Violences conjugales: on expulse la victime au lieu de la soutenir !
Après avoir subi pendant des années la violence de son mari, « Luzia », brésilienne, se résout finalement à demander le divorce. Déjà déstabilisée par cette situation extrêmement difficile, « Luzia » va se retrouver en plus confrontée à un renvoi.
Personne(s) concernée(s): « Luzia », femme née en 1975
Statut : permis B par mariage -> renouvellement refusé
Résumé du cas
Originaire du Brésil, « Luzia » rencontre en juin 2000 son futur mari, ressortissant portugais, à l’occasion d’un voyage touristique en Suisse. Ils se marient en décembre, mais peu de temps après, son mari, sous l’emprise de l’alcool, commence à lui faire subir des violences psychiques, physiques et sexuelles. En mai 2003, après avoir été menacée au couteau, « Luzia » est contrainte à quitter le domicile conjugal. Des mesures protectrices sont alors prononcées par le juge civil. Malgré la séparation, la relation continue et ce n’est que deux ans plus tard, après avoir été une nouvelle fois gravement menacée (une plainte pénale sera déposée), que « Luzia » se résout, contre ses convictions et ses sentiments, à demander le divorce. Celui-ci est prononcé en mars 2005. 4 mois plus tard, le service vaudois de la population accepte de renouveler son autorisation de séjour, obtenue en 2003 en vertu de son mariage avec un homme européen. Toutefois, l’ODM refuse de donner son approbation, et le TAF rejette le recours de « Luzia » dans un arrêt daté du 22 août 2008. Les violences conjugales y sont évoquées, mais ne constituent pour le TAF que « l’un des critères »: on reproche notamment à « Luzia » de ne pas avoir atteint l’autonomie financière. Pourtant, les violences subies, l’état dépressif qui s’en est suivi et la décision de divorce ont été autant d’épreuves que « Luzia » a dû traverser, et qui ont rendu son insertion professionnelle en Suisse particulièrement difficile. Plutôt que de soutenir « Luzia » pour surmonter les conséquences des violences vécues, les autorités, qui disposent d’un large pouvoir d’appréciation, ont préféré prononcer son renvoi vers un pays qu’elle a quitté depuis 8 ans et où elle n’a plus guère d’attaches.
Questions soulevées
En refusant de renouveler l’autorisation de séjour après une séparation ou un divorce, les autorités veulent-elles donner comme message aux victimes de violences conjugales de taire leurs souffrances et de continuer à vivre auprès de leur conjoint violent au péril de leur santé?
Nos autorités ont mis sur pied ces dernières années divers dispositifs juridiques en faveur des victimes de violences domestiques. Ne devrait-on pas chercher à protéger également les victimes étrangères au lieu de les fragiliser encore davantage par la menace d’un renvoi ? L’intérêt de la Suisse à limiter l’immigration n’est-il pas subordonné dans pareil cas à un devoir de protection ?
Chronologie
2000 : voyage touristique en Suisse ; rencontre son futur mari (juin) ; mariage au Portugal (30 déc.)
2002 : le couple s’installe définitivement en Suisse (22 déc.), après quelques séjours saisonniers
2003 : « Luzia » quitte le domicile conjugal (20 mai) ; mesures protectrices de l’union conjugale (16 juillet)
2005 : divorce (18 mars) ; préavis favorable du canton de Vaud pour une autorisation de séjour (4 août)
2006 : décision négative de l’ODM (10 jan.) ; recours (8 fév.)
