L’ODM voulait le renvoyer sans vérifier s’il pourrait recevoir des soins

La demande d’asile de « Robert » est rejetée, mais son médecin atteste qu’il est gravement malade. L’ODM affirme qu’il pourra se soigner au Togo. Le TAF estime le contraire et reproche à l’ODM de ne citer aucune source. Le DFJP voudrait qu’à l’avenir ce soit au requérant de prouver qu’il ne pourra pas être soigné. Quelles en seraient les conséquences ?

Personne(s) concernée(s) : « Robert », homme

Statut : demande d’asile –> admission provisoire

Résumé du cas

« Robert », originaire du Togo, arrive en Suisse en 2002 et dépose une demande d’asile. Confronté à une décision négative de l’ODM, il conteste dans un recours l’analyse de l’autorité. En 2004, alors que le recours est pendant, « Robert » signale aux autorités qu’il est atteint de graves problèmes de santé qu’attestent plusieurs certificats médicaux. N’ayant pas accès aux soins appropriés dans son pays d’origine, « Robert » fait valoir que s’il devait y retourner, sa vie serait en danger. L’ODM réplique alors, sans étayer ses propos, que les infrastructures médicales et hospitalières privées et publiques au Togo permettent de traiter les problèmes de santé en question. L’Office fédéral considère donc que le renvoi est exigible. Le 26 juin 2008, le TAF, même s’il confirme la position de l’ODM sur le rejet de la demande d’asile, déclare néanmoins que le renvoi est inexigible. En effet, après des recherches approfondies, le Tribunal constate qu’il est improbable que « Robert » puisse bénéficier dans son pays d’origine du suivi thérapeutique imposé par ses affections. Le TAF demande donc à l’ODM d’octroyer à « Robert » une admission provisoire. Parmi diverses propositions de révision de la loi lancées le 14 janvier 2009, le DFJP aimerait que le fardeau de la preuve revienne au requérant en matière d’inexigibilité du renvoi. Dans ce cas, « Robert », qui dispose de ressources d’investigation bien moindres que celles de l’administration, aurait dû lui-même prouver que ses problèmes médicaux ne pouvaient être pris en charge au Togo.

Questions soulevées

Le DFJP veut qu’à l’avenir il appartienne au requérant de prouver l’absence de soins dans son pays d’origine. Mais les recherches effectuées dans ce cas par le TAF sont-elles à la portée de requérants d’asile dénuées de moyens d’investigation ?

Cette proposition du DFJP vise à réaliser des économies. Que dire de telles économies si elles s’effectuent au prix de la santé – voire de la vie – de nombreuses personnes ?
Série spéciale : projet Widmer-Schlumpf de durcissement du droit d’asile

Chronologie

2002 : demande d’asile en Suisse (7 novembre)

2003 : refus de l’ODM (11 août) ; recours (11 septembre)

2008 : arrêt du TAF annulant la décision de l’ODM (26 juin) et ordonnant l’admission provisoire

Description du cas

« Robert », originaire du Togo, arrive en Suisse et dépose une demande d’asile le 7 novembre 2002. Il explique avoir été arrêté et torturé dans son pays d’origine, parce qu’il est membre d’un parti d’opposition et ami d’un homme politique influent opposé au régime. L’ODM ne le croit pas et rejette sa demande d’asile le 11 août 2003. « Robert » fait recours contre cette décision. Il tente de démontrer que l’ODM se trompe dans son analyse et que son récit est vrai.

En 2004, alors que le recours est en suspens, « Robert » signale aux autorités qu’il est atteint de troubles cardio-vasculaires ainsi que d’un diabète récurrent nécessitant notamment une prise régulière de médicaments. Deux certificats médicaux, émis par deux médecins différents, appuient ses déclarations. En 2005, un nouveau certificat médical atteste que « Robert » souffre d’hypertension artérielle sévère et d’un diabète sucré non-insulino-dépendant. Ces affections revêtent un caractère chronique et nécessitent une prise en charge à vie. Une interruption du traitement et de contrôles réguliers entraînerait des complications majeures qui mettraient la vie de « Robert » en danger.

Invité à se prononcer sur le recours, l’ODM en demande le rejet le 18 mai 2006, affirmant au sujet de l’aspect médical de la question que les infrastructures médicales et hospitalières privées et publiques au Togo permettent de traiter les problèmes de santé de « Robert ».

En 2008, à la demande du TAF, « Robert » fournit un rapport médical qui confirme à nouveau le diagnostic précité et fait état du traitement médicamenteux qui lui est imposé, ainsi que des contrôles réguliers dont il fait l’objet.

Dans son arrêt du 26 juin 2008, le TAF confirme le refus de l’asile de « Robert ». Par contre, en ce qui concerne l’exigibilité de son renvoi, le Tribunal infirme la position de l’ODM. Il constate en effet que « Robert » « (…) souffre de graves affections nécessitant impérativement un suivi thérapeutique rapproché. Or, compte tenu de l’état de délabrement important des infrastructures sanitaires et de la mauvaise situation économique du Togo, il apparaît hautement improbable que « Robert »] puisse bénéficier, dans son pays d’origine, du suivi thérapeutique imposé par ses affections. » Le TAF souligne par ailleurs que les frais médicaux ne sont pas pris en charge par le secteur public et que « Robert » a peu de chances de trouver une activité suffisamment rémunérée lui permettant d’assumer ses frais de traitement. À l’appui de son jugement, le TAF cite plusieurs rapports publiés par la CIA ou l’OMS. Le Tribunal souligne également que l’ODM n’a pas précisé les conditions d’obtention du suivi médical qu’il affirmait possible, ni cité de source quelconque étayant ce point de vue. Le TAF conclut que l’exécution du renvoi de « Robert » au Togo l’exposerait à une mise en danger concrète et n’est donc pas raisonnablement exigible au sens de l’[art. 83 al.4 LEtr. Le recours est admis et l’ODM est tenu d’octroyer une admission provisoire à « Robert ».

Le 14 janvier 2009, le DFJP a émis de nouvelles propositions de révision de la loi sur l’asile et de la loi sur les étrangers. Le département fédéral dirigé par Mme Widmer-Schlumpf veut notamment faire porter le fardeau de la preuve au requérant en matière d’inexigibilité du renvoi. Cela signifie que des personnes dans la situation de « Robert » devraient à l’avenir trouver eux-mêmes les moyens de prouver l’absence de soins dans leur pays d’origine, comme le fait ici le TAF.

Signalé par : site Web du Tribunal administratif fédéral, consulté le 5 janvier 2009

Sources : arrêt du TAF E-6721/2006 du 26 juin 2008

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