificat médical présenté par « Aran » que les troubles psychiques dont il est victime, avançant que ces troubles peuvent être soignés au Sri Lanka et estimant que, la situation ayant changé au Sri Lanka, « Aran » n’encourt aucun risque en y retournant. Dans ses observations, la mandataire remarque que l’expertise concernant les marques de torture n’est pas mentionnée. Elle remet aussi en cause la possibilité de soins au Sri Lanka pour un jeune homme tamoul et souligne, sur la base d’une étude de décembre 2010, que les personnes ayant soutenu l’Armée de libération des tigres tamouls demeurent exposées aux actions de la police ou de l’armée mais aussi de groupes paramilitaires. Suite à ces prises de positions, le TAF a jugé d’une part que le récit des tortures subies par « Aran » est tout à fait vraisemblable, mais qu’aucun risque de persécution à son encontre n’existe pour autant à l’heure actuelle; partant il lui refuse l’asile. Par contre, selon le tribunal l’exécution du renvoi d’« Aran » n’est pas exigible, car selon les certificats médicaux il se trouve dans un état de fragilité psychique que son retour compromettrait « gravement ses chances de reconstruction psychique et, par là même, en mettant en péril ses possibilités de pourvoir par lui-même, durablement, à sa survie économique ». Le TAF ordonne alors à l’ODM de prononcer son admission provisoire (permis F). Voir ATAF du 29 mai 2012.

Personne(s) concernée(s) : « Aran », homme né en 1986

Statut : demande d’asile rejet

Résumé du cas

« Aran », jeune étudiant tamoul, raconte avoir été emprisonné et torturé. En 2008, après sa libération, et suite à de nouveaux démêlés avec l’armée, il se réfugie en Suisse. Lors de ses auditions, « Aran » explique avoir été membre d’un mouvement d’étudiants soutenant les Tigres de
libération de l’Îlam tamoul (LTTE). En février 2007, il a séjourné quelques mois à Colombo, puis est retourné à Jaffna où il a appris qu’il était recherché par l’armée et qu’un étudiant du même nom que lui avait été tué par erreur. « Aran » précise avoir été arrêté en octobre 2007, puis torturé: « Ils ont pris un fil de fer et ils m’ont piqué le dos avec, ils l’ont accroché à une poulie (…) ils m’ont soulevé avec cette poulie ». Malgré le récit d’« Aran », l’ODM n’ordonne aucune expertise médicale afin de vérifier l’origine de ses blessures, ni ne lui suggère de produire un certificat médical. En 2010, l’ODM rejette sa demande d’asile et ordonne son renvoi, en considérant que son comportement et celui des forces
de sécurité (qui auraient libéré « Aran » après trois mois), tels que les décrit « Aran », ne sont pas logiques. Jugeant son cas invraisemblable, l’ODM ne s’attarde pas sur les cicatrices d’« Aran ». « Les origines et les circonstances des blessures peuvent être diverses et s’inscrire dans un contexte étranger au droit d’asile ». Il écarte également l’attestation d’un prêtre sri lankais. Aucune vérification n’est faite sur l’assassinat d’un homonyme. En août 2010, « Aran » recourt devant le TAF avec des
rapports médicaux qui attestent que ses cicatrices correspondent à des signes spécifiques de violences. De même, les troubles psychiques dont souffre « Aran » sont liés à un état de stress post traumatique et découlent de « séquelles de violences systématiques ». Une décision sur recours est en attente.

Questions soulevées

Comment l’ODM, qui est tenu par la loi d’examiner tous les allégués importants du requérant, peut-il statuer sur le cas d’ « Aran » sans se baser sur un examen médical de ses blessures?

Est-il admissible d’apprécier la vraisemblance du récit en se contentant de raisonner sur ce qui paraît logique ou non, sans prendre en compte les moyens de preuve concrets présentés ?

Chronologie

2007 : arrestation à Colombo (20 oct.)

2008 : remise en liberté (8 jan.) puis autres interpellations ; demande d’asile en Suisse (27 oct.)

2010 : refus ODM (26 juillet) ; recours devant TAF (27 août) ; rapport médical HUG (29 oct.)