2008 : rejet du recours par le TAF (22 août)
Description du cas
En 2000, « Luzia » se rend en Suisse pour un voyage touristique. Elle y rencontre son futur mari, un ressortissant portugais, qui y travaille comme saisonnier. Ils se marient au mois de décembre de la même année et elle partage ensuite son temps entre le Portugal et la Suisse. Dès que son mari dispose d’un permis de séjour ordinaire, en décembre 2002, « Luzia » obtient le regroupement familial en tant que conjointe d’un ressortissant européen. Peu après le mariage, le mari de « Luzia », dont la consommation d’alcool est excessive, se met à lui faire subir régulièrement des violences physiques, psychiques et sexuelles. « Luzia » consulte dans un centre pour femmes victimes de violence conjugale, mais ne quitte pas son époux : elle l’aime, croit en l’institution du mariage, et pense que la situation peut s’améliorer. Un jour pourtant, après avoir été menacée avec un couteau, elle prend conscience que sa vie est en danger et quitte le domicile conjugal. En juillet 2003, le juge civil compétent prononce des mesures protectrices de l’union conjugale, autorisant les époux à vivre séparés. Malgré cette séparation, les époux continuent à se fréquenter régulièrement. En 2005, suite à un nouvel épisode très violent, « Luzia » dépose une plainte pénale et demande le divorce, malgré son amour et ses convictions religieuses.
Peu après, Luzia dépose sa demande de renouvellement de permis, en expliquant qu’elle était contrainte au divorce car son époux menaçait gravement son intégrité physique et psychique. Le service cantonal des étrangers accepte de faire suivre la demande à l’ODM avec un préavis favorable, mais l’ODM refuse de donner son approbation. L’Office retient que la vie commune n’a duré que 5 mois (l’ODM compte à partir du moment où le couple s’est installé durablement en Suisse), qu’aucun enfant n’est né du mariage, et que les attaches sociales et professionnelles de « Luzia » avec la Suisse ne sont pas particulièrement étroites. « Luzia », qui à ce moment-là a quitté son pays depuis 6 ans, fait recours. Elle explique que son mariage a duré 4 ans et 4 mois et que le divorce était devenu nécessaire à cause des violences subies. Plusieurs certificats en attestent et constatent les troubles dépressifs engendrés. Elle invoque aussi la législation entrée en vigueur en 2008 (art. 50 LEtr et art. 77 OASA), parce que même s’il ne s’applique pas encore dans le cas de « Luzia », ce nouveau dispositif prévoit de tenir un peu plus compte des violences conjugales comme motif particulier de prolongation de l’autorisation de séjour. Sur le plan professionnel, « Luzia » a occupé divers emplois temporaires dans des entreprises de nettoyages ou dans un EMS. Elle explique en outre qu’en cas de retour au Brésil, elle ne sera nullement soutenue par sa famille qui était opposée à son mariage, et encore plus à son divorce, du fait de leurs convictions religieuses. Au moment où le TAF rejette son recours, le 22 août 2008, « Luzia » est arrivée en Suisse depuis près de 8 ans et y vit depuis plus de 5 ans de manière ininterrompue.
Dans son arrêt, le TAF retient surtout que « Luzia » n’a pas d’emploi durable et n’a pas atteint l’indépendance financière : « l’intégration socio-professionnelle en Suisse n’est pas optimale ». Le TAF estime par ailleurs que « Luzia » pourra se réadapter sans problème à son pays d’origine. Les violences conjugales rendent sa situation particulière, mais cet aspect ne constitue pour le Tribunal que « l’un des critères ». Pouvait-on attendre de « Luzia » qu’elle mène une vie normale et trouve un emploi stable alors qu’elle traversait une situation extrêmement difficile, subissant la torture d’être maltraitée par l’homme qu’elle aimait ? Le TAF ne soulève pas cette question, et examine l’intégration de « Luzia » comme celle de n’importe quel autre étranger. Des professionnels attestaient pourtant que « Luzia » avait été déstabilisée par ce vécu douloureux (impliquant d’ailleurs des déménagements successifs) et avait besoin de temps pour retrouver une stabilité affective, sociale et financière. Au lieu de lui accorder ce temps, les autorités fédérales lui imposent un renvoi vers un pays qu’elle a quitté depuis plus de 8 ans, où elle n’a quasiment plus d’attaches.
Signalé par : La Fraternité (Centre social protestant – Vaud), avril 2009.
Sources : Arrêt du TAF (22.8.08) ; recours (8.2.06) ; décision ODM (20.1.06) ; autres pièces utiles du dossier