N.B. : en attente d’une décision sur recours

Description du cas

Dans son récit, « Aran » explique qu’entre 2003 et 2006, il est un jeune étudiant tamoul qui vit à Jaffna, au nord du Sri Lanka, et qu’il participe à des activités d’un mouvement d’étudiants collaborant avec les Tigres de libération de l’Îlam tamoul (LTTE). Sa participation à divers évènements est filmée et photographiée par l’armée. En septembre 2007, après avoir séjourné quelques mois à Colombo et être retourné à Jaffna, il apprend qu’il est recherché par l’armée et qu’un étudiant portant le même nom que lui a été tué par erreur. Le mois suivant, « Aran » est arrêté et emmené dans un camp dans lequel il est torturé. En janvier 2008, il est libéré, mais se fait à nouveau arrêter quelques temps plus tard, suite à l’explosion d’une bombe. En février 2008, bien que tentant de vivre discrètement chez des amis de ses parents dans une autre ville du Sri Lanka, il est de nouveau interpellé lors d’un contrôle de routine. Craignant alors pour sa vie et sa sécurité, « Aran » demande l’asile en Suisse, en octobre 2008.

Auditionné à deux reprises par l’ODM, « Aran » explique avoir été torturé dans son pays d’origine et détaille son récit : « Ils ont pris un fil de fer et ils m’ont piqué le dos avec, ils l’ont accroché à une poulie (…) ils m’ont soulevé avec cette poulie. Je vous montre [les cicatrices] si vous le voulez». La personne chargée de l’audition signale qu’ « Aran » lui a montré des cicatrices de brûlures de cigarettes et une cicatrice sur le front correspondant à un coup de matraque subi au moment de l’arrestation. Cependant, elle ne fait pas mention des cicatrices dans le dos dont « Aran » lui a parlé. Aucun certificat médical n’est demandé et l’ODM s’abstient de toute expertise qui permettrait d’avoir un avis autorisé sur l’origine des blessures.

En 2010, l’ODM considère que les déclarations d’« Aran » ne sont pas vraisemblables selon l’art.7 LAsi et rejette sa demande d’asile. La décision de l’autorité fédérale porte sur le comportement d’« Aran », qui ne s’est pas enfui dès sa remise en liberté. L’ODM juge cette dernière « contraire à toute logique ». Sans rechercher l’avis d’un spécialiste, l’ODM estime dès lors «improbable que ces blessures aient pour origine celle qu’ [il] entend leur donner, et ce dans les circonstances décrites ». Il est notamment spécifié à ce sujet que « les origines et les circonstances des blessures peuvent être diverses et s’inscrire dans un contexte étranger au droit d’asile ». L’attestation d’un prêtre sri-lankais, qui confirme le récit d’ « Aran », est jugé « sans valeur déterminante ». L’assassinat d’un homonyme ne fait pas non plus l’objet de vérifications.

Dans le cadre d’un recours contre la décision de l’ODM, l’avocate d’« Aran » le fait d’abord examiner par un médecin généraliste qui établit que les cicatrices d’« Aran » semblent être compatibles avec son récit. Un mois plus tard, un médecin des Hôpitaux universitaires de Genève, spécialiste de l’accompagnement des personnes victimes de torture et de guerre, procède à un examen plus détaillé. Il en ressort qu’« Aran » présente à la fois des troubles psychiques et des « cicatrices compatibles avec des séquelles de violences systématiques (brûlures de cigarettes, suspension par des crochets dans le derme) ». En outre, le rapport médical mentionne qu’« [Aran] présente un ensemble de lésions somatiques et de troubles psychologiques constituant un tableau clinique classiquement retrouvé chez les victimes de violence organisée ». « Aran » fait également parvenir au TAF un certificat médical d’un médecin de Jaffna consulté à la date précise où il dit avoir été libéré et qui l’a soigné pendant 8 jours. Au moment de la rédaction de la fiche, le TAF ne s’est pas encore prononcé sur ce recours.

Signalé par : avocate du canton de Vaud, décembre 2010.

Sources : P.V. d’auditions (5.11.08 / 23.10.09) ; décision ODM (26.07.10) ; certificat médical (25.08.10) ; recours devant TAF (27.08.10)

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